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Opinion
Libye - D'une
ingérence décomplexée aux dérives néocolonialistes
Pierre Piccinin
Mercredi 30 mars 2011
Comment faut-il comprendre ce qui est en train
de se passer en Libye ? Comment expliquer cette intervention
onusienne, qui prend une tournure surréaliste et crée un
précédent lourd de conséquence pour le devenir de la
« gouvernance » à l’échelle mondiale ?
Qu’est-ce que la « gouvernance » ? C’est cette
tendance de plus en plus marquée, dans le chef des puissances, à
intervenir là où bon leur semble, sans plus tenir compte des
règles précises du droit international, dans le but,
officiellement, de gérer une crise qualifiée « d’humanitaire »,
sous le prétexte d’agir de manière rapide et pratique.
Cette tendance s’est développée après
l’effondrement de l’Union soviétique et la disparition de la
logique bipolaire qui régissait les relations internationales,
chacune des deux superpuissances, Etats-Unis et URSS, protégeant
ses alliés de l’ingérence de l’adversaire. Ainsi, depuis le
début des années 1990’, même si la Russie et la Chine tiennent à
leur pré carré (à l’échelle régionale du moins), les Etats-Unis
et leurs alliés européens, à travers l’alliance militaire de
l’OTAN, ont commencé à dominer la scène internationale et à
intervenir tous azimuts, là où leurs intérêts les y portent, et
sans nécessairement tenir compte du droit et des prérogatives de
l’ONU : en Afghanistan, en Irak, au Kosovo… et à présent en
Libye.
Dans le cas de la Libye, c’est la France de
Nicolas Sarkozy, nouvel allié privilégié de Washington et dès
lors soutenu par elle en contrepartie, qui a été le promoteur de
l’intervention : après avoir un peu trop rapidement lâché son
ancien allié, Mouammar Kadhafi, et reconnu les rebelles comme
nouveau gouvernement légal, Paris s’est retrouvée Gros-Jean
comme devant lorsque Kadhafi a repris la main ; d’où cet
acharnement d’Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères
français, à arracher au Conseil de Sécurité une résolution
autorisant l’intervention en Libye.
Pour ce faire, une pirouette rhétorique, bien
que cousue de fil blanc, a été exécutée : la rébellion, armée,
qui tente de renverser le régime de Kadhafi, rébellion partisane
(la « révolution » libyenne est en réalité une guerre civile
entre les clans tribaux de la région de l’est, Benghazi et
Tobrouk, et la majorité des Libyens, favorables à Tripoli),
s’est comme par magie transformée en une « révolte de civils
sans défense », en proie à la vengeance meurtrière du chef de
l’État libyen.
C’était en effet la condition sine qua non à la
légalité d’une intervention onusienne dans les affaires
intérieures libyennes : le principe fondamental qui régit les
rapports entre les État consiste en la non-ingérence ; chaque
État est souverain à l’intérieur de ses frontières et seul le
gouvernement, qu’il soit démocratique ou pas, a la légitimité
pour user de la force et maintenir l’ordre. Toutefois, le
Conseil de Sécurité de l’ONU peut autoriser une intervention,
mais dans le seul cas où serait en cours un génocide ou un crime
contre la population civile.
De là, le discours martelé par la France et
partout redit : « nous intervenons pour protéger
des civils, avec l’accord de la communauté internationale, y
compris celui des nations arabes, et dans le cadre d’un mandat
de l’ONU ».
Mais de quelle « communauté internationale »
s’agit-il, si non du petit club des États occidentaux (et
encore, pas de tous) ? En effet, la résolution n’a été avalisée
ni par l’Inde, ni par la Chine, ni par la Russie, ni par le
Brésil. Elle est critiquée par la Turquie et même par
l’Allemagne, qui a décidé de suspendre la participation de sa
marine aux manœuvres de l’OTAN en Méditerranée, pour être
certaine de ne pas devoir intervenir dans l’affaire en cas
d’extension du conflit. Quant aux nations arabes, elles se
résument à trois monarchies, depuis toujours gagnées aux
intérêts états-uniens : l’Arabie saoudite et deux petits États,
le Qatar et les Émirats arabes unis, lesquels, paradoxalement,
laissent leur voisin, le roi du Bahreïn, massacrer son peuple en
révolte, qui est, lui, réellement sans défense (mieux, l’Arabie
saoudite a envoyé des troupes en renfort au monarque bahreïni).
Enfin, le mandat de l’ONU. A l’origine, il
s’agissait de mettre en place une zone d’exclusion aérienne. Par
la suite, la France a réussit à imposer un texte autorisant les
États à « tout mettre en œuvre » pour
protéger les civils, contenu déjà plus vague et propice à
l’interprétation…
Néanmoins, l’objectif est demeuré précis : la
protection des civils.
Pourtant, à peine la résolution votée, la France
s’est empressée d’engager le combat contre les forces armées
libyennes (l’armée régulière obéissant au gouvernement légitime)
et a commencé à détruire ses infrastructures. Des missiles, qui
ont fait de nombreuses victimes civiles, ont été tirés par les
Britanniques et les États-uniens depuis des navires ; certains
visaient directement la résidence du chef de l’État libyen ( !).
Jusqu’il y a peu, devant
« l’incapacité des rebelles à profiter de l’aide de la coalition
pour remporter la victoire » (sic), certaines chancelleries
avaient même proposé de « fournir des armes
lourdes aux insurgés » (sic), car « il est
évident que les populations civiles ne pourront être en sécurité
qu’une fois Kadhafi parti » (sic).
Il est en outre désormais bien établi que la
coalition « internationale » a dépêché aux rebelles des
conseillers, qui coordonnent les opérations militaires et les
mouvements des troupes des insurgés et les frappes des forces
franco-britannico-états-uniennes. Autrement dit, les frappes de
cette coalition, non seulement, ont enlevé la maîtrise de l’air
au gouvernement libyen mais, surtout, ont objectivement et
délibérément soutenu la progression des rebelles. La coalition a
fourni une force aérienne aux insurgés.
L’objectif poursuivi, comme on l’aura compris,
n’est donc nullement la protection des civils, mais le
renversement du gouvernement libyen et son remplacement par les
leaders de la rébellion.
En d’autres termes, cette coalition est en train
d’appuyer une tentative de coup d’État, en faveur duquel elle a
pris parti. L’intervention en Libye constitue incontestablement
un acte de guerre, illégal, envers le gouvernement libyen.
C’est aussi une ingérence patente dont les
motivations, évidemment liée à la question pétrolière et
gazière, s’inscrivent sans ambiguïté aucune dans le cadre d’une
politique néocoloniale qui crie son nom.
En cela, la résolution 1973 et l’intervention en
Libye constituent un précédent dangereux pour la souveraineté
des peuples : ce précédent pourrait être le justificatif et le
premier acte d’une longue liste d’interventions à venir, au
Venezuela, en Amérique latine, en Afrique, en Iran… Partout où
le commande l’intérêt des puissances, la moindre opposition au
gouvernement en place, même extrêmement minoritaire, voire
organisée et téléguidée depuis l’étranger (comme ce fut le cas
lors des célèbres « révolutions colorées »), pourrait être
instrumentalisée de sorte à justifier une intervention.
En Iran, par exemple, la forte minorité
d’opposants au gouvernement du président Ahmadinejad, si
répression des manifestations il y avait à nouveau, pourrait
servir de prétexte à une intervention de soutien à la population
civile, exactement comme en Libye. La livraison d’armes à
l’opposition serait alors envisageable, de sorte à renverser le
gouvernement iranien (au risque de passer par une période de
guerre civile et de dévaster le pays).
La question pour l’avenir : après l’Irak, après
la Libye… à qui le tour ?
Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques
© Cet article peut être librement reproduit, sous condition d'en
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Publié le 30 mars 2011
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