Opinion
Le « Printemps arabe » bilan d'un
avortement
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 23 mai 2012
CHACUN Y VA
DE SON COUPLET
Peut-on tirer un bilan précis et
concis de ce vaste mouvement populaire
qui a nom le « Printemps arabe
» (2011-2012) ? Oui certainement.
Philosophes, journalistes, politiciens
de droite comme de gauche, experts de
tout poil et analystes arabophiles comme
arabophobes tous tentent de présenter un
bilan de ce mouvement diachronique. S’y
essaient également les partisans et
alliés des peuples arabes résistants et
outrageusement dupés, réprimés,
assassinés dans une dizaine de pays qui
ont connu des soulèvements d’intensité
et de durée variables que les médias
mystifient à l’envi (1).
Il n’y a pas eu ‘un’
mais plusieurs « Printemps arabe »,
c’est-à-dire que le « Printemps arabe »
s’est déroulé selon quelques scénarios
différents, parfois issu de soulèvements
spontanés, comme un cri de révolte d’un
peuple pressuré, désœuvré, affamé.
Parfois, le soulèvement fut téléguidé de
l’extérieur par des puissances
étrangères qui utilisaient la grogne
populaire pour l’endiguer, l’orienter et
se servir des révoltés comme chair à
canon dans leurs desseins de soumission,
de règlement de compte
inter-impérialiste visant à
changer la garde au pouvoir dans un pays
ou dans un autre, les dirigeants en
place étant trop discrédités pour donner
le change et rassembler la
populace autour de leur projet
compradore (Ben Ali, Moubarak, Saleh).
Dans le cas de la Libye,
le soulèvement fomenté et dirigé a servi
à arracher un pays des griffes d’une
puissance impérialiste pour mieux le
placer sous la coupe de ses nouveaux
maîtres ; le peuple libyen n’a nullement
bénéficié de ce vent de fronde et cette
jacquerie manipulé et aujourd’hui il
souffre sous la coupe de chefs de clans,
de bandits, de mercenaires et d’affidés
réactionnaires placés là par leurs
maîtres dont l’un (Sarkozy) vient de
recevoir son congé du peuple français
déprimé.
BILAN PAR
CLASSE SOCIALE
Chaque classe sociale établit son
propre bilan de ce « Printemps arabe »
aux multiples visages. La grande
bourgeoise compradore à la solde de
l’Alliance Atlantique (France,
Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis) ou à
la solde de l’Alliance de Shanghai
(Chine et Russie) s’essuie le front. Les
capitalistes nationaux ont eu chaud, ces
poltrons ; certains ont été tués, démis,
emprisonnés, quelques-uns sont en exil ;
d’autres ont dû abandonner les affaires
et les derniers ont été forcés de se
planquer en attendant une accalmie qui
leur permettra de sortir de leur tanière
pour rapatrier leurs « affaires » dans
leur nouvelle patrie. Dans
l’ensemble, la grande bourgeoise arabe
compradore a partout conservé le pouvoir
et ses avantages mais elle a dû se
résigner à effectuer un changement de la
garde ou promettre quelques réformettes
avant de revenir aux affaires
de leur galère de misère.
D’autres ploutocrates, les plus
nombreux finalement, sont restés dans
les coulisses du pouvoir comptant se
remettre en selle sous de nouveaux
oripeaux tout neufs. Ce sont ceux-là que
les partisans égyptiens dénoncent dans
les rues du Caire depuis quelque temps.
Ce sont ceux-là que les manifestants
tunisiens ont boudés lors des dernières
élections dans ce pays. Pareil au
Yémen et au
Bahreïn où le clan saoudien n’a
pas permis à la jacquerie locale de
déposer le Roi al-Khalifa (2).
Les jeunes étudiants et chômeurs
militants, ceux qui ont amorcé le
mouvement du « Printemps arabe », ont
bien compris que, laissés à eux-mêmes
sur les réseaux sociaux, sans
orientation idéologique révolutionnaire,
assujettis aux manipulations médiatiques
de la grande bourgeoise nationale et
internationale et de la moyenne
bourgeoisie locale ils ne pouvaient
aller très loin. Faut-il rappeler que
c’est Hillary Clinton, Secrétaire d’État
américaine, qui a annoncé au monde
incrédule que l’objectif des
soulèvements arabes était d’obtenir le
privilège d’élections libres permettant
à chacun de choisir sa marionnette
nationale préférée, discours ensuite
colporté par les « twitters »
inconscients et tous les médias
bourgeois de la Terre parfaitement
conscients ceux-là.
Assujettis aux manipulations de la
petite bourgeoise paupérisée et de la
gauche opportuniste, à l’affût et trop
heureuse de s’emparer de la direction
des mouvements pour les diriger
vers le cul-de-sac électoral pseudo
démocratique bourgeois, les
jeunes et les moins jeunes ont vite
perdu le contrôle de leurs soulèvements
(3).
La grande bourgeoisie arabe a pu
sauver sa mise – non sans peine
toutefois. Monopolisant le pouvoir
politique, judiciaire et militaire (le
pouvoir économique demeurant dans les
mains des puissances impérialistes
néocoloniales) elle était la seule
classe qui pouvait perdre quoique ce
soit dans l’échauffourée.
La petite bourgeoisie est la classe
qui a temporairement amélioré sa
condition sociale dans cette agitation
nationale. Mais pour un temps seulement.
Attendez que les oligarques reprennent
le contrôle de ces parlements et
gouvernants à la solde – sachant que par
ailleurs ils n’ont jamais perdu le
contrôle de leurs armées.
La petite bourgeoisie, dont les
filles et les fils diplômés sont au
chômage, est une classe en cours
d’appauvrissement. Frappée par les
crises en rafale du système capitaliste
mondial, la petite et la moyenne
bourgeoise nationale arabe étaient au
cœur de ces soulèvements. L’économie
nationale des pays arabes étant dominée
et spoliée par les pays impérialistes du
Nord, cette classe sociale fragile et
instable n’a pas accès aux prébendes,
aux bakchichs, aux hauts postes
gouvernementaux, judiciaires et
militaires lucratifs, ni à la propriété
foncière réservées aux compradores. La
petite et la moyenne bourgeoise sont
donc menacées d’éradication tout comme
leurs cousins dans les pays du Nord. Le
« Printemps arabe » lui a permis de
multiplier les partis politiques
bourgeois et « d’assainir » les mœurs
électorales locales, de les rendre
presque conformes au modèle occidental.
En Égypte, en
Tunisie, au
Yémen, en Libye,
au Maroc, en
Jordanie, suite aux réformes
électorales promises, les multiples
partis politiques de la petite et de la
moyenne bourgeoise de droite comme de
gauche espèrent avoir désormais accès à
l’assiette au beurre, soit par le jeu
d’alternance des partis au pouvoir, soit
que les nouveaux chefs d’État devront
pour gouverner s’appuyer sur des
coalitions de partis où ils espèrent que
leur poulain trouvera sa niche et ses
bakchichs.
LE CAS SYRIEN
En Syrie,
l’insurrection téléguidée depuis Paris,
Londres, Berlin, Washington, Ryad et
Doha ayant échoué, la réforme annoncée
ne permettra peut-être pas l’alternance
tant souhaitée. L’assiette au beurre
risque de demeurer entre les mains de la
dynastie Assad ; cela ne concerne que le
peuple syrien et pas du tout les
mercenaires payés par les royaumes du
Qatar et d’Arabie
Saoudite infiltrés dans le pays
pour y fomenter agitation armée et
assassinats, meurtres et crimes de
guerre terroristes (4).
Ici, il faut comprendre que le «
Printemps arabe syrien » marque un
événement historique d’importance. C’est
la première fois que l’Alliance
eurasiatique (Moscou), alliée
de l’Alliance de Shanghai
(Pékin), a affronté avec succès
l’Alliance Atlantique
dirigée par les États-Unis et ses alliés
de l’Union européenne
(Paris-Berlin-Londres). Précédemment, en
Irak, en Afghanistan,
au Soudan, en Côte
d’Ivoire et en Libye,
les alliances impérialistes des pays
d’Asie avaient cédé et s’étaient laissé
dépouiller des richesses des pays qui
leur étaient assujettis. En
Syrie, pour la première fois,
les alliances concurrentes ont tenu tête
à l’Alliance Atlantique, ce qui reflète
le déplacement déjà amorcé du pouvoir
économique en faveur de la Chine, le
créancier de l’Occident. Cela indique
également que désormais Pékin et Moscou
n’entendent plus se laisser dépouiller
de leurs zones de domination.
Dorénavant, les guerres de rapine
inter-impérialistes risquent d’être de
plus en plus âpres et meurtrières pour
les peuples des pays convoités.
Experts et analystes en tout et en
rien du tout, retenez cette leçon avant
de colporter tous les ragots et
agitations émanant de l’État-major
israélien et du bouffon Netanyahu –
l’excité – à propos de l’Iran que ce
misérable nabot menace sans cesse
d’attaquer pendant que la caravane
iranienne passe son chemin,
indifférente. La guerre d’Iran, si elle
a lieu finalement, mettra aux prises le
géant impérialiste militaire américain
sur son déclin contre le géant chinois
ascendant et son allié russe nucléarisé
et en cours de reconstruction.
L’histoire s’écrit devant vos yeux si
vous osez regarder – mais il ne faut pas
regarder le sous-fifre à Jérusalem –
mais à Washington, Pékin, Moscou et
Berlin, les capitales impérialistes
mondiales. Le monde change et le «
Printemps arabe » s’inscrit dans cette
mouvance.
LA CLASSE
OUVRIÈRE ARABE
Pour sa part, le prolétariat
arabe ne s’est pas vraiment mis
en mouvement pendant ces événements. Ce
prolétariat garde fraiche en mémoire la
trahison des partis de gauche engagés
depuis des décennies dans une course
folle pour participer aux mascarades
électorales et arracher, espèrent ces
partis de la petite bourgeoisie,
quelques sièges bien rémunérés dans les
parlements graciés. La classe ouvrière
arabe a regardé passer cette esbroufe
meurtrière mais sans vraiment y engager
le gros de ses « armées » de classe.
Voilà pourquoi ce qui aurait pu devenir
un Printemps arabe rouge des quartiers
ouvriers est demeuré un Printemps arabes
vert tendres des palmeraies ombragées.
La classe ouvrière arabe, sans
direction révolutionnaire, préférait
voir venir et observer la situation.
Elle a vite convenu que son heure
n’était pas venue. Elle n’aurait
finalement rien gagné de toute cette
agitation tout comme les pauvres et les
malandrins, pas davantage que les femmes
arabes qui ont vu leur situation sociale
empirer dans certains pays menacés par
l’orbe islamiste manipulée par le grand
capital impérialiste.
La bourgeoisie et la petite
bourgeoisie nationaliste arabes qui ont
mis leurs œufs dans le panier islamiste
se sont cru obligées de manifester leur
intransigeance, leur foi musulmane et
leur piété coranique afin d’obtenir le
soutien et les crédits des sectes
Wahhabites fanatiques d’Arabie
Saoudite et du Qatar
si bien que les femmes et les jeunes
filles se font proposer un retour en
arrière – éphémère soyez sans crainte.
L’histoire ne retourne jamais sur ses
pas, un pays où la femme a connu un
début d’émancipation ne reviendra jamais
sous la dictature des mollahs et des
imams. Mais les femmes arabes ayant subi
ces « Printemps arabes verts tendres des
palmeraies parfumées » avortés devront
se mobiliser pour faire reculer ces
va-nu-pieds qui prétendent les enfermer
et les voiler. C’est le devoir de la
classe ouvrière arabe d’épauler
solidement les femmes arabes dans leur
résistance. Sinon, la petite et moyenne
bourgeoise s’emparera de cette lutte
pour l’orienter dans le sens d’un
affrontement inter-sexe (hommes contre
femmes) alors que c’est une bataille
anti-impérialiste qui s’amorce contre
des puissances qui souhaitent assujettir
les femmes arabes pour mieux les
exploiter.
Elles sont légion présentement – les
féministes petite-bourgeoises – à
parcourir l’Occident réduisant cette
lutte à l’opposition contre le voile.
Elles ne mobiliseront pas les femmes des
peuples arabes contre l’exploitation et
l’oppression impérialiste par cette
revendication d’arrière banc mais qui
permet à notre petite-bourgeoisie locale
de se donner bonne conscience.
Pourquoi l’Algérie
n’a-t-elle pas connu de soulèvement
conséquent, pas plus que
l’Arabie Saoudite, Oman,
les Émirats Arabes Unis
et le Liban ? Chacun de
ces cas est particulier.
Il ne faut pas oublier que l’Algérie
a connu son printemps arabe bien avant
tous les autres, il y a plus d’une
dizaine d’années et l’armée, après avoir
beaucoup massacré la population
algérienne, est finalement intervenue
lors d’une élection démocratique que les
islamistes s’apprêtaient à gagner
démocratiquement, ce qui déclencha une
saignée terroriste et militaire
terroriste parmi le peuple algérien.
Pour les Algériens, le « Printemps arabe
» sentait le réchauffé, et ils ne s’y
sont pas engagés. En Arabie
Saoudite, à Oman,
au Koweït et
dans les Émirats Arabes Unis,
les dictatures fascistes des tribus au
pouvoir et l’immense rente pétrolière
ont permis d’écraser toute velléité de
soulèvement et les opposants, déjà sous
les verrous glacés des Kasbah emmurées,
n’ont même pas songé à organiser de tels
soulèvements. De plus, les puissances
impérialistes des alliances concurrentes
ne sont pas encore en mode
insurrectionnel téléguidé pour disputer
ces pays à la domination de l’Alliance
Atlantique, seule souveraine sur les
terres saoudiennes.
Au Liban, le pays
avait lui aussi connu son « Printemps
arabe » il y a de nombreuses années,
quand le pouvoir avait été contesté par
les clans et les factions chrétiennes,
chiites, sunnites et druzes si bien que
ces soulèvements d’étudiants et de
chômeurs désorganisés, désorientés, ou
encore manipulés de l’extérieur n’ont
pas trouvé preneur dans ce pays hyper
politisé, organisé, militarisé et armé
ayant une longue expérience
révolutionnaire.
Il en fut de même en
Palestine occupée, repliée sur
elle-même, pansant ses multiples plaies
sous le joug meurtrier
sioniste-fasciste. Le peuple palestinien
refait ses forces présentement. Il
accumule de l’énergie révolutionnaire et
se prépare à d’autres soulèvements –
Intifada – quand le temps sera venu,
c’est-à-dire quand la conjoncture
mondiale aura grandement affaibli la
puissance de tutelle d’Israël –
protectorat américain – qui se sentira
alors délaissé, abandonné au milieu du
désert arabe au fond de la Méditerranée
polluée (5).
Le « Printemps arabe
vert tendre des palmeraies
ombragées », version 2011-2012,
fut une répétition en prévision de la
véritable révolution à venir. Pour
l’instant les différentes classes
sociales se sont jaugées, appréciées,
mesurées et elles tirent présentement le
bilan de ces affrontements. Si le
prolétariat arabe peut faire surgir de
son sein un leadership révolutionnaire
conséquent, bien orienté politiquement
pour la prise de pouvoir totale, et
vraiment discipliné, la prochaine manche
risque de ressembler à toute autre chose
que ce qu’on a observé pendant ces deux
années d’échauffourées.
(1)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Printemps_arabe
et
http://www.legrandsoir.info/printemps-arabe-tunisie-l-art-d-avancer-en-arriere.html
(2)
http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=27422
et
http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article5404
(3)
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/le-ni-ni-en-syrie-c-est-oui-oui-a-113616
et
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=28409
(4)
http://libanresistance.blogspot.fr/2012/05/lepeuple-syrien-fait-face-une-guerre.html
(5)
http://www.lnr-dz.com/index.php?page=details&id=5694
et
http://www.alterinfo.net/LA-DERNIERE-TRAHISON-DE-LA-CAUSE-PALESTINIENNE_a70201.html
Publié sur
Les 7 du Quebec
Le sommaire de Robert Bibeau
Les dernières mises à jour
|