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Questions Critiques
Les dirigeants mentent, les civils meurent et les leçons de
l'histoire sont ignorées
Robert Fisk
Photo CPI
Lundi 29 décembre 2008
article original :
"Robert Fisk: Leaders lie, civilians die, and lessons of history
are ignored"
Nous sommes tellement habitués au carnage au Proche-Orient que
cela nous est devenu indifférent – du moment que nous
n’offensons pas les Israéliens. On ne sait pas au juste combien
de morts à Gaza sont des civils, mais la réponse de
l’administration Bush, sans parler de la réaction pusillanime de
Gordon Brown, réaffirme aux Arabes ce qu’ils savent depuis des
décennies : quelle que soit la façon dont ils luttent contre
leurs antagonistes, l’Occident prendra le parti d’Israël. Comme
d’habitude, le bain de sang est la faute des Arabes – lesquels,
comme nous le savons, ne comprennent que la force.
Depuis 1948 sans discontinuer, nous avons entendu ces balivernes
de la part des Israéliens – exactement comme les nationalistes
arabes et ensuite les islamistes ont colporté leurs propres
mensonges : que le « wagon de la mort » sioniste sera plein à
craquer, que toute Jérusalem sera « libérée ». Et comme
toujours, M. Bush père, M. Clinton, M. Bush fils, M. Blair et M.
Brown ont appelé les deux camps à faire preuve de « modération »
– comme si les Palestiniens disposaient de F-18, de chars
Merkava et d’une artillerie, au même titre que les Israéliens.
Les roquettes artisanales du Hamas ont tué exactement 20
Israéliens en huit ans, mais un bombardement aérien typique par
Israël tue 300 Palestiniens en une seule journée.
Les éclaboussures de sang ont leur propre logique. Oui, le Hamas
a provoqué la colère d’Israël, de la même manière qu’Israël
avait provoqué la colère du Hamas, qui était provoquée par
Israël, qui était provoquée par le Hamas, qui… Vous voyez où je
veux en venir ? Le Hamas tire des roquettes sur Israël, Israël
bombarde le Hamas, le Hamas tire plus de roquettes et Israël
bombarde à nouveau et … Pigé ? Et nous exigeons la sécurité pour
Israël – à juste titre – mais nous négligeons le fait que ce
massacre de la part d’Israël est massif et totalement
disproportionné. Madeleine Albright avait déclaré autrefois
qu’Israël était « assiégé » — comme si les chars palestiniens
étaient dans les rues de Tel Aviv.
Dès la nuit dernière, le taux de change mortifère s’établissait
à 296 Palestiniens pour un Israélien. En 2006, il était de 10
Libanais pour un Israélien. Ce week-end a connu la plus grande
envolée en une seule journée de ce « taux de change » depuis –
la guerre de 1973 ? La guerre des Six-Jours ? La guerre de Suez
de 1956 ? la guerre d’indépendance / Nakba de 1948 ? C’est
obscène, c’est un jeu horrible – d’ailleurs, Ehoud Barak, le
ministre israélien de la défense, l’a reconnu inconsciemment le
week-end dernier sur Fox TV. « Notre intention est de changer
complètement les règles du jeu », a déclaré Barak.
Parfaitement ! Seulement, les « règles » du jeu ne changent pas.
C’est un glissement supplémentaire du taux de change mortifère
arabo-israélien, un glissement plus brutal que les actions qui
s’effondrent à Wall Street, mais cela n’intéresse pas beaucoup
les Etats-Unis, lesquels — souvenons-nous — ont fabriqué les
F-18 et les missiles Hellfire que l’administration Bush suggère
à Israël d’utiliser avec modération.
Un assez grand nombre de morts du week-end dernier semble avoir
été parmi les membres du Hamas, mais qu’est-ce que cela est-il
censé résoudre ? Le Hamas va-t-il déclarer : « Hou là ! ce
bombardement est redoutable — nous ferions lieux de reconnaître
l’Etat d’Israël, de nous accorder avec l’Autorité Palestinienne,
de déposer les armes et de prier que nous serons faits
prisonniers, que nous serons enfermés indéfiniment et de
soutenir un nouveau ‘processus de paix’ américain au
Proche-Orient ! » Est-ce cela que les Israéliens, les Américains
et Gordon Brown pensent que le Hamas va faire ?
Oui, souvenons-nous du cynisme du Hamas, du cynisme de tous les
groupes armés islamistes. Leur besoin en martyrs musulmans leur
est aussi crucial que les Israéliens ont besoin de les créer. La
leçon qu’Israël croit donner — soumettez vous ou nous vous
écraserons — n’est pas la leçon que le Hamas reçoit. Le Hamas a
besoin de la violence pour mettre en évidence l’oppression subie
par les Palestiniens — et il compte sur Israël pour la fournir.
Quelques roquettes tirées sur Israël et Israël s’exécute
obligeamment.
Pas un murmure de la part de Tony Blair, l’envoyé pour la paix
au Proche-Orient qui ne s’est jamais rendu à Gaza depuis qu’il a
endossé cette fonction. Pas un seul mot !
Nous entendons le refrain israélien habituel. Le Général Yaakov
Amidror, l’ancien chef de la « division de recherche et
d’évaluation » de l’armée israélienne a annoncé « qu’aucun pays
dans le monde ne laisserait ses citoyens être les cibles
d’attaques à la roquette sans prendre des mesures vigoureuses
pour les défendre. » C’est assez juste. Mais lorsque l’IRA
[l’Armée Républicaine Irlandaise] tirait des obus de mortier
par-dessus la frontière sur l’Irlande du Nord, lorsque leurs
guérilleros traversaient cette frontière pour attaquer des
postes de police et des protestants, la Grande-Bretagne a-t-elle
déchaîné la RAF sur la République
d’Irlande ? La RAF a-t-elle bombardé des églises, des dépôts de
carburant, des postes de police et a-t-elle dégommé 300 civils
pour donner une leçon aux Irlandais ? Non, elle ne l’a pas fait.
Parce que le monde aurait considéré cela comme une attitude
criminelle. Nous ne voulions pas nous abaisser au niveau de
l’IRA.
Oui, Israël a droit à la sécurité. Mais ces bains de sang ne
l’apporteront pas. Depuis 1948, les attaques aériennes n’ont pas
protégé Israël. Depuis 1975, Israël a bombardé le Liban des
milliers de fois et pas un seul de ces bombardement n’a éliminé
le « terrorisme ». Alors, quelle a été la réaction la nuit
dernière ? Les Israéliens menacent de procéder à des attaques
terrestres. Le Hamas attend une nouvelle bataille. Nos
politiciens occidentaux font l’autruche. Et quelque part à l’Est
— dans une grotte ? Une cave ? A flanc de montagne ? – un homme
bien connu arbore un large sourire enturbanné. Traduit
de l'anglais par [|JFG/QuestionsCritiques]
Publié le 30 décembre 2008 avec l'aimable
autorisation de Questions Critiques
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