Opinion
Le danger de
guerre en Asie
Peter
Symonds

Manifestation antijaponaise, le 18
septembre, devant l'ambassade du Japon à
Pékin.
Crédits photo : DAVID GRAY/REUTERS
Mercredi 20 février
2013 Deux récents
commentaires soulignent la nervosité
grandissante dans les cercles dirigeants
internationalement face au danger d’une
nouvelle guerre mondiale qui éclaterait
en Asie. Les deux articles attirent
l’attention sur les disputes maritimes
extrêmement tendues de la région,
particulièrement entre la Chine et le
Japon, et tracent les parallèles avec le
développement des intérêts et alliances
concurrents qui ont inexorablement mené
à l’éruption de la Première Guerre
mondiale en 1914.
Dans un article
intitulé «Les Balkans du 21e siècle en
mer de Chine?» dans le journal Foreign
Policy le 30 janvier, l’ancien premier
ministre australien, Kevin Rudd, a
déclaré : Nous sommes dans une période
trouble en Asie de l’Est. Avec les
tensions qui émergent des revendications
territoriales conflictuelles dans les
mers de Chine orientale et méridionale,
la région ressemble de plus en plus à
une reprise au 21e siècle du conflit des
Balkans d’il y a un siècle, cette
fois-ci en mer – une poudrière sur
l’eau. Les sentiments nationalistes
augmentent à travers la région, ce qui
réduit la marge de manoeuvre politique
pour réduire les stratégies de
confrontation… En termes de sécurité, la
région est plus fragile qu’à n’importe
quel moment depuis la chute de Saigon en
1975 ».
Écrivant dans le
Financial Times le 4 février, le
commentateur Gideon Rachman a fait le
même point dans son article, «L’ombre de
1914 plane sur le Pacifique». Il écrit :
«Les vieux films en noir et blanc
montrant des hommes “lancer l’assaut”
dans la Première Guerre mondiale
semblent incroyablement distants.
Pourtant, l’idée que les grandes
puissances ne puissent plus jamais
retomber dans une guerre, comme elles
l’ont fait en 1914, est beaucoup trop
complaisante. La montée des tensions
entre la Chine, le Japon et les
États-Unis rappelle le terrible conflit
qui a éclaté il y a près de cent ans».
Aucun des auteurs
ne croit que la guerre mondiale est
imminente, mais, dans leurs sombres
évaluations, nul ne l’exclut. Un conflit
pourrait éclater rapidement dans la
dispute territoriale concernant les
affleurements rocheux dans la mer de
Chine orientale connus sous le nom de
Senkaku au Japon et Diaoyu en Chine.
Depuis septembre dernier, lorsque Tokyo
a «nationalisé» ces îles, des manœuvres
de plus en plus dangereuses par des
navires et avions japonais et chinois
dans les eaux et espaces contestés ont
augmenté le risque d’un incident qui
pourrait déclencher un conflit ouvert.
Ce risque a été
aggravé à la suite des élections de
décembre au Japon. Comme l’a écrit
Rachman : «Le nouveau cabinet japonais
est rempli de nationalistes purs et durs
qui sont davantage prêts à appuyer une
confrontation avec la Chine.» Récemment,
Tokyo a accusé des navires chinois
d’avoir dirigé ses systèmes d’armement
contre des cibles japonaises à deux
reprises, ce qui a provoqué une autre
série d’accusations et de dénis acerbes.
Rudd et Rachman
n’ont pas mentionné les véritables
causes de la montée des tensions
géopolitiques et du nationalisme, qui
est en fait l’intensification de la
crise économique mondiale. Ils offrent
aussi une couverture politique au rôle
de l’administration Obama et son «pivot
vers l’Asie» qui a délibérément
encouragé des alliés comme le Japon et
les Philippines à adopter une attitude
plus agressive dans des disputes
territoriales avec la Chine. Washington
met en place un système d’alliances et
de bases militaires, et de partenariats
stratégiques à travers la région, y
compris en Australie, en Inde, en Corée
du Sud et au Japon, en opposition à
Beijing.
Les promesses d’une
nouvelle période de paix et de
prospérité qui avaient été faites
triomphalement par la bourgeoisie dans
la foulée de l’effondrement de l’Union
soviétique, sont depuis longtemps chose
du passé. La fin de la guerre froide a
ramené les vieux antagonismes et
anciennes rivalités des grandes
puissances qui attisent maintenant une
nouvelle course néocoloniale à travers
le monde pour les matières premières,
les marchés et la main-d’œuvre bon
marché. L’impérialisme américain est
l’élément le plus déstabilisateur en
politique mondiale. Il exploite la
supériorité de son armée pour déclencher
une guerre après l’autre dans le but
désespéré de compenser son déclin
économique.
Le «pivot vers
l’Asie» d’Obama est lié à la
transformation de la région, et surtout
de la Chine, en un gigantesque atelier
de misère pour les grandes sociétés
rivales du monde. L’offensive
stratégique de Washington à travers
l’Asie pour miner l’influence qu’exerce
la Chine est intimement liée à sa
tentative de maintenir sa domination
économique en dictant les règles
commerciales à travers son partenariat
transpacifique.
Comparant la
situation à 1914, Rachman a écrit : «La
Chine maintenant, comme l’Allemagne il y
a 100 ans, est une puissance en essor
qui a peur que les grandes puissances
établies [les États-Unis] tentent de
bloquer son ascension.» Il est vrai
qu’en parcourant le globe à la recherche
de matières premières et de marchés, la
Chine, tout comme l’Allemagne, entre en
conflit avec les puissances dominantes,
principalement les États-Unis.
Contrairement à l’Allemagne cependant,
la Chine n’est pas une puissance
impérialiste. Ses importations massives
d’énergie et de minéraux alimentent
d’énormes entreprises manufacturières
qui sont soient possédées, ou
approvisionnées, par des sociétés
manufacturières mondiales géantes.
Malgré sa taille, l’économie chinoise
est complètement dépendante de
l’investissement étranger, de la
technologie étrangère et de l’ordre
capitaliste dominé par l’impérialisme
américain.
Rudd et Rachman ont
tous les deux conclu leurs articles en
exprimant l’espoir que la rationalité et
les intérêts économiques communs
l’emporteraient sur la guerre.
Cependant, ces espoirs ont été minés par
les commentaires, cités par Rachman, du
professeur de Harvard Joseph Nye, qui a
participé à une mission américaine de
haut rang à Beijing et Tokyo en octobre.
«Nous avons discuté de l’analogie de
1914 entre nous, a expliqué Nye. Je ne
pense pas qu’aucune des parties ne
souhaite la guerre, mais nous avons mis
en garde contre le manque de
communication et les accidents. La
dissuasion fonctionne habituellement
entre des acteurs rationnels, mais les
principaux acteurs en 1914 étaient aussi
rationnels.»
Les commentaires de
Nye montrent que la guerre n’est pas une
question d’intentions subjectives, mais
est provoquée par des forces sociales et
économiques objectives. Après 1914, les
révolutionnaires marxistes les plus
clairvoyants de l’époque – Lénine et
Trotsky – ont conclu que la guerre
signalait l’effondrement du capitalisme
et l’ouverture d’une nouvelle époque de
guerres et de révolutions, c’est-à-dire
l’époque de l’impérialisme. L’éclatement
de la guerre a aussi amené la Révolution
russe d’octobre 1917 qui a établi le
premier État ouvrier et qui a donné une
impulsion à la classe ouvrière
internationalement.
De profonds
changements économiques, technologiques
et politiques ont pris place lors du
dernier siècle, mais les contradictions
fondamentales du capitalisme demeurent :
entre l’économie mondiale et le système
dépassé des États-nations et entre la
production socialisée et la
subordination de toute l’activité
économique au profit privé. La force
sociale capable d’empêcher la descente
vers la guerre mondiale et la barbarie
est la classe ouvrière internationale,
par l’abolition du système de profit et
l’établissement d’une économie
socialiste planifiée à l’échelle
mondiale. Cela nécessite l’assimilation
rigoureuse des leçons des expériences
stratégiques de la classe ouvrière au 20e
siècle, ce qui veut dire surtout
l’assimilation de la longue lutte du
mouvement trotskyste international pour
le marxisme.
(Article original
paru le 12 février 2013)
Copyright 1998 - 2013 - World Socialist
Web Site - Tous droits réservés
Publié le 21 février 2013 avec l'aimable
autorisation du WSWS
Le sommaire de Peter Symonds
Le
dossier Monde
Les dernières mises à jour

|