Egypte
Un président aux
pouvoirs limités
Samar
Al-Gamal
Photo: Al-Ahram
Mercredi 20 juin
2012
Présidentielle.
Selon les premiers résultats non
officiels, Mohamad
Morsi, candidat des Frères
musulmans, a remporté le scrutin face à
Chafiq,
candidat de l'ancien régime. Mais les
militaires ne lâchent pas prise en se
dotant de vastes prérogatives.
D’un dictateur accumulant presque toutes
les prérogatives, le président égyptien
qui devra succéder à Moubarak à la fin
du mois risque de se limiter aux
fonctions honorifiques. Les Egyptiens,
qui se sont rendus aux urnes samedi et
dimanche derniers dans l’espoir d’élire
un nouveau chef d’Etat 16 mois après la
révolution, se retrouvent toujours dans
une transition sans fin, dirigée par les
militaires, même si le candidat des
Frères musulmans revendique déjà sa
victoire avant l’annonce des résultats
officiels. Il était encore 5h du matin,
les bureaux de vote ayant fermé leurs
portes 8 heures auparavant, Mohamad Morsi achève
la prière de l’aube dans son Q.G. et
monte au créneau entouré des dirigeants
de la confrérie et de son Parti Liberté
et justice. Il annonce sa victoire sur
son concurrent et homme fort du régime
de Moubarak, Ahmad
Chafiq.
La bataille était serrée.
Morsi, qui a
récolté environ 6 millions au premier
tour, double son score après avoir été
soutenu par les révolutionnaires
espérant empêcher un retour à l’ancien
régime avec Chafiq.
Celui-ci double aussi son score et la
différence entre eux tourne
officieusement autour de 1,5 %. Certes,
les résultats officiels ne seront connus
que jeudi, mais le décompte provisoire
ne laisse prévoir une issue différente,
sauf coup de théâtre de dernière minute.
Un résultat qui constitue une victoire
symbolique sur les militaires et la
police qui ont mis tout l’appareil de
l’Etat au service de l’héritier de
Moubarak. Chafiq
crie pourtant victoire et refuse de
reconnaître cette défaite qui s’ajoute à
sa chute précédente en mars de l’an
dernier, lorsque des manifestations
massives réclamaient son limogeage de
son poste de premier ministre.
Les Egyptiens étaient d’ailleurs devant
un choix difficile, entre « le
mauvais et le pire », entre un
islamiste dont ils craignent l’hégémonie
absolue sur le pays et un général du
régime corrompu qui reconduira le régime
Moubarak. Un dilemme qui a poussé un
certain nombre d’électeurs à voter blanc
en notant sur le bulletin « la
révolution continue ». D’autres ont
opté pour le boycott, et d’ores et déjà
la participation table autour de 40 %
des électeurs inscrits, soit le quart
d’une population de 82 millions
d’habitants.
Le malaise s’exacerbe
Le malaise nourri par la dissolution,
deux jours avant le scrutin, de la
première Chambre du Parlement, issue des
premières législatives libres de
l’histoire du pays, s’est encore
accentué au lendemain du vote.
Le Conseil Suprême des Forces Armées
(CSFA), qui s’est attribué les
prérogatives législatives avec la
dissolution du Parlement, a du mal à
voir un islamiste pour la première fois
à la tête du pays. Du coup, il s’est
immiscé dans les pouvoirs du prochain
président. Une « Déclaration
constitutionnelle complémentaire »
qui fait que le président n’aura comme
seule prérogative que de nommer un
gouvernement dont chaque loi devra être
validée par
les militaires. Les forces armées et son
budget échapperont à son pouvoir. Il ne
sera plus chef suprême des forces
armées, à l’instar de ses prédécesseurs.
Selon le texte, « le contrôle
intégral des affaires internes de
l’armée, notamment les nominations et
les destitutions du personnel militaire
et le budget de la Défense, sera du
ressort du CSFA ».
Le président ne pourra pas non plus
prendre la décision de guerre sans aval
du CSFA et siégera au sein d’un conseil
de « défense nationale » aux
côtés de 11 militaires et 4 ministres,
mais dont les décisions doivent être
prises à l’unanimité.
Les militaires conservent aussi le
contrôle du budget, fixent « la
politique générale du pays » et
s’approprient le monopole de former une
nouvelle constituante pour la rédaction
de la future Constitution avec un veto
sur tout article qu’ils estimeraient «
contraire aux intérêts suprêmes du
pays », pour protéger entre autres
leurs intérêts économiques. Et pour
désarmer davantage le prochain
président, le chef de l’armée a décidé
de nommer le cabinet présidentiel qui
sera désormais dirigé par un militaire
et un ancien collaborateur de Moubarak
avec 4 autres membres du cabinet dissous
dont le chef
Zakariya
Azmi est aujourd’hui en prison.
Un coup d’Etat selon certains
Un coup d’Etat militaire pour résumer.
Et comme s’il n’y a pas eu de
révolution. De quoi faire redouter une
tension plus accrue. Les forces
politiques, à leur tête les Frères,
vainqueurs de la présidentielle, ont
annoncé déjà qu’elles rejetaient ce
texte adopté par les militaires et
avaient appelé à un rassemblement massif
mardi sur la place
Tahrir pour réclamer la remise du
pouvoir au prochain président.
Conformément au calendrier, les
militaires devraient retourner à leurs
casernes et remettre le pouvoir aux
civils à la fin du mois de juin. Mais il
semble que les militaires ont finalement
décidé de ne pas lâcher le pouvoir sans
préserver une « immunité ».
Ainsi, ils gardent le pouvoir législatif
et contrôlent les verrous du pays au nom
de « l’équilibre des pouvoirs ».
Ils s’efforcent aussi de réduire la
crise à un différend avec les Frères,
assez puissants d’ailleurs, mais
omettent que d’autres poids leur font
face aussi. C’est ce que
démontre les
résultats du premier tour où deux
candidats, issus de la révolution,
Hamdine
Sabbahi et
Abdel-Moneim
Aboul-Foutouh,
ont obtenu respectivement 20 et 17,5 %
alors que Morsi,
le Frère, n’a obtenu que 25 % des voix.
La prochaine phase sera une
confrontation avec les militaires, il
n’y a aucun doute. Les Frères ont déjà
réagi en annonçant qu’ils ne
respecteront pas l’arrêt de la Haute
Cour constitutionnelle de dissoudre
l’Assemblée du peuple qu’ils dominaient.
« Le Parlement est encore valide
», affirment-ils, ainsi que plusieurs
juristes. Mais oseront-ils défier les
militaires ?
Les partis issus de la mouvance
révolutionnaire et la Coalition des
jeunes de la révolution, à l’origine de
la révolte contre Moubarak, ont répondu,
eux, par un oui. Ils ont dénoncé ce «
putsch constitutionnel » et ont
annoncé la poursuite de leur lutte en
faveur d’un Etat « civil ».
La place Tahrir reste aux aguets.
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reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié le 23 juin
2012 avec l'aimable autorisation de
AL-AHRAM Hebdo
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