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Les leçons de Ghaza
L'impunité ne sera pas éternelle
Mustapha Cherif
Jeudi 22 janvier 2009 Dans cette guerre, il y a
un agressé et un agresseur, un colonisé et un colonisateur, un
opprimé et un oppresseur.
Ghaza. Le monde a vécu des moments tragiques,
des dialogues de sourds, le détournement du sens des mots et de
la censure, l’émotion face au carnage, le sentiment
d’impuissance, de révolte. Cette guerre, question
archi-politique et non religieuse, ni raciale, doit être
interrogée. C’est un tournant dans les relations et les
imaginaires entre les Palestiniens et les Israéliens, le Nord et
le Sud, le monde musulman et l’Occident. Pour tous les analystes
objectifs, un fait fondamental doit être gardé en vue quelle que
soit la divergence des opinions: dans cette guerre, qui bafoue
tous les principes, il y a un agressé et un agresseur, un
colonisé et un colonisateur, un opprimé et un oppresseur.
Première leçon: Prise de conscience
Face à l’arrogance sioniste, la brutalité de sa soldatesque et
la gravité de la situation, les peuples arabes, et des
responsables politiques réagissent d’abord émotionnellement.
Cependant, partout, l’immense majorité des manifestants ont fait
preuve de maturité, gardé leur sang- froid, respecté les lois de
la Cité, et ne sont pas tombés dans le piège des provocations.
Peu ont appelé à la guerre, mais la plupart ont demandé l’arrêt
de l’agression d’une population totalement démunie, soumise au
blocus et aux bombardements. Cependant, des régimes arabes,
malgré leur riche histoire nationaliste, sont paralysés par la
crainte de voir une seule faction de la résistance, à
l’idéologie contestée, profiter de la situation. Obnubilés par
le rapport de force, prisonniers de visions défaitistes, ils se
retrouvent incapables d’une analyse historique qui permet de
définir leur stratégie. La tragédie de Ghaza risque de se
répéter si la priorité n’est pas donnée à la mise en ouvre de
mesures concrètes de pression, à de nouvelles alliances et à la
volonté politique. Les armes de notre temps sont avant tout
économiques et informationnelles. Il s’agit de comprendre les
enjeux, de soutenir le mouvement de libération, et d’amener les
adversaires à s’inscrire dans la négociation, sur la base du
droit et non point de la loi de la jungle. Au sein des
Palestiniens, pour défendre leur intérêt fondamental,
l’indépendance et la liberté, il y a une unité à fonder, une
stratégie à concevoir et un coût à assumer. La lutte de
libération dans notre pays a triomphé sur ces bases. La
résistance palestinienne, malgré ses limites, vient de démontrer
qu’elle est capable de sacrifices.
Deuxième leçon: Tirer les leçons du
passé
Le monde arabe et musulman commence à prendre conscience que
durant des décennies, il n’a pas su gérer cette question
centrale. La proposition de paix, adoptée à l’unanimité des pays
arabes depuis 2002, fondée sur la normalisation avec Israël, en
échange des territoires occupés en 1967, est conséquente. Mais
elle restera ignorée si des mesures concrètes de sont pas
prises. Des régimes arabes et ces dernières années des groupes
manipulés, ignorants des réalités du monde, ont succombé à la
provocation, alimentant la peur et la propagande islamophobe,
dans le contexte de la mondialisation de l’insécurité. De leur
côté, les Israéliens et des Occidentaux ne voient pas
l’injustice, la disproportion entre les deux situations, celle
de l’agresseur, Israël, face à celle de l’agressé, le
Palestinien. Trop d’Israéliens et d’Occidentaux sont intoxiqués
par la propagande sioniste qui est pourtant l’anti-judaïsme et
l’anti-humanisme. Sans correction de l’autisme israélien et
occidental, par des pressions arabes constructives, dont il faut
supporter les conséquences, contrecarrer la désinformation au
sujet de la juste cause palestinienne, restera une mission
impossible, même si, fait décisif, Ghaza est devenue le symbole
des opprimés, des faibles et des discriminés.
Troisième leçon: Changer la vision de
l’Occident
Il faut tenir au droit à la critique. Le monde musulman a prêté
le flanc. Si un travail de fond n’arrive pas à élever le niveau,
rester à la fois ouvert et ferme et changer le regard de
l’Occident au sujet de l’Orient, une guerre de mille ans
s’annonce. La politique du deux poids, deux mesures, flagrante,
au détriment des Palestiniens, a pris des proportions
inadmissibles. Elle est, en outre, contraire aux intérêts des
pays occidentaux. Cela ruine leur crédibilité, la sécurité de
tous et l’idée d’un ordre mondial juste. L’Europe n’est pas
quitte avec son passé. Des pouvoirs en Occident, traumatisés par
le génocide des juifs d’Europe, ont encore mauvaise conscience.
L’instrumentalisation de l’innommable, la Shoah, constitue le
socle du fait qu’Israël se place au-dessus de toute loi.
L’inconscient collectif israélien a des difficultés à assumer
l’histoire du judaïsme. Le sionisme, source de la politique
inique mise sur le souvenir de la Shoah et la peur pour la mise
au silence de toute critique à l’encontre de sa politique
sauvage. L’Israélien gère l’immense catastrophe qu’a été pour
lui la Shoah, par son exploitation pour se réfugier dans
l’impunité. Il amplifie et ne montre que la souffrance des
siens. L’agression sadique et la répression inhumaine du peuple
palestinien sont à la fois le résultat de cette histoire et de
calculs étroits liés à l’ambition d’hégémonie, à la
désinformation, à la confusion entretenue au sujet de
l’extrémisme mis en avant comme un épouvantail. Pour obtenir
l’aval de la communauté internationale en vue de coloniser, de
réprimer, de dominer, la propagande sioniste stigmatise,
alimente le choc des civilisations, diabolise et inculque que
tout musulman serait un extrémiste. Fondée sur l’amalgame, elle
fait diversion, même si l’opinion internationale n’est pas dupe
et que des courants dénoncent le bellicisme et les crimes de
guerre. Le sionisme banalise le mal et fabrique des ghettos.
L’impunité ne peut durer éternellement, si les Palestiniens sont
unis et sauront conduire leur résistance, comme par l’Intifadha
qui est un noble et original mouvement populaire.
Quatrième leçon: Cette guerre est une
diversion
Comble de la partialité, les Occidentaux, décident de désarmer
le Palestinien, la victime, le colonisé, et lui demandent de
reconnaître son bourreau. L’Occident dit assurer la sécurité au
colonisateur et évite de garantir au colonisé sa libération. Le
cynisme consiste à projeter des mesures d’aide humanitaire, au
lieu de prévoir une conférence internationale pour le règlement
définitif de la création de l’Etat palestinien. Ghaza impose une
question: comment Israël et les USA, et des pays européens
consentants, peuvent -ils s’imaginer obtenir sécurité et paix en
violant les règles de la guerre et en semant la mort et la
haine? Ce n’est pas un simple aveuglement, ou un racisme
ordinaire. Israël et ses alliés considèrent que l’obstacle à
l’hégémonie des USA, et du libéralisme sauvage, en premier lieu,
est constitué par les peuples de culture musulmane. Un problème
politique, la colonisation de la Palestine, est perçu comme
stratégique dans les relations entre l’Occident et le reste du
monde. L’invention d’un nouvel ennemi, a pour but non pas de
lutter contre le terrorisme, mais de faire diversion, d’empêcher
que les questions des crises et des inégalités que vit
l’humanité soient abordées. L’Islam, perçu comme l’autre version
de l’humain, est visé. Les réactions irrationnelles qui
revendiquent son nom ne peuvent servir de prétexte à la guerre
contre les musulmans. Empêcher que le peuple palestinien accède
à l’indépendance c’est créer un abcès de fixation, une
diversion, pour barrer la route au débat au sujet du système
dominant. La vision idéologique postjudéo-chrétienne de
l’histoire, cherche à imposer un seul langage et une seule
conception de la modernité. Pour être à la hauteur du défi, le
monde musulman doit revivifier ses capacités de civilisation,
pas seulement se plaindre.
Cinquième leçon: La violence est totale
Il faut changer le rapport de force par une réponse globale,
politique, culturelle économique. Il est logique d’affirmer que
la question n’est pas religieuse. La culture politique moderne
refuse d’écouter, réprime, et traite de terroristes tous ceux
qui s’opposent à son totalitarisme. L’entité sioniste se veut à
la pointe de la répression de toute dissidence. Diviser pour
régner, multiplier les colonies, pour rendre irréversible la
domination, est la ligne de l’entité sioniste, qui ne peut
exister que dans le bellicisme. Politique systématique de
morcellement des territoires occupés, de l’apartheid. Ghaza
coupée du monde. Le tout habillé par la mise en place de
stratagèmes et faits accomplis aux lieu et place du droit
international. La venue du nouveau président américain Barack
Obama peut être une opportunité de corriger cette politique
vouée à l’échec. La politique démentielle du président sortant
des USA se résume dans cet accord israélo-américain, cinq jours
avant la fin de son mandat, qui réduit la question de la
résistance à celle d’une «contrebande d’armes». L’entité
sioniste surarmée pour asseoir son rôle de gendarme du monde
musulman, tente de fermer le jeu, mais il ne faut point renoncer
à éclairer le nouveau président. Il s’agit de préciser que nul
ne peut accepter de vivre à l’ombre d’un Etat qui ne ressemble à
aucun autre, qui colonise et se place au-dessus de toutes les
lois. «Terre promise» dans le discours théologique juif,
concept contesté, devenant «Terre Permise».
Sixième leçon: S’allier
Personne ne peut seul faire face aux incertitudes. Dans ce
contexte, dialoguer, ce n’est point accuser l’autre, refuser la
critique de soi, mais comporte des conséquences: droit à la
dignité, à la démocratie pour tous. Les systèmes politiques sont
appelés à pratiquer l’humilité, surtout après les grands séismes
politiques et leurs répliques encore visibles, des temps
modernes, depuis trois siècles: colonisations rapaces de
peuplement, l’innommable figuré par Auschwitz, Hiroshima, le
Goulag, Sarajevo, et aujourd’hui Ghaza, qui configurent le
tombeau de la modernité. Aucune époque n’a été plus sombre.
Mêmes barbares, les siècles obscurs fondés sur la cruauté n’ont
jamais atteint ce degré sophistiqué de la déshumanisation et du
refus de l’autre, dont le régime pulsionnel vise la destruction,
la domination, dans une logique du chaos, de la loi du plus fort
et du risque nucléaire. C’est ce que Ghaza subit. Pourtant,
l’époque est aussi sans pareille en ce qui concerne la
possibilité de résister et la passion de la liberté. La violence
sioniste et néo-conservatrice américaine tentent d’empêcher de
réinventer une nouvelle civilisation. Une nouvelle Andalousie
qui fait défaut au monde. Ce qui se joue en Palestine est aussi
l’avenir du droit à la différence, du droit des peuples. La
Turquie, l’Iran, le Venezuela, la Bolivie, lieux de
civilisations, et d’autres, ont conscience du risque historique.
Septième leçon: Revenir au raisonnement
Ce que les peuples de culture musulmane doivent comprendre a
trait au fait que la force de la politique occidentale, malgré
ses contradictions, repose sur l’exercice de la raison
calculante. L’être moderne prend le risque de raisonner sans
états d’âme. Le mondial musulman est en crise, mais cela est
conjoncturel. La régression n’est pas fatale. Ce que le moderne,
de son côté, doit comprendre réside dans le fait que le musulman
a participé, et le peut encore, à la civilisation. L’Occident se
mondialise. Ce qui pose problème, pour d’autres cultures, c’est
cette hégémonie qui est imposée. Une vision du monde qui suscite
des formes de déshumanisation. Les cultures traditionnelles dans
le monde succombent dans la dépersonnalisation. Les musulmans de
leur côté résistent, mais sans réformes internes et créativité
cela restera insuffisant. L’époque actuelle est celle où il est
vital que ce qui apparaît comme monde occidental et monde
musulman liés, analysent leur devenir. L’Occident ne doit pas se
laisser bercer par les avancées significatives qu’il a
réalisées, et encore moins influencer par les milieux acquis au
sionisme. Il doit faire le bilan sur son histoire et
s’interroger sur les risques qu’il fait courir à l’humanité, de
par la réfutation du droit à la liberté, à la différence et les
inégalités qu’il impose. Le monde musulman, compte tenu de la
justesse de sa cause, ne peut céder face aux oppressions, et
doit s’interroger sur ses faiblesses, les pratiques internes
fermées qui nuisent à ce qu’elles croient défendre et sur
l’absence de systèmes démocratiques. Cette double résistance,
par rapport à la situation interne et mondiale sera salutaire si
elle prend en compte ces enjeux. Ghaza est le signe
avant-coureur de lendemains qui appellent à la mobilisation sur
une base démocratique. A cette condition, l’impunité dont jouit
l’entité sioniste, qui détruit toute idée de Cité juste, ne sera
pas éternelle.
Mustapha Cherif, Philosophe
algérien
www.mustapha-cherif.net
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Publié le 22 janvier 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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