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En Palestine, le double combat
Lundi 8 mars 2010
Des femmes venues des territoires palestiniens ont été
reçues par Patrick Le Hyaric à l’Humanité, jeudi. Deux d’entre
elles témoignent de leur lutte pour les droits du peuple
palestinien et de leur combat social.
Samia
Bamieh,
membre du secrétariat général de l’Union des femmes
palestiniennes, membre du Conseil national palestinien.
« Historiquement, les femmes palestiniennes ont eu deux rôles à
jouer. Un sur le plan national dans le cadre de la lutte pour
les droits du peuple palestinien. L’autre, social, depuis
l’installation d’une Autorité palestinienne. Nous sommes dans
une situation surréaliste. On sait qu’on est sous occupation et
nous continuons à lutter sous différentes formes pour y mettre
fin. Mais en même temps, on lutte pour qu’il y ait des lois qui
respectent nos droits en tant qu’êtres humains, dans l’égalité.
Il y a cependant un fossé qui existe entre, d’un côté, les lois
qui ont été votées et promulguées et, de l’autre, notre réalité
quotidienne. Par exemple, le droit des femmes au travail et à
l’égalité de traitement sont inscrits dans la législation. Mais,
sur le terrain, il y a déjà un problème d’emploi. Donc, à cause
des restrictions économiques, les femmes sont beaucoup plus
touchées. On pense à des opportunités de travail pour les
hommes, mais pas pour les femmes sans emploi. Il n’y a pas de
règlement qui fasse que ces lois soient appliquées, par exemple
celles sur la maternité. Nous menons une campagne pour réformer
le Code pénal. Le “crime d’honneur”, par exemple, n’est pas
considéré comme un véritable crime. Dans les régions rurales,
ces pratiques se poursuivent. L’occupation est un facteur
aggravant de la violence faite aux femmes parce que la violence
de l’occupation se répercute dans tous les domaines de notre
société, jusque dans la violence de l’homme contre sa famille.
Notre lutte est aussi la lutte pour la terre, confisquée par le
mur, la lutte pour la maison qu’on défend parce que les colons
veulent la prendre, et il y a aussi la lutte pour le pain
quotidien. C’est une lutte au quotidien pour une survie au
quotidien. Mais nous voulons aussi participer à la définition du
futur État palestinien, dire ce que nous entendons par État
démocratique. »
Kefah
Afifi,
trente-huit ans, camp de réfugiés de Chatil (Liban), prisonnière
pendant huit ans de l’armée israélienne dans la sinistre geôle
de Khyam, au Liban-Sud.
« Je
suis une réfugiée. Ma famille vient du village d’El Yajour près
d’Haïfa. Mes parents ont été expulsés en 1948. Depuis le jour où
j’ai ouvert les yeux, je n’ai connu qu’une chose : les camps.
J’avais dix ans quand a eu lieu le massacre de Sabra et Chatila
en 1982. Je ne pourrai jamais oublier. Les Israéliens nous ont
traités comme des bêtes, nous ont embarqués avant de commencer à
exécuter les hommes jeunes. Ma cousine qui était enceinte a été
éventrée. Après cela, j’avais peur, de la mort, de tout, en
permanence. Mais avec le temps, j’ai pris de la force, je
voulais réagir, résister. Pourquoi devrions-nous toujours subir
cela, mourir de cette façon ? Je me suis promis que je ne
mourrai pas ainsi. Je suis allée voir les partis politiques, je
voulais m’engager. Tout le monde se moquait de moi, me disant
que je n’étais qu’une gamine. Et puis, un militant de l’OLP m’a
prise au sérieux, il m’a éduquée, entraînée. J’avais seize ans
lors de ma première opération de résistance. Nous devions
pénétrer en Israël. À l’époque, toute la partie sud du Liban
était occupée. Après trois jours de marche, nous sommes parvenus
à atteindre la frontière mais les projecteurs se sont braqués
sur nous. Nous nous sommes réfugiés dans une maison où nous
avons été dénoncés par un collaborateur. J’ai été arrêtée avec
six autres garçons puis transférée dans une prison, je ne sais
pas où exactement. J’ai été menottée dans le dos, les yeux
bandés, détenue pendant deux jours avant d’être transférée dans
le camp de prisonniers de Khyam. J’y suis restée huit ans. Nous
l’appelions “le camp de la mort”. Nous y avons subi les pires
atrocités de la torture. Le plus dur ne fut pas la douleur, mais
l’humiliation que l’on nous infligeait en tant que femmes.
Malgré tout, nous avons tout fait pour garder, chaque jour,
notre dignité. En tant que femme, Palestinienne, qui a connu la
prison, la torture, et alors qu’après mes parents ce sont mes
enfants qui sont en train de subir le même sort, je veux vous
dire qu’il est temps d’arrêter ça. Nous avons besoin de la
solidarité de toutes les femmes pour, un jour, nous aussi, mener
une vie normale. Il faut se rappeler qu’il reste toujours des
femmes palestiniennes prisonnières, des jeunes filles, de jeunes
mères. Tant qu’il en restera une seule en prison, cette blessure
profonde restera. »
Propos recueillis par Pierre Barbancey et Charlotte Bozonnet
© Journal L'Humanité
Publié le 9 mars 2010 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité
Les analyses de Pierre Barbancey
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