Opinion
La Grande-Bretagne
et la France mènent la charge coloniale
en Libye
Peter
Symonds

Mercredi 21
septembre 2011
La visite du premier ministre
britannique David Cameron et du
président français Nicolas Sarkozy en
Libye jeudi dernier rappelle toutes les
traditions sordides et sanguinaires de
l'impérialisme: l'hypocrisie patente, le
pillage économique et le recours
impitoyable à la force pour arriver à
ses fins.
Cameron et Sarkozy ont été fêtés par les
dirigeants du client local de l'OTAN -
le Conseil national de Transition (CNT)
- à Tripoli d'abord à grand renfort de
mesures de sécurité puis ils ont été
rapidement transportés au bastion du CNT
à Benghazi. Sous les vivats de la foule
rassemblée, Cameron a salué « la Libye
libre ». « La France, la
Grande-Bretagne, l'Europe seront
toujours aux côtés du peuple libyen, » a
déclaré Sarkozy.
Le faux prétexte de l'aventure
néocoloniale de l'OTAN - soi-disant pour
protéger des vies libyennes contre le
régime de Mouammar Kadhafi - a
pratiquement été abandonné. Les avions
de combat de l'OTAN continuent de
bombarder des cibles autour des villes
pro-Kadhafi restantes de Syrte et de
Bani Walid au mépris de la vie des
civils alors que le CNT et les partisans
de l'OTAN essaient de contrôler le pays
entier. Les médias occidentaux qui
avaient promu l'intervention
impérialiste en lançant des
avertissements soi-disant de massacres
imminents de la part du régime Kadhafi,
gardent un silence réservé sur les
centaines, si non les milliers de civils
qui ont été tués lors des bombardements
de l'OTAN.
Cameron a déclaré que Benghazi « a été
une inspiration pour le monde entier, et
vous avez renversé un dictateur et vous
avez choisi la liberté. » Sur la tribune
se trouvaient à côté de lui le président
du CNT, Moustapha Jalil, ancien ministre
de la Justice de Kadhafi, et le
« premier ministre » du CNT, Mahmoud
Jibril qui avait présidé le conseil
national pour le développement
économique. Les deux hommes portent la
responsabilité des crimes du régime
Kadhafi et ne seront pas moins
impitoyables dans leur traitement de
l'opposition politique contre le nouvel
ordre de l'OTAN nouvellement créé.
Cameron et Sarkozy, ont bien sûr rejeté
toute suggestion que leur visite en
Libye était liée à des intérêts
mercenaires. Aucune promesse n'a été
faite ou recherchée a dit le président
français aux reporters en ajoutant :
« Ce que nous avons fait, nous l'avons
fait pour des raisons humanitaires. Il
n'y avait pas d'agenda caché. » Jalil
s'est empressé d'affirmer que la France
et la Grande-Bretagne « auront une
influence future ». Il a poursuivi en
disant : « Nous allons honorer les
anciens contrats, et nos amis auront un
rôle initiateur conformément à leurs
efforts dans le soutien de la Libye. »
En d'autres termes, le butin du pétrole
appartient aux vainqueurs.
La ruée néocoloniale sur la Libye est
tellement évidente qu'elle est
ouvertement reconnue par la presse de
l'establishment. En commentant ceci
cette semaine, Simon Tisdall du
Guardian a remarqué : « En vérité, à
la manière des héros conquérants de
l'histoire, les dirigeants britanniques
et français sont arrivés, à la recherche
des lauriers de la victoire qui
produiront peut-être avec le temps
un rendement financier appréciable. Il
s'agit, d'abord et avant tout, du butin
de guerre de Dave et de Sarko. »
La visite de Cameron et de Sarkozy
marque le début d'une compétition féroce
pour l'influence politique, la position
stratégique et les profits en Libye.
Hier, le premier ministre turc, Recep
Tayyip Erdogan, est arrivé à Tripoli
pour déclarer que « l'ère des régimes
oppresseurs est révolue. » Avant le
déclenchement de la guerre civile en
février, les avoirs de la Turquie en
Libye s'élevaient à quelque 15 milliards
de dollars en Libye, et qu'Erdogan était
soucieux de sécuriser.
En début de semaine, le PDG du géant
énergétique italien ENI, Paolo Scaroni
était à Tripoli pour discuter la reprise
des exportations de gaz de la Libye. ENI
était le plus important producteur
d'énergie de la Libye avant la guerre et
est évidemment très soucieux de défendre
sa position dominante. La Libye dispose
des plus importantes réserves d'énergie
connues en Afrique - 46,4 milliards de
barils de pétrole et 55 pieds cubes de
gaz naturel. Les responsables libyens
ont rapporté aux « Amis de la Libye »
qui s'étaient réunis à Paris le 2
septembre que cinq grandes entreprises
étrangères d'énergie étaient revenues
dans le pays.
Malgré toutes les affirmations
hypocrites que la guerre pour un
« changement de régime » concernait
uniquement la protection de vies
humaines, les objectifs de
l'impérialisme britannique et français
en Libye, en Afrique du Nord et au
Moyen-Orient ne sont pas plus
humanitaires aujourd'hui qu'elles ne
l'étaient ces 200 dernières années.
Il suffit d'examiner brièvement
l'histoire de la Libye et de ses voisins
directs. Soixante-dix ans de domination
coloniale britannique en Egypte ont
débuté en 1882 avec un bombardement
maritime d'Alexandrie et une force
expéditionnaire pour réprimer
brutalement une opposition nationaliste.
La Grande-Bretagne a envahi le Soudan
voisin sous la bannière humanitaire de
répression de la traite des esclaves
partout dans le pays.
La France a un long passé de domination
coloniale en Algérie, au Tchad, au Niger
et en Tunisie. Dans les années 1940 et
1950, pour conserver le contrôle de
l'Algérie elle avait mené une longue
guerre sanglante durant laquelle les
forces françaises devinrent tristement
célèbres pour l'usage de la torture, de
représailles et de massacres de masse.
Le gouvernement post-colonial avait
estimé que jusqu'à 1,5 million
d'Algériens avaient été tué durant la
lutte contre la domination française.
La Libye elle-même était sous le joug de
l'Italie qui avait justifié son invasion
comme étant une mission
« civilisatrice. » De l'avènement de la
domination italienne jusqu'à la déroute
de l'armée italienne durant la Deuxième
Guerre mondiale, la moitié de la
population libyenne a été assassinée,
affamée ou poussée à l'exil. La
résistance à la domination italienne a
été réprimée par des bombardements
aériens systématiques et, dans les
années 1930, par la rafle de 100.000
personnes, dont la plupart des nomades,
et leur déportation dans des camps de
concentration où au moins la moitié
d'entre elles sont mortes.
Alors que tous ces pays étaient devenus
officiellement indépendants après la
Deuxième Guerre mondiale, les anciennes
puissances coloniales ont maintenu
indirectement leurs intérêts économiques
et stratégiques par le biais des divers
régimes nationalistes qui avaient
émergé. C'est précisément cet échec
abject du nationalisme bourgeois de
mettre fin à la domination impérialiste
ou de satisfaire les besoins sociaux
pressants et les aspirations
démocratiques des masses qui a ouvert la
voie aux nouvelles interventions
coloniales. Confrontées à la pire crise
économique depuis les années 1930, les
puissances américaines, européennes et
les puissances émergentes comme la Chine
et la Russie sont toutes engagées dans
une course effrénée contre leurs
adversaires pour la domination de
l'Afrique, du Moyen-Orient et
internationalement.
Durant son voyage en Libye, Sarkozy a
même indiqué la prochaine « mission
humanitaire » de la France, en déclarant
qu'il dédiait sa visite « à tous ceux
qui espèrent que la Syrie soit un jour
un pays libre. » Le contrôle de la Syrie
et du Liban avait été alloué à la France
après la Première Guerre mondiale dans
le cadre des accords Sykes-Picot signés
avec la Grande-Bretagne et qui
partageaient l'ancien empire ottoman
entre les deux puissances impérialistes.
Ne voulant pas être en reste, le premier
ministre turc Erdogan, a réclamé pour sa
part le lendemain que « ceux qui
oppriment le peuple de Syrie » devraient
être conscients que « leur temps était
écoulé. »
(Article original paru le 17 septembre
2011)
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Publié le 21 septembre 2011 avec
l'aimable autorisation du WSWS
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