Politique
La Révolution Française
Roger Cohen
Le 20 septembre 2007
New
York Times
Paris
La révolution française de 2007
n’a pas vu des têtes rouler mais a impliqué la destruction des
10 tabous comme le Président Nicolas Sarkozy assume le rôle du
chef le plus dynamique de l’Europe.
LE
TABOU AMERICAIN : L’enthousiasme pour les Etats-Unis était
inacceptable pour un chef politique français car cela a toujours
été interprété comme un embrassement du capitalisme de
« l’Ouest Sauvage » (Wild West) et de l’hégémonie
et de la vulgarité « Anglo-Saxonnes ». Les attitudes
de rigueur oscillaient : un mépris condescendant à Paris
contre une dérision macho à Washington. La communication
souffrait. Les vacances de Sarko à New Hampshire, l’admiration
du rêve américain, le jogging accompagné de l’iPod et le
style direct ont clarifié l’air.
LE
TABOU DE L’AGRICULTURE : Aucun Président Français ne
pouvait se montrer mal à l’aise en tapant sur l’arrière
d’une vache. Ce geste, au salon annuel de l’Agriculture à
Paris montrait l’attachement du chef à la terre et à
la France
profonde. Mais les seules vaches connues par Sarkozy, un citadin
par excellence, sont celles sur les boîtes de fromage. La référence
politique liée à la vache est morte ; les politiciens français
citadins ne sont plus intimidés [par la vache].
LE
TABOU DE L’ARGENT : « Pour vivre heureux, vivons
cachés » dit le proverbe français. Peu de choses étaient
plus cachées que les contacts entre les présidents et les
riches. François Mitterrand et Jacques Chirac avaient des amis
fortunés, mais sachant que les Français ont tendance à penser
que fortune équivaut vol, ou quelque chose de ce genre, ils ont
gardé ces liens au calme. Sarkozy avec ses Rolexes et son
penchant pour les yachts des amis millionnaires a annoncé que
l’argent est O.K.
LE
TABOU CULTUREL : Pour gérer
la France
, tu dois être cultivé. Les références livresques de
Mitterrand et ses expressions obscures (« un président doit
savoir comment s’ennuyer ») l’ont positionné comme trop
intelligent pour être contesté. Chirac avait une passion pour le
Japon. La culture – comme les vaches, mais à un niveau différent
– connectait le président au Gaulois éternel. Sarko, un mordu
des films américains, est plus à l’aise avec Johnny Hallyday
que Jean-Paul Sartre.
LE
TABOU DU MOYEN ORIENT : Les traditions et les liens français
forts au Moyen Orient impliquaient une froideur envers Israël.
Chirac a laissé glisser qu’une bombe nucléaire iranienne
pourrait être acceptable avant de dire qu’il s’était mal
exprimé. Maintenant Sarkozy, franc dans son soutien à Israël, déclare
que « la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran »
peut être l’imminent terrible choix ; son ministre des
affaires étrangères dit que le monde devrait « se préparer
pour le pire » en Iran, voulant dire la guerre. L’Iran
n’est pas un pays arabe, mais ces expressions trahissent un
changement dans la politique arabe.
LE
TABOU RUSSE : Moscou servait de contre pouvoir aux
Etats-Unis pour la France. Durant beaucoup d’années de la
guerre froide, la gauche française luttait pour décider qui était
pire : le totalitarisme soviétique ou l’impérialisme américain.
Certains de la droite française étaient aussi indécis. Plus
tard, Chirac suggéra que « le néo-libéralisme » -
les forces non entravées du marché – était aussi dangereux
dans le 21e siècle que le totalitarisme dans le 20e
siècle. Cette équivalence morale molle a souvent placé Paris à
mi-chemin entre Washington et Moscou. Sarkozy est clair : La
démocratie américaine l’emporte sur l’autoritarisme russe,
tout comme la liberté US a battu l’asservissement soviétique.
LE
TABOU DU TRAVAIL : Travailler dur pour devenir riche
n’était pas gaulois. Travailler moins – une semaine de 35
heures – pour être heureux (en théorie) était français.
Sarkozy fait l’éloge maintenant de ceux qui « se lèvent
tôt ». Dans le pays de « Je pense, donc je suis »,
son ministre de l’économie déclare : « Assez pensé
maintenant, retroussons nos manches ». Le slogan du
Sarkoland est : « Je travaille, donc je suis ».
LE
TABOU DE L’EXTREME DROITE : Pour des décennies, le xénophobe
Front National de Le Pen prospérait sur un terrain intouchable.
Sarkozy a ébranlé ce parti fanatique avec quelque bigoterie
propre à lui à propos de l’identité nationale française et
de la campagne pour expulser les immigrés clandestins. En même
temps, il a été plus direct que la gauche à propos des problèmes
de la France avec ses immigrés et a nommé Rachida Dati, la fille
d’un ouvrier marocain et d’une femme de ménage algérienne,
comme ministre de la justice.
LE
TABOUDU DE L’OTAN : On parle de la France rejoignant le
commandement militaire intégré de l’alliance, chose impensable
depuis que Charles de Gaulle, fâché, en a retiré le pays en
1966.
LE
TABOU DES GRANDES ECOLES D’ELITE : Le passeport aux offices
du gouvernement était toujours le passage par l’Ecole Nationale
d’Administration, où des futurs ministres acquirent la capacité
ennuyeuse de dire qu’ils avaient sept points à réaliser et de
se les rappeler sans notes. Sarkozy a horreur de tels corps d’élite.
Il préfère un gouvernement intellectuellement plus léger.
La majeure partie de cette action
de briser des tabous est positive car elle a fait tomber
l’hypocrisie française paralysante, a ouvert la voie vers des
discussions libres franco-américaines et a clarifié un possible
chemin pour s’attaquer un chômage élevé chronique.
L’utilisation
calculée de la rhétorique anti-immigrée est troublant, et je
suis inquiet du discours confus sur l’Iran. Mais je
continuerai à embrasser Sarkozy en attendant de voir s’il est
aussi révolutionnaire dans les actions que dans les mots.
http://www.nytimes.com/2007/09/20/opinion/20cohen.html
|