Le Web de l'Humanité
Avis
de tempête sur le mouvement national palestinien
Pierre Barbancey
Vendredi
8 février 2008 Palestine .
Le coup de force du Hamas dans la bande de Gaza a entériné une
cassure géographique et politique. L’unité peut-elle être
retrouvée ? Enquête auprès des principaux acteurs.
Territoires palestiniens occupés, envoyé spécial.
Pour la première fois dans leur histoire, les Palestiniens sont
séparés géographiquement et politiquement. D’un côté la bande
de Gaza, dominée par le Hamas, de l’autre, la Cisjordanie, où
règnent Mahmoud Abbas et ce qu’il reste de l’Autorité
palestinienne, avec Salam Fayyad comme premier ministre. Une division
qui arrange évidemment les affaires d’Israël.
La question des deux États
Tel-Aviv poursuit et aggrave son occupation des territoires
palestiniens, tout en montrant un visage de négociateurs à une
« communauté internationale » qui veut bien se laisser
duper. L’unité du mouvement palestinien est-elle possible ?
« Ce qui s’est passé au mois de juin montre que le Hamas
est incapable de vivre dans une société démocratique avec des idées
différentes, des partis différents », estime Ayman
Shahine, professeur de sciences politiques à Gaza. Pour ce
chercheur, « si le Hamas voulait vraiment l’unité, il s’appuierait
sur l’embargo imposé par Israël pour discuter avec Mahmoud
Abbas, sur la base des intérêts nationaux palestiniens. Il y avait
là la possibilité de reconstruire une véritable Autorité
palestinienne. Mais en fait le Hamas est content de diriger seul la
bande de Gaza ».
Pour Hanna Amireh, membre du comité exécutif (CE) de l’OLP
où il représente les communistes du PPP, « Hamas parle de
résistance mais il s’agit d’un suicide. Le problème est qu’en
utilisant la force à Gaza, il a permis au Fatah de faire de même
en Cisjordanie. Aussi longtemps que le mouvement islamiste n’est
pas sur la ligne de deux États, la division géographique lui importe
peu. À partir d’un bout de terre, il compte libérer l’ensemble
du territoire ! ». Mustapha Barghouti, qui dirige l’Initiative
nationale palestinienne, dénonce « ces forces extérieures
qui ont mis leurs mains dans le problème palestinien ».
Zakaryia Al Aga, responsable du Fatah pour la bande de Gaza et
membre du CE de l’OLP, explique que toutes les factions
palestiniennes, à l’exception du Hamas, veulent un retour à la
situation d’avant juin 2007, c’est-à-dire avant le « coup
d’État » des islamistes. « Si le Hamas accepte, alors
tout est possible, dit-il. S’il n’y a pas d’accord politique
alors il faut organiser des élections anticipées. »
Là est le problème. Comment renouer le dialogue alors que l’organisation
islamiste campe sur ses positions du mois de juin ? Comment organiser
des élections dans la bande de Gaza si le Hamas refuse ? Sami
Abou Zouhri, porte-parole du Hamas, explique : « La solution
ne dépend pas des Palestiniens car les Israéliens et les Américains
font pression sur Mahmoud Abbas pour qu’il ne s’assoie pas avec
nous pour négocier. Si Abbas continue cette attitude, cela voudra
dire qu’il est d’accord pour que le siège imposé par Israël
se poursuive. Et ça, nous ne l’accepterons pas. »
Quant aux élections, la position du Hamas est difficile à
cerner. Abou Zouhri affirme que son mouvement « est prêt à
en discuter mais pour cela il faut entamer des négociations »,
tout en dénonçant « le coup d’État d’Abou Mazen (Abbas
- NDLR) contre le Hamas qui avait gagné les élections ». Autre
son de cloche avec Ahmed Youssef, conseiller politique d’Ismaïl
Haniyeh et de Mahmoud Zahar, les chefs de l’organisation, pour qui
« les élections ne sont pas la réponse pour le moment ».
Il a cette formule elliptique : « Avec les élections,
il n’y aura pas la lumière au bout du tunnel parce que les tunnels
se succèdent. »
Faire pression des deux côtés
Abou Leïla, député du Front démocratique pour la libération
de la Palestine (FDLP), membre de l’OLP, condamne l’attitude du
Hamas mais estime que « le Fatah doit se dégager des pressions
israéliennes et américaines et initier un dialogue national avec
toutes les factions palestiniennes pour trouver une voie pacifique
et résoudre les problèmes internes ». Peu optimiste, il dit
ne pas penser « qu’il puisse y avoir des discussions fructueuses
dans l’immédiat. C’est pour cela qu’il faut faire pression
des deux côtés, afin qu’un dialogue s’engage ».
Qadoura Fares, du Fatah, penche, comme Marwan Barghouti, toujours
emprisonné mais dont il est très proche, pour l’organisation d’élection
« en octobre ou en novembre ». Pour Fares comme pour
Barghouti, le cadre idéal de débat c’est l’initiative arabe
élaborée en 2002 et réinitialisée en 2007. Hanna Amireh regrette
l’attitude du Fatah. « Lors du comité exécutif de l’OLP
il a été proposé la création d’un comité qui ouvrirait le dialogue
avec une idée essentielle : revenir à avant juin 2007 n’est
pas une précondition pour le dialogue, mais une précondition pour
une solution. Mais le Fatah a refusé alors que le Hamas a accepté. »
Les islamistes palestiniens, qui cherchent avant tout une reconnaissance
arabe et internationale, souhaitent l’intervention d’une tierce
partie non palestinienne. On parle de la Confédération helvétique.
Ahmed Youssef, pour qui « la région dépend des réalités
établies sur le terrain » assure de son côté que le Hamas
« a des contacts avec les pays européens, d’une manière
ou d’une autre ».
Le Hamas est cependant isolé sur la scène politique
palestinienne. Khaled Albatash, patron du Djihad islamique dans la
bande de Gaza, « refuse ce qui s’est passé en juin. Il faut
un seul gouvernement sous l’autorité de Mahmoud Abbas ».
Lui-même joue l’entremetteur pour tenter de renouer un dialogue
entre le Fatah, le Hamas en impliquant l’Égypte. « Hamas
veut faire de Gaza un modèle et se fiche du reste », dénonce
Rabah Mohanna, membre du bureau politique du Front populaire de libération
de la Palestine (FPLP). « De l’autre côté, Mahmoud Abbas
s’en tient à l’agenda américain, sans prendre en compte le fait
que Washington soutient totalement Israël ».
Personne ne se fait d’illusion sur un règlement rapide du conflit
interne. Ce qui est peut-être encore pire, c’est la désillusion
des Palestiniens eux-mêmes. La conférence d’Annapolis apparaît
maintenant pour ce qu’elle est : une farce. Les Palestiniens
continuent à tomber comme des mouches sous le feu israélien, les
check-points sont toujours en place, le mur de l’apartheid poursuit
son sillon dans la Cisjordanie, les colonies s’agrandissent et Jérusalem
se judaïse par l’expulsion de fait des Palestiniens de l’est
de la ville.
Même au sein de la direction de l’OLP, des voix de plus en plus
nombreuses se font entendre pour que Mahmoud Abbas boycotte les discussions
avec les Israéliens tant que ces derniers ne se conforment pas réellement
à la « feuille de route ». Mais le président ne veut
rien entendre. Pour Israël, tout baigne, la question palestinienne
redevient un problème humanitaire comme avant 1965 (et non plus des
droits d’un peuple) et les gouvernements occidentaux ne parlent
plus de l’occupation.
© Journal l'Humanité
Publié le 13 février 2008 avec l'aimable autorisation de l'Humanité.
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