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Blog René Naba
Syrie-Sommet arabe: Le
contournement du dernier récalcitrant arabe
René Naba
 Paris le,
19 mars 2008
Paris- La Syrie est, à son tour, sur la
sellette, après l'Irak qui a implosé en 2003, la Libye qui s'est
caramélisée, en 2006, dans la foulée de sa reddition au diktat
américain pour sauver son révolutionnaire dirigeant Mouammar
al-Kadhafi et l'Egypte qui s'est neutralisée et marginalisée du
fait de sa cavalcade solidaire dans sa pactisation avec Israël,
en 1979.
L'éternel trouble fête de la politique arabe fait l'objet
d'une manœuvre de contournement de la part des grands pays
arabes en vue de provoquer sinon l'effondrement du régime
baasiste, à tout le moins à le forcer à rompre avec son allié
iranien et à annoncer sa reddition au nouvel ordre américain que
les Etats-Unis et leurs grands alliés régionaux, l'Arabie
saoudite et l'Egypte, tentent vainement d'instaurer au
Moyen-Orient depuis le début de la présidence de George Bush il
y a huit ans.
Unique pays se réclamant de la laïcité dans le Monde arabe,
mais partenaire stratégique de l’Iran, l’unique régime
théocratique se réclamant du chiisme, la branche rivale du
sunnisme, segment dominant dans les pays arabes, la Syrie est
simultanément et cumulativement accusée d’être un foyer du
terrorisme international, un pivot de l’axe du mal, le
phagocytaire du Liban et de la Palestine, le fossoyeur du
leadership libanais. En un mot le grand perturbateur d’une
paisible et riante zone par excellence: le Moyen-Orient. Une
thèse relayée sans retenue et avec une belle unanimité par les
grands médias occidentaux tant dans la presse audiovisuelle que
dans la presse écrite, tant par les intellectuels médiatiques
que par les scribouillards besogneux.
Pointée du doigt pour sa responsabilité présumée mais non
avérée dans l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais
Rafic Hariri, la Syrie est mise en quarantaine diplomatique par
les Etats-Unis, frappée d’un boycottage de fait des grands pays
arabes qui lui imputent la vacance du pouvoir au Liban,
régulièrement soumise de surcroît, en toute impunité, à des
coups de butoir d’Israël, tantôt par un mystérieux raid aérien
au dessus du nord syrien, à l’automne 2007, tantôt par
l’assassinat sur son sol d’un chef militaire du Hezbollah Imad
Moughniyeh, le Maître d’oeuvre des opérations anti-occidentales
au Moyen-orient depuis vingt ans.
Mais ce paria là, selon le schéma occidental, se trouve être
en phase avec la multitude des «laissés pour compte» de la paix,
à tout le moins perçu comme tel au delà des turpitudes dont il
peut être à tort ou à raison crédité, qui voient en lui l’ultime
porteur de la revendication nationaliste arabe, à une période de
l’histoire marquée par une déperdition identitaire et une
religiosité régressive. Redoutable honneur qui lui vaut
l’hostilité sans nuances des pays qualifiés de «modérés » dans
le jargon diplomatique et médiatique occidental, principalement
l’Arabie saoudite, l’Egypte, la Jordanie c'est-à-dire les
régimes affligés des mêmes tares d’autoritarisme, de népotisme
et de corruption que le régime syrien mais que leur alignement
docile au camp occidental exonère de toute critique.
1ère séquence (1966-1976): Le Roi Saoud et le coup de
force anti-baasiste du colonel Salim Hatoum
D’emblée, le régime baasiste syrien dirigé par les Alaouites,
une secte minoritaire de l’Islam, a été perçu comme un
usurpateur, comme frappé d’une tare congénitale et fera l’objet
de menées hostiles en conséquence. A sa naissance en 1966, alors
qu’Israël entreprenait le détournement des eaux du Jourdain pour
anticiper ses besoins hydrauliques futurs, opération qui
relevait théoriquement d’un acte manifeste de casus belli, le
Roi Saoud d’Arabie, hanté par le prestige du président égyptien
Nasser et désireux de détourner les regards sur la corruption du
Royaume, se lance dans une opération de déstabilisation de la
jeune équipe baasiste de Syrie fraîchement parvenue au pouvoir.
L’opération saoudienne de diversion est particulièrement
malvenue en pleine ébullition nationaliste consécutive au
détournement des eaux du Jourdain. Les révélations d’un des
participants sur une contribution royale saoudienne de l’ordre
d‘un million de dollar à la conjuration dirigée par un colonel
félon syrien Salim Hatoum et fomentée par le futur premier
ministre jordanien Wasfi Tall, à l’époque membre de
l’Intelligence Service britannique (1) entraîne l’éviction de
Saoud au profit de Fayçal au trône d’Arabie, sans que cette
sanction ne calme le courroux égyptien. Victime collatérale des
conflits de puissance, Kamel Mroueh, le fondateur du journal
«Al-Hayat», le chantre de la coopération saoudo-américaine, est
assassiné en 1966 par un fier à bras de Beyrouth à l’occasion du
10me anniversaire de l’agression tripartite
franco-anglo-israélienne de Suez contre Nasser, le chef
charismatique du nationalisme arabe et adversaire résolu de la
dynastie wahhabite.
Une trêve de seize ans s’installe à la faveur de la guerre de
1967 et la montée en puissance de la guérilla palestinienne
qu’il importait de juguler, que la Syrie s’appliquera à mettre
au pas d’ailleurs, puis celle d’octobre 1973 et de la montée en
puissance des pétromonarchies du Golfe consécutif à l’embargo
pétrolier et au quadruplement du prix du pétrole. Une période au
cours de laquelle le nouveau maître de la Syrie, le général
Hafez al-Assad, apparaît comme le meilleur garant des intérêts
occidentaux au Liban: Appelée en renfort des milices chrétiennes
au Liban, l’armée syrienne participe au siège du camp
palestinien de Tall Zaatar, favorisant son éradication, en Août
1976, n’hésitant pas un instant à briser l’élan révolutionnaire
du camp palestino-progressiste avec l’assassinat dans une zone
sous contrôle syrien du chef de la coalition, le dirigeant druze
du parti socialiste progressiste, M. Kamal Joumblatt.
Curieusement les pays occidentaux continueront de couvrir
d’éloge l’irakien Saddam Hussein, malgré ses turpitudes et
d’opprobre son rival syrien Hafez al-Assad, malgré ses gestes de
bonne volonté répétitives à l’égard de l’Occident.
2ème séquence (1976-1986) Fahd et la révolte des
Frères Musulmans de la ville syrienne de Hama.
Faysal, réservé à l’égard des Américains, s’était juré
d’aller prier à Jérusalem libérée. Il sera assassiné par l’un de
ses neveux, en 1976. Son successeur effectif, -après le bref
interrègne du Roi Khaled, sobre et malade-, Fahd, à la jeunesse
débridée, donnera libre cours à son amour immodéré pour son
protecteur américain et les délices de la vie occidentale.
Frappé d’hémiplégie, en 1995, il sera maintenu sous perfusion
pendant près de dix ans gouvernant en état léthargique son
royaume à une période charnière de l’Histoire contemporaine
marquée notamment par les attentats antiaméricains du 11
septembre 2001, la guerre d’Afghanistan et la guerre d’Irak
(2003). Mais entre temps que de signalés services rendus à son
maître américain, au détriment de la plus élémentaire solidarité
arabe, qui explique sans pour autant justifier son maintien en
survie artificielle pendant une décennie (1995-2005).
Prise en tenaille par Israël et la Turquie, barrée par son
rival baasiste l’Irak de Saddam Hussein, la Syrie s’appliquera à
desserrer l’étau dans une alliance de revers avec l’Iran,
l’ancien gendarme américain du Golfe, devenu sous le régime
Khomeiniste, le nouveau croquemitaine des pétromonarchies du
Golfe. Mal lui en prit. En 1982, dans la foulée de l’annexion de
Jérusalem, en décembre 1981, alors qu’Israël se préparait à
porter au pouvoir son protégé libanais le chef phalangiste
Bachir Gemayel, une révolte est fomentée, à Hama, dans le nord
de la Syrie, par les «Frères Musulmans», l’organisation
clandestine financée par l’Arabie Saoudite, en février 1982, à
quatre mois de l’invasion israélienne du Liban, déclenchant une
sévère répression qui fera selon des informations de presse
plusieurs milliers de morts. C’est Damas qui sera blâmée par la
communauté internationale pour sa férocité et non l’Arabie
saoudite qui attisait le feu intégriste. C’est le président
Hafez al-Assad en personne qui sera pointé du doigt et non son
propre frère, le Général Rifaat al-Assad, le chef des brigades
de la défense, la garde prétorienne du régime, l’ordonnateur des
massacres.
Ce frère cadet du président syrien, un homme aux multiples
ramifications et trafics qui sera banni par la suite de son
pays, mais continuera de bénéficier curieusement de la
mansuétude occidentale sans doute en raison de ses alliances
matrimoniales avec la famille Fustock qui fera de lui, le beau
frère de l’actuel roi Abdallah d’Arabie et du député maronite
libanais Nassib Lahoud, perpétuel candidat à la présidence
libanaise. C’est la Syrie alaouite enfin qui sera déclarée
«ennemi de l’Islam» pour avoir maté une rébellion
fondamentaliste que toutes les armées du monde aussi bien arabes
qu’occidentales pourchassent désormais au nom de la «guerre
contre le terrorisme». La Syrie couverte de plumes et de
cendres, alors que l’Algérie, l’Egypte, le Maroc et la Tunisie,
sont magnifiés pour avoir éradiqué l’intégrisme tandis que
l’Arabie fondamentaliste est couverte d’éloges pour ses présumés
progrès dans de parcimonieuses réformes démocratiques.
Dans ce climat d’opprobre généralisé, la Syrie présente au
Liban depuis 1976 à la demande des chefs maronites en mauvaise
posture à l’époque, sera contrainte à retirer se troupes, en
juin 1982, dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban.
Une décennie infernale (1979-1989) s’ouvre alors à l’Occident au
Moyen Orient: Destitution du chah proaméricain et assaut contre
les Lieux Saints de la Mecque, en 1979, assassinat de l’égyptien
Sadate, pactiseur d’Israël, en 1981, mise en échec du traité de
paix libano-israélien, en 1983, attentats contre les QG
occidentaux à Beyrouth, en 1984, spirale des otages occidentaux
au Liban (1984-1988), attentats de Paris (1986-1988). Une
décennie infernale qui s’achève avec la chute du Mur de Berlin
(1989) l’implosion de l’Union soviétique et l’affirmation de
l’Imperium américain sur le plan mondial, l’hégémonie
israélienne sur le plan régional et, sur le plan arabe, la
prépondérance saoudienne sous la tutelle des Etats-Unis.
3ème séquence (1986- 2006) - L’Arabie redécouvre les
vertus de l’Arabisme
L’Arabie saoudite, le plus intransigeant ennemi d’Israël sur
le plan théorique, aura opéré le plus grand détournement du
combat arabe, soutenant l’Irak contre l’Iran dans la plus longue
guerre conventionnelle de l’histoire contemporaine (1979-1988),
le détournant du coup du champ de bataille principal, la
Palestine, déversant des milliards de dollars, et, surtout,
déroutant la jeunesse arabe et musulmane vers l’Afghanistan, à
des milliers de km du champ de bataille palestinien, contre un
ennemi athée certes mais allié des Arabes, l’Union soviétique,
le principal fournisseur d’armes de pas moins de six pays arabes
(Syrie, Irak, Algérie, Libye, Soudan et Yémen), un utile
contrepoids en somme à l’hégémonie américaine.
L’Organisation de Libération de la Palestine, éradiquée du
Liban, cède la place à des guérilleros d’un type nouveau les
combattants islamistes chiites, le Jihad islamique, puis le
Hezbollah, galvanisés par les succès de la révolution iranienne
sur le front irako-iranien. La Syrie, boutée hors du Liban, en
1982 s’y redéploie progressivement avec le consentement
américain pour neutraliser la région frontalière
libano-israélienne. Désireuse d’obtenir la caution de la Syrie
pour une intervention contre l’Irak envahisseur du Koweït, en
1990, Washington lui donnera même le feu vert à l’éviction du
chef militaire chrétien libanais le général Michel Aoun, qui
assurait intérimaire de chef de gouvernement, et son
remplacement par Elias Hariri, un président sans relief face au
flamboyant nouveau premier ministre Rafic Hariri (1992), nouveau
parvenu sur la scène libanaise à la faveur de la
financiarisation de la vie publique internationale. Le
milliardaire libano-saoudien, à la carrière météorique, exercera
le pouvoir pendant dix ans, plus qu’aucun président libanais, à
coups de menaces de démission (4 en dix ans), soit en moyenne
une menace tous les 30 mois, dans un rare exemple de confusion
entre la gestion du domaine public et de son de son patrimoine
privé avec les encouragements admiratifs des dirigeants
occidentaux en tête desquels le Président français Jacques
Chirac.
L’attentat du 11 septembre 2001 contre les symboles de
l’hyperpuissance américaine démasque les complicités saoudiennes
dans la montée en puissance de l’intégrisme antioccidental. Bien
que quinze des dix neuf kamikaze ayant participé au raid du 11
septembre soient de nationalité saoudienne, l’administration
Bush, plutôt que de frapper le Royaume Wahhabite, le foyer et le
terreau du fondamentalisme, va répliquer en Afghanistan et en
Irak, les deux points de percussion de la coopération
saoudo-américaine dans la sphère arabo-musulmane à l’époque de
la guerre froide soviéto-américaine, gommant ainsi au passage
toute trace de leurs forfaits antérieurs, se faisant à bon
compte une nouvelle virginité politique sous la bannière de la
lutte pour la promotion de la démocratie dans le monde musulman.
Mais la destruction de l’Irak place paradoxalement la Syrie et
l’Iran en vainqueur a posteriori d’un Saddam Hussein leur plus
implacable ennemi depuis deux décennies, et, par effet
d’aubaine, consacre l’Iran comme puissance régionale de fait. Un
résultat inacceptable pour George Bush, le grand ordonnateur de
ce chaos destructeur pour la population locale et corrosif pour
l’Amérique elle-même.
La Syrie et l’Iran sont placés dans l’axe du mal, Yasser
Arafat est méthodiquement confiné dans son complexe de Ramallah
dans une sorte d’étouffement symbolique de la revendication
nationale palestinienne. Le décès du chef historique de la
Résistance palestinienne au terme de trois ans de confinement
hideux (novembre 2004) , l’élection dans la foulée deux mois
plus tard à Bagdad, l’ancienne capitale des abbassides, d’un
Kurde à la tête d’un Etat irakien doté d’un nouvel emblème aux
couleurs kurdo-israéliennes (Bleu jaune) (Janvier 2005), le
basculement dans le camp américain de Jacques Chirac, le
principal opposant mondial à l’invasion américaine de l’Irak,
accrédite à tort ou à raison l’idée d’une vaste conjuration
occidentale visant à mettre au pas tout récalcitrant à l’ordre
américano-israélien dans la zone (septembre 2004).
A l’instar du journaliste pro saoudien Kamel Mroueh, quarante
ans plus tôt, Rafic Hariri, le meilleur ami du président
français Jacques Chirac, l’homme lige des Saoudiens qui
symbolisait par excellence le ralliement au camp occidental,
sera à son tour une victime collatérale du conflit des
puissances. Il périra carbonisé dans un attentat le 14 février
2005, terrible séisme politique qui met en branle une mécanique
inéluctable contre la Syrie et l’Iran.
Pour la deuxième fois de son histoire, l’armée syrienne est
contrainte de se retirer du Liban. Le principe d’un tribunal à
caractère international est décidé pour juger les assassins de
l’ancien premier ministre libanais, au terme d’une enquête
diligentée par un fonctionnaire missionné par les Nations Unies.
Un tel dispositif, singulier dans les annales judiciaires
internationales, ne sera curieusement pas imposé au Pakistan
lors de l’assassinat de l’ancien premier ministre Benazir
Bhutto, en décembre 2007. Le président pakistanais, il est vrai,
est gratifié du titre d’ «allié majeur des Etats-Unis» dans sa
guerre contre le terrorisme, qui confère à son titulaire une
immunité et le dispense de fastueuses explications. Ce qui n’est
pas le cas de la Syrie et de l’Iran.
Le tribunal international pour le Liban et la menace
potentielle nucléaire iranienne constituent les deux instruments
de la diplomatie occidentale pour amener à résipiscence les deux
réfractaires à l’ordre américain, quand bien même la menace
nucléaire iranienne se trouve au stade virtuel et sa réalité
contestée par les services américains, quand bien même elle est
postérieure de soixante ans à la menace nucléaire israélienne,
bien réelle, qui hypothèque tout règlement qui ne souscrirait
pas au diktat israélo américain.
Israël et les alliés Libanais de l’Amérique subiront
cumulativement revers militaires et camouflets politiques depuis
2006, entravant considérablement la mise au pas du Liban,
au-delà, la Syrie, l’Iran et la portion palestinienne sous
l’autorité du Hamas. C’est ainsi que dans une démarche
symétrique mais non synchronisée, le Hezbollah infligera en
effet à Israël, l’été 2006, un retentissant camouflet militaire,
dont le Hamas s’en inspirera avec succès en mars 2008 au moment
de l’invasion de la bande par les forces d’occupation
israéliennes, alors que parallèlement les dirigeants maronites,
Nassib Lahoud et Amine Gemayel étaient battus répétitivement
dans une compétition électorale, dans leur propre fief du Metn,
par le principal allié chrétien du Hezbollah le Général Michel
Aoun, un échec comparable au revers électoral du président
palestinien Mahmoud Abbas face à ses opposants islamistes. Une
séquence à tous égards calamiteuse pour l’administration
néo-conservatrice américaine.
Le Royaume wahhabite vit comme une rente de situation l’Islam
et le pétrole, les deux vecteurs de sa puissance. Puisant son
magistère moral de la présence sur son sol des principaux Lieux
Saints de l’Islam (La Mecque et Médine), et sa puissance
financière de ses gigantesques réserves énergétiques, il
consacrera l’essentiel de ses efforts à combattre plus qu’aucun
autre pays le nationalisme arabe, mettant sur pied
l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), une structure
de diplomatie parallèle concurrente de la Ligue arabe. Dans la
foulée du revers militaire israélien au Liban, l’été 2006, il se
muera, à la grande stupéfaction de la quasi-totalité des
observateurs internationaux, en parangon de l’Arabisme. Le
chantre de la fraternité islamique pendant trois décennies,
accusera, sans vergogne, la Syrie d’avoir pactisé avec l’Iran,
la perse antique, pays musulman certes mais non arabe. Une tare
indélébile pour le nouveau porte-étendard de l’arabisme
Le «péril chiite» succède alors au «péril rouge»
qu’Américains et Saoudiens avaient combattu sans relâche, les
décennies précédentes. Dans la foulée du revers militaire
israélien au Liban, l’été 2006, l’Arabie se redécouvre arabe
pour se démarquer du triomphe du Hezbollah, la milice chiite
Libanaise. Négligeant son premier vecteur transnational MBC (Middleast
Broadcasting Corporation), elle se sera dotée auparavant d’une
chaîne transfrontière du nom d’«Al-Arabiyah» comme pour mieux
revendiquer son arabité, un terme qu’elle avait pourtant banni
de son lexique diplomatique pendant un demi-siècle. Ce
comportement s’apparente à une mystification. Mais le Royaume
qui aura lancé deux plans de paix pour le règlement du conflit
israélo-arabe (Plan Fahd, en 1982, Plan Abdallah, en 2002), sans
rencontrer le moindre écho tant du côté américain que du côté
israélien, ne déviera jamais, malgré cette rebuffade, de sa
ligne, à savoir l’alliance privilégiée avec le grand protecteur
du principal ennemi des Arabes, Israël, l’usurpateur de la
Palestine au regard d’une large fraction de la population
saoudienne et arabe, faisant droit à toutes ses requêtes sans
hésitation sans la moindre retenue.
Et pour cause. La dynastie wahhabite aura été le principal
bénéficiaire du travail de sape opéré depuis trente ans par les
Américains et les Israéliens pour réduire la résistance du noyau
dur du Monde arabo-islamique: neutralisation de l’Egypte par le
Traité de paix avec Israël (1979), destruction de l’Irak (2003),
étranglement de la Syrie (2004), caramélisation de la Libye
(2005), isolement de l’Iran (2006) au point qu’Israël apparaît
en fin de compte comme le meilleur allié objectif des
Wahhabites, rare conjonction de deux régimes théocratiques dans
le Monde, l’Etat Hébreu n’étant démocratique que pour la
fraction juive de sa population. Dans ce contexte,
l’Organisation clandestine «Al-Qaida» d’Oussama Ben Laden et la
chaîne transnationale arabe «Al-Jazira» apparaissent,
rétrospectivement, comme une excroissance rebelle à l’hégémonie
saoudienne sur l’ordre domestique arabe, tant dans le domaine
politique que sur le plan médiatique
Le sommet de Damas et la concentration navale
américaine au large du Liban
Le Sommet arabe de Damas, le premier de l’histoire
contemporaine à se tenir dans la capitale le syrienne, devrait
symboliquement réunir la Syrie face à tous ses adversaires
réunis. Mais les deux patriarches octogénaires arabes,
l’égyptien Hosni Moubarak hanté par l’obsession de sa sécurité
du fait des nombreux attentats dont il a été l’objet, une
vingtaine en 27 ans de règne, et le saoudien Abdallah, tous deux
préoccupés de leur succession pourraient le boycotter arguant du
blocage de la situation libanaise dont ils imputent la
responsabilité à la Syrie, exclusivement à la Syrie, et non
également à leurs interférences permanentes sur la scène
libanaise d’une intensité comparable à celle de la Syrie,
matérialisée par les injections financières régulières de
l’Arabie pour le réarmement des milices privées sunnites, leur
entraînement en Jordanie et leur encadrement par l’Egypte (2).
La concentration navale américaine au large de Beyrouth a
officiellement pour objet de faire pression sur la Syrie et
l’opposition libanaise pour faciliter l’élection d’un président
de consensus pro-occidental au Liban. Elle vise en fait à percer
la carapace du noyau dur du monde arabo-musulman par son maillon
faible, le Liban où les pays occidentaux disposent d’une large
gamme d’alliés recrutés parmi les anciens chefs de guerre
féodaux et claniques, les Chrétiens Samir Geagea et Amine
Gemayel, le druze Walid Joumblatt ainsi que leur principal
bailleur de fonds, le sunnite Saad Hariri, tous opportunément
reconvertis dans la défense de la Démocratie qu’ils n’ont jamais
pratiqué et la défense des Droits de l’Homme qu’ils ont
constamment bafoués.
Détail piquant qui illustre l’indigence de la «diplomatie du
carnet de chèques» maniée de tous temps par les Saoudiens:
l’homme en charge du dossier libanais en Syrie pendant trente
ans, celui-la même qui était craint par les diverses factions
libanaises et redouté par les chancelleries arabes et
occidentales qui tonnait la foudre et ordonnait les accalmies, à
ce titre responsable au premier chef des dérives syriennes au
Liban, le vice-président de la République syrienne Abdel Halim
Khaddam.
M. Khaddam, le bien nommé, dont le patronyme en arabe
signifie littéralement «le serviteur», reniera singulièrement
son militantisme après avoir abusivement ponctionné le Liban,
opérant par cupidité la plus retentissante reconversion de
l’histoire politique récente, finissant sa vie en factotum de
son coreligionnaire sunnite libanais Rafic Hariri. Le
millardaire libano-saoudien gratifiera amplement ce transfuge de
son reniement en lui offrant la résidence du nabab pétrolier
grec Aristote Onassis sur la plus célèbre artère de la capitale
française, l’Avenue Foch, alors que son pendant français,
l’ancien président Jacques Chirac avait droit à un appartement
avec vue sur Seine Quai Voltaire à Paris. Judas a trahi son
Seigneur pour trente deniers.
D’autres trahisons valent certes leur pesant d’or mais accablent
le renégat d’un discrédit à vie.
Ramollir le noyau dur du Monde arabe par l’invasion
répétitive de Gaza, fief du mouvement islamiste Hamas, le
harcèlement du Hezbollah par des opérations de diversion des
politiciens libanais, la neutralisation de la constellation du
Douwal al Moumanah, l’alliance de fait entre le Hamas
palestinien le Hezbollah libanais, la Syrie et l’Iran qui se
considère comme le système de pré alerte visant à immuniser le
monde arabo-musulman contre le virus de la soumission à
l’hégémonie israélo-américaine. Epuiser le dernier îlot de
résistance en prélude à une éventuelle offensive contre l’Iran
qui donnera la possibilité à George Bush d’opérer une magistrale
culbute, passant, de par son piètre bilan, de pire président des
Etats-Unis, au plus grand génie politique de l’histoire
contemporaine. Donne crédit supplémentaire à cette hypothèse, la
démission à la mi-mars de l’amiral William Fallon, commandant en
chef du commandement central, la zone couvrant l’arc de crise
allant de l’Afghanistan au Maroc, en désaccord avec la stratégie
de l’administration néo-conservatrice.
Le Monde arabe constitue avec l’Amérique latine l’une des
rares de zone de contestation de l’hégémonie américaine. Au delà
des vives critiques fondées et justifiées sur les turpitudes
syriennes, l’hermétisme de son régime, son autarcie, sa
bureaucratie et son népotisme, comparables en cela aux autres
régimes arabes même les plus proches de la grande démocratie
américaine, si l’implosion du Liban venait à surgir entraînant
dans son sillage le collapsus de la Syrie, une longue période de
servitude et de tribalisation s’ouvrirait alors pour les Arabes,
Sunnites et Chiites, Salafistes ou Soufistes, Malekites,
Chaféites, Hanafites ou Hanbalites, Kurdes et Druzes, Alaouites
et Wahhabites, voire même Maronites.
Et Le Liban chéri ne sera plus qu’un «Hariristan» à l’image
du Kurdistan irakien, voire même du bantoustan palestinien que
les Israéliens et les Américains s’appliquent à édifier sur les
lambeaux de la Palestine. Et la perte du Liban sera alors
pleurée comme l’aura été la perte de la Palestine, comme
auparavant la perte de l’Andalousie: abondamment
Avec pour reliquaire, en guise de méditation aux apprentis
sorciers qui sillonnent ce pays depuis si longtemps en toute
impunité, cette apostrophe du poète français Jean Racine:
Pleure, Pleure cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle
Références
1-La Révolution dans la rancoeur» (Editions Julliard 1967),
ouvrage épuisé, du journaliste libanais Edouard Saab, ancien
Rédacteur en chef de l’Orient - Le Jour et ancien correspondant
du journal Le Monde au Liban, tué durant la guerre civile
libanaise.
2-Les étranges alliances des groupes radicaux islamistes.
Enquête sur l’implantation d’Al-Qaida au Liban cf Le Monde
diplomatique-février 2008 de Fida’a Itani
Sur le même thême,
-Cf aussi l’article de Seymour Hersch dans le New Yorker (mars
2007) sur les affrontements du camp palestinien de Nahr el Bared,
nord du Liban, entre l’armée libanaise et des groupés armés
palestiniens sunnites. Affrontements de trois mois
particulièrement meurtriers pour l’armée libanaise qui se sont
achevés par la reddition du camp mais l’évaporation mystérieuse
du chef du commando palestinien,
-ainsi que ”The Middle East, the Gaza Bombshell” by David Rose -
April 2008- Vanity Fair.
©
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L.122-4), et serait sanctionnée par les articles L.335-2 et
suivants du Code.
Publié le 20 mars 2008 avec l'aimable autorisation de René Naba
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