Opinion
Les chefs du CNT
avaient préparé la conquête de l'OTAN
depuis 2007
The
Rebel Griot
Mardi 27 septembre
2011
Une violente
révolte éclatait le 15 février dernier
(1). Six jours après, le ministre libyen
de la justice, Moustafa Abdel-Jalil,
démissionnait pour constituer un
gouvernement provisoire. Le 27 février,
le Conseil National de Transition était
mis en place et le 5 mars cette instance
se déclarait « l'unique représentant de
toute la Libye », sous la direction de
Moustafa Abdel-Jalil. Le 10 mars la
France reconnaissait le CNT comme le
gouvernement légitime de la Libye et ce
même jour la Grande-Bretagne lui offrait
un bureau diplomatique en territoire
britannique. Neuf jours plus tard, le
Conseil créait une nouvelle Banque
Centrale Libyenne et une compagnie
nationale pétrolière libyenne (2). En
moins d'un mois depuis le début de
l'insurrection Abdel-Jalil se
positionnait en chef non seulement des
rebelles mais aussi du nouveau
gouvernement en attente, contrôlant les
ressources libyennes et la politique
monétaire avec la bénédiction de
l'occident. Le 17 mars, l'OTAN entamait
son massacre massif des soldats libyens
afin d'installer son régime.
Il est
clair que des puissances impériales
aussi chevronnées que la
Grande-Bretagne, la France et les
Etats-Unis n'allaient pas s'engager dans
les considérables dépenses d'une
campagne aérienne de longue durée afin
de porter quelqu'un au pouvoir dans un
Etat aussi stratégiquement important et
aussi riche en pétrole sans posséder un
atout sûr et avéré. Alors, qui est
exactement Abdel-Jalil ?
Abdel-Jalil occupe son poste dans le
gouvernement libyen depuis janvier 2007
lorsqu'il fut nommé secrétaire du Comité
général du peuple à la Justice
(l'équivalent de ministre de la
justice). Depuis, il n'a cessé de paver
la voie à la conquête militaire et
économique de la Libye par l'OTAN.
Premièrement, en tant que chef du
pouvoir judiciaire, il a supervisé la
libération de prison des centaines de
combattants anti-Kadhafi qui allaient
constituer le cœur de l'insurrection.
Saif al-Islam (fils de Mouammar)
dirigeait le programme de libération des
prisonniers – geste qu'il regrettera
publiquement pour son extrême naïveté –
mais il rencontra une forte opposition
de la part de puissants éléments de son
gouvernement. Il importait donc d'avoir
un ministre de la justice sympathique
pour permettre aux libérations de se
poursuivre en douceur. Des centaines de
membres du Groupe islamique combattant
en Libye (GICL) – y compris son
fondateur Abdulhakim Belhadj, à présent
chef militaire de Tripoli – furent
libérés en 2009 et 2010
(3)
et continuèrent à former les seules
unités entraînées et expérimentées de la
rébellion. En janvier 2010, Abdel-Jalil
menaça de démissionner si le programme
de libération de prisonniers n'était pas
accéléré (4).
Le deuxième jour de l'insurrection, la
dernier contingent des 110 membres du
GICL était libéré. Sa tâche accomplie,
Abdel-Jalil quitta peu après son poste
de ministre de la justice pour établir
le CNT.
Deuxièmement, Abdel-Jalil sut se servir
de sa position pour aider à préparer le
canevas légal en vue du transfert
institutionnel des ressources libyennes,
qui fut réalisé tellement vite après la
création du CNT. Bien que son rôle
officiel fût celui de chef du
judiciaire, une large part du dialogue
entre Abdel-Jalil et les autorités
états-uniennes, archivé dans des
dépêches diplomatiques fuitées, était
consacrée à la privatisation de
l'économie. Elles témoignent de
l'enthousiasme d'Abdel-Jalil pour « l'engagement
du secteur privé » et révèlent sa
conviction que cela nécessite un
changement de régime, ou, selon
l'euphémisme des dépêches, une « aide
internationale » permettant son
parachèvement. Les dépêches rapportent
également le commentaire inquiétant de
Jalil à propos d'un « environnement
commercial légal solide » et d'une
amélioration des relations entre Libye
et USA, « qu'il fallait moins de
paroles et plus d'action » (5).
Troisièmement, Abdel-Jalil réussit à
arranger « en toute discrétion » des
rencontres secrètes entre les Libyens
pro-privatisation du « Programme de
développement de la législation
commerciale » et les autorités US, tant
aux Etats-Unis qu'en Libye. Les dépêches
US fuitées louent sa « bonne volonté
permettant à son équipe de communiquer
avec les emboffs (officiels de
l'ambassade)
en dehors des canaux
officiels » et notent que « son
organisation semble suivre une piste
parallèle assurant l'approbation des
visas tout en contournant le protocole
et le MFA (ministère des affaires
étrangères) » (6).
Peu
après la nomination d'Abdel-Jalil en
2007, l'autre joueur majeur du CNT
actuel – le président Mahmoud Jibril –
fut également nommé au gouvernement
libyen. Il devint le patron du Conseil
national de planification et ensuite le
chef du Conseil national de
développement économique où, selon les
dépêches US, lui aussi aida à « paver
le chemin » pour la privatisation de
l'économie libyenne et « accueillit
les compagnies américaines ». Les
autorités US se montraient positivement
en extase devant Jibril après leur
rencontre de mai 2009, concluant que « Jibril,
docteur en sciences politiques de
l'Université de Pittsburgh, et y ayant
enseigné la planification stratégique,
est un interlocuteur sérieux qui
'saisit' le point de vue états-unien ».
En outre, à la lumière de la série de
défections d'ambassadeurs qui suivirent
la rébellion de Benghazi, le fait que
Jibril avait aidé à faciliter six
programmes d'entraînement américains
pour les diplomates est très révélateur
(7).
2007
fut également une année cruciale pour
l'autre gros joueur du CNT actuel, le
chef du conseil militaire de Tripoli
Abdelhakim Belhadj. C'est lui qui fonda
le Groupe islamique combattant, affilié
à Al-Qaïda et qui lança une insurrection
armée contre l'Etat libyen en 1995,
pendant deux ans. Sa libération de
prison en mars 2010 parmi des centaines
d'autres combattants du GICL, fut le
point culminant d'un processus qui
commença par une lettre ouverte publiée
en novembre 2007 par Norman Benotman –
l'un des nombreux combattants du groupe
qui avaient reçu asile au Royaume-Uni
après l'échec de l'insurrection. Sa
lettre renonçait à la violence et selon
le London Times « demandait à
Al-Qaïda de renoncer à toutes ses
opérations dans le monde islamique et en
Occident, ajoutant que l'Occidental
moyen n'était pas à blâmer et ne devrait
pas être attaqué ». La lettre
entraîna un processus de dialogue entre
le GICL et le gouvernement libyen, suivi
deux ans plus tard par les excuses du
GICL pour sa violence
anti-gouvernementale et par une
déclaration selon laquelle « réduire
le jihad à un combat avec le glaive est
une erreur et une lacune » (8).
Quelqu'un leur avait manifestement
signalé que des drones et des
bombardiers B-52 seraient bien plus
efficaces.
2007
fut donc l'année qui lança les trois
hommes sur la voie de leur rôle actuel
de dirigeants de proximité pour l'OTAN
en Libye. La lettre de Benotman rendit
politiquement possible une aide de
l'OTAN à un affidé violent d'Al-Qaïda et
aida à persuader Saif al-Islam de
relâcher ceux-là même qui deviendraient
les forces de base qui renverseraient
son gouvernement. La nomination d'Abdel-Jalil
comme ministre de la justice
faciliterait la libération des
combattants et préparerait le canevas
légal pour la prise de pouvoir par les
entreprises occidentales. La nomination
de Jibril comme Ministre de la
Planification préparait, à un
micro-niveau, le détail des modalités de
cette prise de pouvoir, et elle
entretenait les relations avec les
compagnies occidentales qui seraient
invitées à y participer.
Alors
pourquoi tout cela se produisit-il ? Qui
tirait les ficelles ?
Dans le
cas de la lettre de Benotman, ce serait
tout simplement le MI6 qui l'aurait
contacté à Londres, où il vivait, et
l'aurait mis en contact avec une bonne
firme de RP pour l'aider à forger la
lettre qui permettrait politiquement à
l'OTAN de s'ériger en force aérienne du
GICL.
Quant à
ces deux nominations au gouvernement,
Saif al-Islam Kadhafi en est le
responsable ultime, mais il est clair
qu'il ne visait pas le résultat qui
s'ensuivit. Il mettait en œuvre des
réformes politiques et économiques
motivées par une conviction sincère et
un désir naïf d'améliorer les relations
entre son gouvernement et l'Occident ;
il ne se rendait pas compte qu'il posait
involontairement les jalons de la
destruction politique et économique de
son pays. La question est donc :
agissait-il sur les conseils de
quelqu'un d'autre ?
Si oui,
le candidat le plus plausible est Mark
Allen.
Mark
Allen était l'agent MI6 qui avait
facilité le rapprochement avec
l'Occident en 2003. Saif-al-Islam menait
les négociations pour la Libye, de sorte
qu'en 2007 les deux hommes se
connaissaient déjà assez bien. Mais par
la suite Mark Allen ne fut plus
officiellement employé par le MI6. En
2004 il avait été pratiquement pisté par
le bureau du Cabinet britannique,
contournant les procédures de sécurité
habituelles, en vue de travailler pour
BP et le gouvernement libyen (9) ;
et en 2007, il réussit à conclure un
contrat géant de 15 milliards de £ entre
BP et le gouvernement libyen. Les
nominations d'Abdel-Jalil et de Mahmoud
Jibril pourraient-elles avoir fait
partie de cet accord ? Avec le recul et
vu leurs rôles ultérieurs, il semble
hautement probable que le MI6 ait
utilisé tout levier possible pour
manœuvrer des complices consentants pour
qu'ils occupent des postes au sein du
gouvernement libyen.
Selon
le Daily Mail (10),
Allen s'est aussi activement impliqué
dans les pressions exercées sur le
gouvernement britannique pour qu'il
soutienne le programme de libération de
prisonniers. Bien sûr, le ton de cet
article, conforme au tapage médiatique
autour de la complicité du MI6 dans les
tortures infligées à Belhadj, cadre
complètement avec le récit d'ensemble
selon lequel Kadhafi et l'Occident
auraient eu une grande relation, jusqu'à
ce que la rébellion démarre et force
l'OTAN à mener une intervention
humanitaire. Tout cela vise à obnubiler
le fait réel que la Libye sous la
conduite de Kadhafi était un obstacle à
la domination occidentale et à la
subordination de l'Afrique, et que le
MI6 a comploté son éviction dès son
arrivée au pouvoir.
Notes :
(1)
Al-Jazeera
(2)
Bloomberg.com
Les autres liens sont
intégrés dans le texte.
Source :
The Rebel Griot, 12 septembre 2011
Traduction : Anne
Meert pour Investig'Action
Le dossier
Libye
Les dernières mises à jour
|