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Tunisie - Égypte
Libye - Les
manipulations de la gouvernance :
Une analyse de la révolution 1973 de l'ONU
Pierre Piccinin
Lundi 21 mars 2011
Présenté par la France, avec l’appui de la
Grande-Bretagne, le texte de la résolution 1973 du Conseil de
Sécurité de l’ONU, voté ce 17 mars, constitue un nouveau pied de
nez de la « gouvernance » pour le droit international,
c’est-à-dire d’un interventionnisme arbitraire, comme au Kosovo,
comme en Irak, comme en Afghanistan.
Cette résolution, en effet, présente un
caractère aberrant et constitue un lourd précédent : d’une part,
elle transgresse les principes de non-ingérence et de
souveraineté des États et, d’autre part, elle normalise un peu
plus encore la politique des deux poids et deux mesures, qui
caractérise de plus en plus radicalement l’action onusienne.
Basée sur le postulat rhétorique que le
gouvernement de Mouammar Kadhafi exercerait une répression
criminelle « contre le peuple libyen et les populations civiles
éprises de liberté » (dixit Alain Juppé,
ministre des affaires étrangères français), la résolution
appelle la communauté internationale à interdire tout vol dans
l’espace aérien libyen et à tout mettre en œuvre pour « protéger
la population civile et faire cesser les hostilités », soit un
texte relativement vague qui occasionnera certainement bien des
exactions de la part des États intéressés…
Or, le postulat de base est biaisé : le
gouvernement libyen, au moyen de l’armée régulière, pour
dictatorial qu’il soit (la légitimité d’un gouvernement, selon
le droit international, ne repose nullement sur le critère
démocratique), ne vise en aucun cas à massacrer des civils, mais
à réprimer une rébellion, armée, qui tente de renverser par la
force l’ordre établi, et ce, en outre, dans un contexte tribal
qui oppose le nord-est du pays (Benghazi et Tobrouk) aux tribus,
majoritaires, qui soutiennent le clan Kadhafi. Il ne s’agit donc
pas d’un « dictateur massacrant son peuple désarmé » : le chef
de l’État, commandant des forces armées, combat des troupes
rebelles, minoritaires, qui sèment le trouble dans le pays, et
ce en parfait accord avec le droit international, qui fonde la
légitimé de tout gouvernement à exercer souverainement
l’autorité sur son territoire, à l’intérieur de ses frontières.
Une intervention militaire à l’encontre de
l’armée gouvernementale libyenne reviendrait ainsi à soutenir
une rébellion armée qui tente de renverser un gouvernement
légalement établi.
C’est pourquoi plusieurs membres du Conseil de
Sécurité de l’ONU –et non des moindres : la Chine, la Russie, le
Brésil, l’Inde et l’Allemagne, soutenus par la Turquie- ont
refusé d’avaliser cette résolution et se sont abstenus lors du
vote.
En outre, comment interpréter l’attitude des
puissances signataires et de la Ligue arabe (à commencer par
l’Arabie saoudite), qui s’indignent des événements qui se
déroulent en Libye et proposent, Qatar et Émirats arabes unis en
tête, une intervention militaire, alors que, dans le même temps,
le roi du Bahreïn, voisin frontalier direct du Qatar et des
Émirats, massacre sans pitié son peuple, des manifestants
civils, non armés, eux, avec l’appui de l’armée saoudienne
envoyée à sa rescousse ? Revoilà donc les deux poids et deux
mesures…
Cela étant, le gouvernement libyen, qui a déjà
repris le contrôle de la majeure partie du pays, a accepté
l’injonction de l’ONU, a décrété unilatéralement un
cessez-le-feu pour éviter les frappes annoncées et a appelé la
Chine, la Turquie et Malte à dépêcher des observateurs. Mouammar
Kadhafi a ainsi désamorcé la crise et coupé l’herbe sous le pied
des Occidentaux désireux de soutenir la rébellion, à commencer
par la France qui avait parié un peu vite sur la chute du régime
libyen et s’est trouvée en mauvaise posture lorsque celui-ci
s’est révélé plus solide que prévu.
Mais la France est passée outre, invoquant la
supposée fallaciosité des déclarations du gouvernement libyen,
et est intervenue en frappant plusieurs cibles au sol sous le
prétexte de « protéger des civils », appuyant de la sorte la
contre-attaque des rebelles. En cela, la question qui se pose
est de déterminer les motivations acharnées de la France à
vouloir renverser Mouammar Kadhafi. L’erreur stratégique commise
par l’Élysée, en reconnaissant les rebelles comme nouveau
gouvernement en Libye, peut expliquer que, dorénavant, la seule
option pour Paris, soucieuse de maintenir son influence sur les
ressources pétrolières libyennes, est de remplacer le
gouvernement Kadhafi par les leaders de la rébellion qu’elle a
soutenue. Et personne n’y perdrait au change, dans la mesure où
Kadhafi ne s’est pas toujours montré aussi docile que l’Occident
l’avait espéré. Aussi, probablement, un nouveau gouvernement
serait-il plus complaisant, constitué des ministres et
diplomates qui, croyant le moment venu, ont retourné leur veste
de ces derniers jours et appelé à la chute du « dictateur »
qu’ils avaient pourtant si bien servi jusqu’à présent.
Mais attention, la partie n’est pas encore
terminée : face à l’armée libyenne, puissamment équipée par
l’industrie d’armement française, dont elle a fait les choux
gras des années durant, les forces d’intervention étrangères
pourraient bien y laisser des vies… Et cette résolution fumeuse,
à présent qu’elle est suivie d’effets, risquerait d’entraîner la
Libye dans le désordre dévastateur d’une guerre civile
inextricable.
Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques
Texte de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l'ONU.
© Cet article peut être librement reproduit, sous condition d'en
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Publié le 21 mars 2011
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