Opinion
Kerry promeut la
dictature militaire en Egypte
Patrick Martin
Lundi 5 août 2013
Le secrétaire
d'Etat américain John Kerry a déclaré
jeudi que l'armée égyptienne était en
train de « restaurer la démocratie »
alors même qu'elle a renversé le
président élu du pays, Mohamed Morsi,
lors du coup d'Etat militaire du 3
juillet.
S'exprimant depuis
le Pakistan, autre pays où les
Etats-Unis ont soutenu des dictateurs
militaires qui ont renversé des
gouvernements élus, Kerry a dit lors
d'une interview télévisée, «Des millions
et des millions de gens demandaient à
l'armée d'intervenir, ils avaient tous
peur de sombrer dans le chaos, dans la
violence. »
Il a poursuivi, «
Et l'armée n'a pas pris le pouvoir,
d'après ce que nous comprenons jusque...
jusqu'ici. Il y a un gouvernement civil.
En fait, ils restauraient la démocratie.
»
Cette déclaration
était si effrontément fausse que le
journaliste de la télévision
pakistanaise a été obligé de demander si
l'armée avait restauré la démocratie «
en tuant des gens dans les rues? »
Les remarques de
Kerry sont conformes à la décision du
gouvernement Obama de ne pas qualifier
de coup d'Etat le renversement d'un
président élu, afin d'éviter de
déclencher les conditions légales
mettant fin aux subventions annuelles
américaines de 1,3 milliard de dollars
alloués à l'armée égyptienne.
Les Frères
musulmans (FM) ont critiqué la
déclaration de Kerry et leur
porte-parole Gehad el-Haddad a demandé
si Kerry soutiendrait le renversement du
président Obama par le ministre de la
Défense Chuck Hagel si des
manifestations d'ampleur se tenaient aux
Etats-Unis.
Les remarques de
Kerry semblent avoir pris au dépourvu la
Maison Blanche. Un responsable a dit au
Wall Street Journal, « Il [Kerry]
n'a pas respecté le scénario établi. »
Alors qu'en fait le
gouvernement soutient la junte
militaire, il cherche à maintenir une
position officielle de neutralité entre
lui et les FM et Morsi, avec lequel il a
travaillé en étroite collaboration
durant l'année où Morsi était au
pouvoir. Washington craint les
conséquences sociales d'une escalade de
la répression militaire contre les
Frères musulmans qui poursuivent leurs
manifestations malgré le meurtre de
dizaines de leurs partisans et
l'emprisonnement de centaines d'autres.
Les Etats-Unis font
aussi un numéro d'équilibriste entre des
alliances conflictuelles dans la région.
La Turquie et le Qatar, deux des alliés
les plus proches de Washington dans la
guerre pour un changement de régime en
Syrie et la campagne de sanctions et de
provocations contre l'Iran, sont
étroitement alignés avec les Frères
musulmans.
De plus, en
assimilant la junte militaire à la
démocratie et en ignorant sa répression
sanglante contre des manifestants non
armés, Kerry a révélé un peu plus la
tromperie des prétentions de Washington
de soutenir la démocratie et de se
soucier de la protection des civils. Il
a démontré l'hypocrisie des prétentions
selon lesquelles les Etats-Unis sont
intervenus en Libye et cherchent à
renverser Assad en Syrie du fait de
considérations démocratiques et
humanitaires.
Entre temps, le
secrétaire d'Etat adjoint William Burns
est retourné au Caire pour une seconde
visite depuis le coup d'Etat. Des
responsables égyptiens ont dit que Burns
rencontrerait à la fois le gouvernement
d'intérim du président Adly Mansour,
soutenu par l'armée, et des
représentants des Frères musulmans. Ceci
n'a pas été confirmé par les FM dont les
dirigeants avaient refusé de rencontrer
Burns lors de sa précédente visite.
Dans une autre
démonstration de soutien envers la
junte, le gouvernement Obama a confirmé
mercredi qu'il a décidé d'aller de
l'avant avec les exercices militaires
qui se tiennent une fois tous les deux
ans en Egypte, appelés Opération Bright
Star. Ces exercices se tiennent depuis
1981, à l'exception de 2011, où la
mobilisation avait été annulée dans le
contexte des bouleversements politiques
qui faisaient suite au renversement de
la dictature de Moubarak.
L'opération Bright
Star qui est prévue pour la mi-septembre
est l'un des exercices militaires les
plus importants au monde, impliquant
quelque 90 000 soldats des 11 pays
participants. L'exercice de cette année
sert à la fois de soutien tacite au coup
d'Etat de l'armée égyptienne et de
répétition générale pour une
intervention militaire américaine en
Syrie.
Mercredi aussi, le
Sénat a voté par 86 voix contre 13 le
soutien au refus du gouvernement Obama
de mettre fin à l'aide accordée à
l'Egypte avec une large majorité de
sénateurs des deux partis déclarant que
les intérêts de sécurité nationale
américains nécessitaient que soient
ignorés les conditions légales stipulant
la fin de cette aide envers tout régime
résultant d'une prise de pouvoir
militaire.
Prétendre que
l'armée égyptienne n'a pas « pris le
pouvoir » le 3 juillet est cynique et
absurde, étant donné que le Conseil
suprême des forces armées (SCAF), sous
la direction du général Abdul-Fattah al-Sisi,
a nommé un nouveau président d'intérim
pour remplacer Morsi et dicte, dans les
faits, les décisions de son sbire civil.
Al-Sisi lui-même
détient le poste de premier ministre
adjoint et de ministre de la Défense, en
plus de son rôle de chef d'état major et
dirigeant du SCAF, ce qui est une
démonstration claire de qui exerce
vraiment le pouvoir dans ce nouveau
régime.
Morsi est détenu au
secret par l'armée depuis un mois. La
répression contre les Frères musulmans
et le parti Liberté et Justice de Morsi,
leur bras politique, se poursuit sans
relâche. Le 31 juillet, le premier
ministre nommé par Morsi, Hashim Qandil,
a été condamné à un an de prison sur la
base d'accusations découlant d'un procès
concernant la privatisation de
l'entreprise Tanta Flax and Oils.
Quels que soient le
fond du procès intenté par des employés
de l'entreprise, il est clair que son
inculpation et sa condamnation étaient
politiquement motivées.
Morsi est lui aussi
confronté à des accusations plus graves
qui pourraient le condamner à la peine
de mort. Une enquête est menée sur des
accusations de meurtre et de
conspiration en lien avec un raid dans
une prison égyptienne qui l'avait libéré
ainsi que d'autres dirigeants des FM en
2011. En fait, il serait accusé de
s'être échappé de prison où il purgeait
une peine ordonnée par la dictature de
Moubarak et toujours en vigueur sous le
régime de la junte militaire qui avait
remplacé Moubarak en février 2011.
Les procureurs ont
engagé des poursuites contre le guide
suprême des FM, Mohammed Badie et deux
autres responsables de haut rang, le
guide adjoint Khairat al-Shater et le
principal dirigeant Rashad Bayoum pour
un incident qui s'est produit en juin
dernier et où des manifestants
anti-islamistes avaient été tués devant
le QG du groupe au Caire.
Tandis que les
foules se rassemblaient vendredi dans
des manifestations pro-Morsi au Caire,
la police anti-émeute a tiré des gaz
lacrymogènes et cherché à disperser les
rassemblements, tandis que les
responsables menaçaient de faire évacuer
les deux grands campements de partisans
des FM dans la capitale.
La ministre de
l'Information Dorreya Sharaf el-Din a
annoncé mercredi que le gouvernement,
soutenu par l'armée, avait donné l'ordre
que soient placés des cordons de police
autour des manifestations pro-Morsi,
déclarant qu'elles représentaient une «
menace inacceptable » à la sécurité
nationale.
(Article original
paru le 3 Août 2013)
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Publié le 5 août 2013 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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