Opinion
L'OTAN face à une
impasse en Libye
Peter
Symonds

Le général
Abdel Fatah Younès
Mercredi 10 août
2011
Le meurtre inexpliqué
la semaine passée du commandant
militaire « rebelle » libyen, le général
Abdel Fatah Younès, a montré le
caractère divisé et instable du Conseil
national de Transition (CNT) soutenu par
l'OTAN et l'impasse militaire de ses
tentatives d'évincer le régime de
Mouammar Kadhafi. L'assassinat a suscité
une série de commentaires de la part de
ministres britanniques et français qui
infirment officiellement des mois de
propagande américaine et de l'OTAN
prédisant la chute imminente de Kadhafi.
Dans un discours
prononcé lundi, le secrétaire aux
Affaires étrangères, William Hague, a
dit : « Nous ne savons pas combien de
temps cela durera. Nous ne savons pas
quand le colonel Kadhafi comprendra
qu'il doit partir. Nous ne savons pas
quand les membres de son régime
arriveront à cette conclusion. » Tout en
exprimant la détermination du
gouvernement britannique de continuer la
guerre, Hague a mis en garde que « dans
un conflit, les choses ne se passent pas
de manière prévisible. »
Dans un commentaire
révélateur, Hague a défendu la campagne
de bombardement de l'OTAN en disant
qu'elle avait épargné « de nombreuses
vies et empêché la déstabilisation de
l'Egypte et de la Tunisie. » Le
sauvetage de civils est un prétexte
utilisé pour justifier la guerre
illégale de l'OTAN en Libye. La
référence à l'Egypte et à la Tunisie
confirme toutefois qu'en plus du
contrôle du pétrole libyen, les
Etats-Unis et l'OTAN ont l'intention
d'établir une tête de pont contre les
soulèvements révolutionnaires au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Les commentaires de
Hague ont suivi ceux faits dimanche par
le secrétaire à la Défense, Liam Fox,
qui a admis qu'il était improbable que
les rebelles libyens renversent Kadhafi.
« La clé du problème libyen, » a dit
Fox, « sera si les milieux proches du
colonel Kadhafi sont oui ou non
conscients qu'il n'y a pas d'intérêt à
investir en lui. Il est réduit à néant ;
tôt ou tard il devra quitter le
pouvoir. »
Le ministre français
de la Défense, Gérard Longuet, a fait
dimanche des remarques identiques disant
que les soi-disant combattants
« rebelles » ne seraient pas en mesure
d'attaquer eux-mêmes la capitale
libyenne. « Il doit se passer quelque
chose à Tripoli, » a-t-il dit. « Pour
dire les choses clairement : la
population doit se soulever. Le mois à
venir sera bien sûr intense. Il n'y aura
pas, je crois, de répit durant le mois
du Ramadan [le Jeûne musulman]. »
Ces commentaires
reflètent l'inquiétude ressentie à
Washington et dans les capitales
européennes quant à la stabilité du CNT
auquel ils ont accordé une
reconnaissance diplomatique. Une semaine
après le meurtre du général Younès, ni
les faits ni les causes de ce meurtre ne
sont claires. Younès avait apparemment
été rappelé jeudi du front pour un
interrogatoire sur des faits non
précisés à Benghazi où il fut tué en
même temps que deux autres officiers.
Les partisans de
Younès ont pointé un doigt accusateur
sur les Brigades des Martyrs du 17
février, un groupe de milice commandé
par un imam local et comprenant des
islamistes connus. Désireux d'éviter une
guerre factionnelle au sein du régime
« rebelle », les porte-parole du TNC ont
cherché à rejeter le blâme sur des
fidèles de Kadhafi opérant
clandestinement à Benghazi.
Lors d'un deuxième
incident non expliqué, les forces du CNT
se sont livrées très tôt dimanche matin
une bataille rangée avec un groupe de
milice présumé être une « cinquième
colonne » de partisans pro-Kadhafi. Les
combats ont duré plus de huit heures,
tuant trois combattants du CNT et quatre
membres de la milice. Le ministre
adjoint de l'Intérieur du CNT, Mustafa
al-Sagazly, a affirmé que des armes et
des explosifs ainsi qu'une liste de
futures victimes portant le nom de
Younès avaient été trouvés dans l'usine
où la milice s'était retranchée.
Dans le but de
renforcer sa mainmise sur Benghazi, le
CNT a cherché à contrôler les diverses
milices quasi-indépendantes opérant dans
la ville. Samedi, à peine quelques
heures avant les affrontements, le
dirigeant du CNT, Mustafa Abdel Jalil, a
averti différents groupes armés qu'ils
devaient soit rejoindre le CNT soit être
« anéantis. »
Les dirigeants du CNT
pourraient bien s'être servis de la
bataille pour inventer une « cinquième
colonne » afin de détourner la colère
régnant parmi les membres de la tribu
Younès - l'un des plus importants
groupes soutenant le CNT. Le quotidien
New York Times a rapporté que des
membres de la famille de Younès avaient
prévenu que les meurtriers du général
devaient être rapidement traduits en
justice. « Une semaine s'est écoulée
sans avoir reçu d'informations, » a dit
l'un de ses fils au journal. « Ce que la
loi ne nous accorde pas, nous le
prendrons par les armes, » a-t-il dit.
Manifestement préoccupé par une lutte
factionnelle interne, Washington est
intervenu en appelant le CNT à agir
d'une manière commune. Le porte-parole
adjoint de la Maison Blanche, Mark
Toner, a mis en garde lundi que le CNT
se trouvait devant l'alternative « faire
ou mourir » quant à une enquête crédible
et minutieuse sur la mort du général
Younès. « Il est important, compte tenu
de la volatilité de la situation sur le
terrain, » a-t-il dit que le CNT
« envoie un message clair et transparent
disant qu'il parle au nom de
l'opposition libyenne et du peuple
libyen. »
En fait, le meurtre
souligne à quel point les factions
dictent le caractère du CNT qui est
formé par une alliance instable
d'anciens responsables de Kadhafi,
d'Islamistes et d'agents de la CIA. Loin
de représenter les intérêts des Libyens
ordinaires, le CNT est un mandataire de
l'OTAN et de l'impérialisme américain
qui cherchent à renverser Kadhafi pour
installer un régime fantoche favorable à
leurs intérêts stratégiques et
économiques.
Plus de quatre mois
après l'attaque de l'OTAN rien n'indique
que le régime de Kadhafi est sur le
point de se désintégrer ou d'être
renversé militairement. Encouragé par la
lutte intestine à Benghazi, le fils du
colonel Kadhafi, Saïf al-Islam, a dit
lundi à la télévision libyenne :
« Personne ne doit penser qu'avec tous
les sacrifices que nous avons faits et
les martyrs de nos fils, frères et amis,
nous cesserons de combattre. N'y pensez
même pas. Indépendamment du fait que
l'OTAN parte ou non, les combats se
poursuivront jusqu'à ce que l'ensemble
de la Libye soit libéré. »
Hier, l'armée
libyenne a tiré un missile contre le
navire de guerre italien Bersagliere qui
assure le blocus de l'OTAN contre le
pays. Alors que le missile a manqué son
objectif, cette tentative prouve la
faculté militaire continue dont dispose
les forces pro Kadhafi.
L'OTAN a déjà annoncé
qu'elle ne cesserait pas sa campagne de
bombardement criminelle durant le
Ramadan. Le fait qu'elle vise des civils
et des installations non militaires
avait été souligné samedi lorsque des
avions de guerre de l'OTAN avaient
frappé les émetteurs de la télévision
libyenne, tuant trois personnes et en
blessant 15 autres. Dans un communiqué
publié hier, la secrétaire générale de
la Fédération internationale des
journalistes, Beth Costa, a dit : « Nous
condamnons catégoriquement cette action
qui a ciblé des journalistes et menacé
leur vie en violation de la loi
internationale. »
Des combats peu
probants se poursuivent aux alentours de
la ville côtière de Zlitan et dans les
montagnes au Sud et au Sud-Ouest de
Tripoli. Les combattants du CNT de la
ville « rebelle » assiégée de Misrata
affirment avoir pris le contrôle de
Zlitan et repoussé une contre-offensive
des forces pro Kadhafi. Le caractère
extrêmement limité de ces supposés gains
militaires souligne le fait que le CNT
est tout aussi loin de renverser Kadhafi
qu'il l'était y a des mois.
(Article original paru le 4 août 2011)
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Publié le 10 août avec l'aimable
autorisation du WSWS
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