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Al-Ahram Hebdo
Ce mur qui broie en
silence
Najet Belhatem

Photo Al-Ahram
Mercredi 18 novembre 2009
Palestine.
790 km de long et 8 mètres de haut,
voilà la description physique du mur de séparation érigé par
Israël. L’autre description, morale celle-là, c’est une
Cisjordanie morcelée, des familles séparées, des agriculteurs
qui n’ont plus accès à leurs terres. Bref, une population qui
agonise lentement. Une vraie stratégie d’anéantissement.
Il y a les murs en béton, comme le mur de
Berlin dont on vient de fêter le 20e anniversaire de la chute,
il y a les murs plus sournois de l’incompréhension et du refus
de l’autre, il y a ceux invisibles mis sur la route tragique des
migrants vers le nord et les murs du silence. Mais aucun ne
ressemble au mur d’Israël. Au-delà des appellations : mur de
séparation, de ségrégation et de la honte, il est l’incarnation
lourde et flagrante d’une politique d’anéantissement de l’autre
qui remonte à loin et dont le tracé empêche de facto la création
de l’Etat Palestinien dont la proclamation a été annoncé il y a
21 ans le 15 novembre 1988 à Alger. « Le consensus actuel en
Israël est en faveur d’un Etat comprenant environ 90 % de la
Palestine, pourvu que ce territoire soit entouré de barrières
électrifiées et de murs, visibles et invisibles », écrit Ilan
Pappe, l’un des nouveaux historiens israéliens, « dissident ».
Il est connu pour sa critique des politiques sionistes d’Israël
et dans son livre édifiant Le nettoyage ethnique de la
Palestine. Il met en avant la politique d’épuration ethnique
engagée par Israël depuis 1948. Dans ce livre, il écrit que
c’est dans la Maison Rouge à Tel-Aviv, siège d’abord l’Union
locale du syndicat ouvrier et ensuite quartier général de la
Haganah, que « par un froid mercredi après-midi celui du 10 mars
1948, onze hommes, vieux dirigeants sionistes et jeunes
officiers juifs, ont mis la dernière main à un plan de nettoyage
ethnique de la Palestine ». C’était « le plan D » Daleth en
hébreu. Tel fut le lancement de la machine avec déjà une
énumération détaillée des moyens à même de faire évacuer les
Palestiniens : intimidations massives, siège et pilonnage,
incendie des maisons, des biens et démolitions … La machine n’a
jamais cessé de fonctionner et de s’adapter depuis, pour aboutir
à la décision israélienne unilatérale sous Sharon, en 2002,
d’ériger le mur. Une entreprise soutenue même par les pacifistes
sous couvert de se prémunir contre les attentats. Plus qu’une
barrière de défense, c’est d’abord et surtout un mur de
l’apartheid visant à nettoyer encore une fois le terrain des
Palestiniens. Le mur sépare et élimine par différents moyens
toute une population. Voilà pourquoi il est différent de tous
les autres murs.
Desseins inavoués mais connus
Sur son tracé, il avale toutes les ressources
en eau, englobe des terres et des colonies et coupe
Jérusalem-Est de la Cisjordanie. Voilà les desseins inavoués du
mur, comme le constatent les différentes organisations sur place
et même un rapport datant du 15 décembre 2008, tenu
confidentiel, et rédigé par les consuls généraux des pays de
l’Union européenne sur place. Ce rapport pointe du doigt le
gouvernement israélien, l’accusant d’utiliser le développement
de la colonisation, la construction du mur de séparation,
l’instauration d’un régime de permis de résidence et de
déplacement des Palestiniens, pour poursuivre activement et
illégalement l’annexion de Jérusalem. « La poursuite de la
construction du mur contribue à saper les bases de futures
négociations, 86 % du trajet de la barrière, y compris à
Jérusalem-Est étant à l’intérieur de la ligne verte de 1949 ».
Ce rapport qui, lui, a été englouti par le mur du silence a
d’ailleurs fait l’objet d’un livre intitulé Le Rapport occulté,
présentation de René Backmann (Salvator, Paris, 2009).
Il s’agit d’abord de 300 000 Palestiniens qui
vivent aujourd’hui entre la ligne verte (ligne d’amnistie de
1949) et le mur coupé de la Cisjordanie et des moyens de
subsistance. 42 villages palestiniens sont enfermés
complètement. En contrepartie, le mur intégrera de l’autre côté
plus de 414 000 colons israéliens, c’est-à-dire jusqu’à 90 % de
la population totale des colons dans le Territoire palestinien
occupé.
Au-delà de ses 790 km de long prévus et de
ses 8 mètres de haut, il est en train de broyer les Palestiniens
dans leur essence même. Il coupe la Cisjordanie en îlots
séparés. Jérusalem-Est sera isolée du reste de la Cisjordanie.
Les autres villes et villages de la Cisjordanie vivront au
compte- goutte des permis et des check- points et des moyens
élémentaires de vie.
Mainmise sur l’eau et les terres
Le tracé du mur illustre une intention
flagrante de mainmise sur les ressources en eau et de
spoliation, encore une fois, des terres palestiniennes.
Il rase 250 ha des terrains palestiniens
abritant 70 % des oliviers de la zone et les deux sources
principales de la population, l’agriculture et l’élevage, sont
en passe d’être anéanties. En fait, le drame est déjà enclenché.
Les agriculteurs palestiniens doivent désormais obtenir des
permis pour accéder à leur terres d’exploitation. Amnesty
international rapporte le cas d’un des villages. A Jayyous, à la
frontière de la Cisjordanie entre Israël et le mur, les familles
sont séparées et les agriculteurs n’ont plus accès à leurs
terrains agricoles sauf en obtenant un permis israélien. « Dans
ce village, 30 permis ont été annulés fin juin 2007 sans
justification », relève l’organisation.
Oxfam–Solidarité, une autre organisation
d’aide internationale, incrimine ces permis délivrés au
compte-goutte : « Certains Palestiniens découvrent par exemple
qu’ils sont repris sur une liste noire établie par les
Israéliens et n’ont donc aucun espoir d’obtenir un permis. Ceux
qui n’y figurent pas peuvent réclamer l’accès à leurs terres,
mais doivent pour cela présenter des papiers d’identité,
disposer de documents qui prouvent qu’ils sont propriétaires des
terres ou qu’ils en ont hérité, remplir divers formulaires et
avoir des photos des parcelles … ». Il faut ensuite que la porte
agricole la plus proche soit ouverte, ce qui n’est pas toujours
le cas. L’organisation rapporte les propos de Sharif Omar,
agriculteur de 66 ans : « Il y a deux ans, je suis resté sept
mois sans pouvoir me rendre sur mes terres ». Et d’ajouter : «
En nous empêchant d’accéder à nos terres, les Israéliens ont
beau jeu ensuite de déclarer que nous ne nous en occupons pas ».
En effet, l’organisation révèle que les autorités israéliennes,
une fois les agriculteurs séparés de leurs terres, font appel à
des lois datant des Ottomans et des Britanniques, ainsi qu’à
celle « des propriétaires absents » pour tenter de mettre un
cadre légal à ces confiscations. Il y a aussi un autre moyen de
dépossession : les noms de familles. Israël a imposé aux
Palestiniens d’ajouter un nom de famille au prénom suivi de
celui du père et du grand-père utilisés d’habitude. « Les terres
de ma famille sont enregistrées sous le nom de mon père Mohamad
Omar Mohamad. Mon nom est Sharif Mohamad Omar Mohamad, ce qui
devient pour les Israéliens Sharif Mohamad Omar Mohamad Khalid.
Mon fils aîné Azzam s’appelle donc Azzam Sharif Mohamad Khalid
et mon petit-fils Sharif Azzam Sharif Khalid. A priori, il n’y a
plus aucun lien apparent entre leur nom et celui de mon père.
Dans quelques années, les Israéliens pourront donc affirmer que
mon petit-fils n’a aucun lien avec la terre familiale », prévoit
l’agriculteur. Comme les agriculteurs, les étudiants ne peuvent
pas se rendre à leur écoles et les malades ont du mal à avoir
accès aux soins. Sur son tracé, le mur a englouti les ressources
en eaux. Ainsi à Qalqylya (nord de la Cisjordanie ),
complètement encerclée par le mur dont les 50 mille habitants
sont isolés, 40 % des terres et le tiers des puits sont de
l’autre côté du mur. Et justement sur cette question de l’eau
dans un rapport daté du 27 octobre 2009, Amnesty international
accuse Israël de priver les Palestiniens des ressources
aquifères en Cisjordanie. Rapport très mal accueilli par Israël.
L’organisation révèle à quel point les politiques et pratiques
discriminatoires d’Israël en matière d’eau bafouent les droits
des Palestiniens. 80 % de l’eau de Cisjordanie va à Israël (300
litres par pers) et 20 % aux Palestiniens (70 litres par pers).
« Par ailleurs, ajoute le rapport, les limitations sur les
déplacements des personnes et des biens dans les territoires
occupés accentuent les difficultés pour mettre en place des
projets d’eau dans les villages ». L’armée israélienne détruit
même les cuves de récupération d’eau des pluies que les
villageois installent et confisque les camions citernes. «
Quelque 450 000 colons utilisent autant d’eau que toute la
population palestinienne », commente le rapport. Pour dire que
le mur d’Israël cristallise la ségrégation dans toutes ses
formes.
Nouvelle arme, vieille stratégie
Et pourtant, rien n’a pu arrêter son avancée
qui se fait aux prix de discriminations multiples et de
violations incessantes au droit international sous les yeux du
monde, afin de rendre la vie des Palestiniens impossible et les
pousser ainsi à partir vers d’autres cieux plus cléments. Même
l’avis de la Cour Internationale de Justice (CIJ), émis le 9
juillet 2004, qui qualifie l’édification du mur comme contraire
au droit international et met Israël dans l’obligation de
réparer tous les dommages. En attendant sur le terrain, les
Palestiniens continuent à s’opposer à ce symbole d’apartheid. Le
7 novembre, des Palestiniens ont abattu un pan du mur et
l’opération a été menée par des Palestiniens aidés par des
activistes. Et tous les vendredis, des villages organisent des
marches de protestation vers le mur. Ce fut le cas ce vendredi
13 novembre dans le village de Biliin dans la région de
Ramallah, où le mur isole 60 % des habitants de leurs terres
agricoles. Et puis, il y a Biliin où les manifestants ont scandé
« De Berlin à Biliin » (voir reportage page 5). Pour crier au
monde que tous les murs à travers l’histoire ont fini par
tomber. Mais faudrait-il avant que le mur du silence tombe, que
des rapports, comme celui des consuls généraux de l’Union
européenne, soient immédiatement publiés et mis au grand jour et
que des rapports comme celui de Goldstone ne soient pas broyés
par des arsenaux de procédures politico-juridiques qui empêchent
une condamnation internationale.
Car en attendant, la machine israélienne ne
cesse d’avancer, resserrant chaque jour l’étau autour de toute
une population. L’épuration, reconnaît l’historien Pappe dans un
entretien publié le 23 mars 2007 par le quotidien italien Il
manifesto, « se réalise de diverses manières. Il y a soixante
ans, on recourait aux armes pour obliger les gens à fuir.
Maintenant, à cause du contrôle des médias et des institutions
internationales, on utilise d’autres méthodes. Rendre la vie
impossible, restreindre les possibilités économiques et réduire
la capacité de développement : ces nouvelles stratégies
fonctionnent d’autant mieux qu’elles se conjuguent avec le refus
d’une véritable négociation avec les Palestiniens ». Dans ces
nouvelles stratégies, le mur de l’anéantissement s’inscrit
désormais comme l’arme idéale qui fait proprement « une sale
besogne ».
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 19 novembre 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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