30 septembre 2008
Il y a douze mois, dans l’Union du Myanmar (Birmanie)
naissait puis s’éteignait, étouffé par un appareil répressif
omnipotent et redoutablement bien préparé, ce que l’on
qualifia hâtivement en Occident de « révolution de safran (1) ». Un soulèvement qui hélas pour les 48
millions de Birmans s’acheva … avant même d’avoir pris son
élan. Dans la seconde quinzaine de septembre 2007, relayant
un mécontentement populaire né quelques semaines plus tôt du
relèvement inopiné et exorbitant des prix (hydrocarbures ;
transports), des manifestations populaires, timides et
éparpillées, sont signalées à travers le pays. Face à la
certitude de la répression attendant les manifestants, le
peuple birman hésite à se joindre en masse à la contestation
; dans cet Etat policier, descendre dans les rues est un
risque considérable méritant préalablement d’être soupesé.
Désireux de protéger ces hommes et ces femmes sans défense
ni coordination et espérant insuffler au mouvement une «
taille critique », le clergé bouddhiste et ses milliers
d’hommes de foi en livrée safran se joignent, de Mandalay à
Yangon, à la manifestation d’humeur, longue cohorte
pacifique, presque silencieuse, arborant la couleur et les
espoirs d’un changement, fut-il au prix d’un séisme. Un
événement en soi, sans précédent ou presque depuis les
événements de 1988, lorsque la junte militaire réprima
brutalement (plusieurs milliers de victimes) les aspirations
de la population à plus de libertés, de droits et de
considération.
· A l’automne 2008, un an après la
dernière convulsion populaire réprimée par la junte, dans
quel état retrouve-t-on la Birmanie des généraux et des
espoirs évanouis ?
Une longue et douloureuse (cf. cyclone Nargis en mai 2008 et
ses 150 000 victimes) année après ces événements, à l’orée
desquels naquirent autant d’espoirs qu’ils générèrent de
frustrations à leur crépuscule, on retrouve malheureusement
un panorama birman tristement familier : pesant de toute son
autorité sans tolérer la moindre démonstration, le plus
petit écart, la junte militaire domine du casque lourd et
des bottes cirées le débat, règle depuis son improbable
capitale Naypyidaw le cours implacable des choses, la
partition quotidienne de ses dizaines de millions
d’administrés contraints, apeurés, sans grands espoirs.
Douze mois plus tard, entre carences et abattement, la
population demeure anesthésiée, éprouvée par l’implacable
démonstration de force des hommes en uniforme. La junte a
beau avoir « libéré » 9000 individus (2) de ses
sinistres prisons ces jours derniers, rien n’indique une
quelconque inflexion, la moindre volonté de relâcher son
emprise totale sur le pays.
De son côté, l’opposition politique incarnée par son
emblématique icône Aung San Suu Kyi (3) demeure
exposée aux mêmes contraintes d’interdiction, de
surveillance et de frustration : toujours assignée à
résidence dans sa demeure de Yangon… -- à quelques
hectomètres à peine de la nouvelle ambassade américaine --,
« la Dame » poursuit son martyr et, contrainte, sa politique
« d’opposition douce », n’ayant pas le loisir de se montrer
à ses sympathisants, de partager sa solitude, son isolement,
avec son peuple et les siens. Signe inquiétant, « la Dame »
(63 ans), privée de liberté la majeure partie des deux
décennies écoulées, aurait récemment entamé une grève de la
faim. Et si « l’icône » en personne cédait elle aussi au
découragement ?
Le mois dernier (août), la population commémora –
silencieusement, sans excès ni démonstration trop
ostentatoire --, le 20eme anniversaire du soulèvement de
1988, lorsqu’un million de birmans se pressaient alors dans
les rues de Yangon pour réclamer le départ d’une junte aux
commandes de la nation depuis 1962. Ils étaient à peine une
centaine de moines à se risquer dans les rues de la cité
portuaire de Sittwe, samedi 27 septembre 2008, à manifester
pacifiquement, sans débordement, leur souvenir des exactions
conduites aux dépends de leurs compagnons de foi, un an plus
tôt.
· La population birmane est-elle à ce
point anesthésiée ? N’a-t-elle plus le souffle, l’envie, de
contester la mainmise des généraux ?
L’envie de changement politique d’une population indigente
(1/3 vit sous le seuil de pauvreté ; inflation supérieure à
30% en 2007) et esseulée, demeure. Nul doute. Mais le peuple
birman a peur ; une peur très palpable, compréhensible. La
façon dont les forces de l’ordre « matèrent » en deux jours
(26-27 sept.2007) la dernière éruption de colère (contenue,
du reste) populaire a laissé peu de doute dans l’esprit des
petites gens comme des élites urbaines : la mainmise des
militaires, leur détermination, demeurent totales, sans
faille. Et l’opposition, la société civile et le clergé,
aussi peu en mesure de contester l’injuste ordre établi.
La gestion pour le moins contestable de l’après cyclone
Nargis dans le delta de l’Irrawaddy (mai 2008 ; 150 000
victimes ; 1.5 million de personnes touchées) par les
autorités, leur manque de préparation et de savoir-faire,
l’acceptation coupablement tardive d’une assistance
humanitaire internationale, ont davantage encore pesé sur
l’exaspération populaire et le mépris voué aux généraux.
Mais pas au point de mobiliser dans les rues une masse
critique suffisante ; il est vrai que les arrestations par
centaines qui, durant de longues semaines, de longs mois
après l’éruption de colère de l’été 2007, ont continué à
harceler les foyers de contestation (société civile, membres
de la LND, militants droits de l’homme, monastères
bouddhistes, etc.), ont dissuadé l’homme de la rue de
risquer hasardeusement son destin et celui de ses proches.
Par ailleurs, une junte qui, en plein drame humanitaire,
préfère procéder à la tenue d’un référendum (adoption d’une
constitution perpétuant l’emprise de l’armée sur la vie
politique) et monopoliser ses hommes pour assurer la «
sécurité du scrutin » plutôt que de se porter au secours des
populations sinistrées, un Généralissime qui se
permet de ne pas prendre au téléphone le Secrétaire Général
de l’ONU (Ban Ki-Moon), ne sont pas des acteurs qu’il est
aisé d’émouvoir ou d’infléchir.
En guise de sucrerie bon marché à des fins de consommation
intérieure, la junte promet certes la tenue à court terme
(2010) « d’élections générales, libres et honnêtes ». Un
concept à l’appréhension bien souple dans les frontières de
l’Union du Myanmar. Birmans et observateurs étrangers se
gardent bien de penser que cette échéance se déroulera à
cette date, plus encore de croire que ses résultats, s’ils
étaient une fois encore défavorables à la junte (cf.
élections précédentes de 1990), seraient reconnus et
acceptés par le demi-million de soldats et son inamovible
hiérarchie.
· Durant l’année écoulée, la communauté
internationale – beaucoup critiquée jusqu’alors pour son
immobilisme ou son maigre investissement -- s’est-elle
montrée plus présente, plus agressive ? A-t-elle été
entendue par la junte ?
La communauté internationale ne s’est pas désintéressée de
la question birmane ; de là à dire qu’elle s’est
démultipliée pour peser de tout son poids sur les casquettes
de plomb des généraux birmans… Ces douze derniers mois, le
Représentant spécial des Nations unies pour la Birmanie,
Ibrahim Gambari, s’est rendu à quatre reprises en territoire
birman… pour ne pas être entendu, ou reçu par les véritables
détenteurs du pouvoir. Son dernier déplacement remonte à la
mi-août : « Une perte de temps », selon Nyan Win,
représentant de la LND. Aung San Suu Kyi en personne refusa
même de rencontrer l’émissaire onusien, excédée probablement
par ces gesticulations diplomatiques profitant plus à la
junte qu’à ses administrés. En six jours, I. Gambari ne fut
pas même convié à se rendre dans la nouvelle capitale et dût
se contenter de deviser avec le 1er ministre Thein Sein, un
homme sans grande autorité, sans guère de prérogatives.
Certes, le concert des nations entend maintenir une «
certaine » pression sur les généraux, souhaite leur départ,
loue le retour prochain d’une démocratie à laquelle les
Birmans aspirent dans leur immense majorité. Toutefois,
vingt longues années après les événements de 1988, douze
mois après la révolution de safran avortée, la communauté
internationale brille par son manque de prise sur un régime
plus fort, plus résistant que jamais aux improbables
injonctions de l’Occident. Le 27 septembre, les 14 Etats
membres composant à l’ONU le groupe informel des « m>
Friends of the Secretary General on Myanmar » (4)
ont rappelé l’intérêt portés aux questions birmanes,
enjoignant la junte de se placer à l’écoute de sa population
et de mettre un terme à deux décennies d’impasse politique.
Avec l’impression et les résultats que l’on devine.
Paradoxalement, jamais Yangon n’a semble-t-il été si
courtisée par ses grands voisins asiatiques (Chine ; Inde),
engagés dans une course à l’influence motivée par des
considérants stratégiques (ouverture sur la baie du Bengale
et la mer des Andaman ; gazoduc vers la Chine méridionale)
et énergétiques (accès aux gisements de gaz naturel), des
arguments primant, de loin, sur d’incommodes arguments
démocratiques d’inspiration occidentale. De quoi rendre plus
forte et plus sûre d’elle une junte sans véritable menace
intérieure ; une impasse qui confond plus encore 48 millions
de Birmans, entre soumission, désespoir et oubli. « La
communauté internationale n’oublie pas le peuple birman
» déclarait il y a quelques jours David Miliband, le
ministre britannique des Affaires étrangères. De Sittwe à
Yangon, de Mandalay à Bassein, il est aujourd’hui peu de
monde en Birmanie que ces propos faciles auront convaincus.
(1)
Du nom de la couleur du tissu porté par les moines
bouddhistes.
(2)
Dont Win Tin, 79 ans, le plus vieux prisonnier politique
jusqu’alors détenu par la junte ; libéré le 24 septembre
2008, ce membre fondateur de la Ligue Nationale pour la
Démocratie, parti de Aung San Suu Kyi, aura passé 19 années
dans les geôles birmanes.
(3)
Prix Nobel de la paix en 1991. Présidente de la Ligue
Nationale pour la Démocratie (LND), principal parti
d’opposition.
(4)
Une structure « souple » qui comprend notamment :
l’Australie, la Chine, la France, l’Inde, l’Indonésie, le
Japon, la Norvège, la Russie, Singapour, la Thaïlande, le
Royaume uni, les USA, le Vietnam et la Slovénie.