Alors que la «constitution Morsi» est
passée
La place Tahrir
prépare l'après-référendum
Mustapha
Benfodil
Photo: El
Watan - © AFP
Mardi 25 décembre
2012 Le verdict du
référendum sur la nouvelle Constitution
en Egypte, qui s’est prononcé par 64% de
«oui» selon des résultats officieux, ne
semble guère avoir affecté plus que de
raison les irréductibles de la
révolution du 25 janvier campés à Maydan
Attahrir. Le Caire
De notre envoyé spécial
Depuis un peu plus d’un mois, cette
fraction importante de l’opposition au
président Morsi occupe la mythique
place, cœur battant du Caire et symbole
emblématique du soulèvement qui a fait
tomber le régime de Hosni Moubarak. Ils
sont installés nuit et jour dans des
tentes et n’entendent pas décamper de
sitôt, surtout pas après le quitus que
vient de donner ce scrutin au président
Mohamed Morsi, et qui lui confère par là
même des pouvoirs exorbitants. Une
cinquantaine de tentes (48 exactement,
selon l’un des coordinateurs du camp) se
cramponnent à «leur» place, malgré le
froid de canard qui règne en ce moment
au Caire.
Les tentes représentent chacune un
parti, une association ou des groupes de
contestataires indépendants, tous ayant
en commun une farouche détermination à
entretenir la flamme de la révolution du
25 janvier. On y trouve de tout : des
Nassériens, des libéraux, des militants
de gauche, des «facebookistes» heureux
de retrouver les joies du terrain, ou
encore des activistes de «Kifaya» et
autre Mouvement du 6 avril. Une forêt de
slogans chamarrés couvre la place, à
l’ombre de l’imposant bâtiment de la
Ligue arabe. Dans le lot, ce mot d’ordre
qui revient partout comme une
ritournelle, faisant écho au slogan-clé
de la révolution du 25 janvier : «Irhal
!», «Dégage !», lâché cette fois-ci à
l’adresse de Morsi.
« Irhal ya fachil ! » appuie un
autre, quand un graffiti soutient : «Yasqot
El Ikhwan ! «(A bas les Frères
musulmans). Même si le « Maydan » s’est
relativement calmé, il connaît en vérité
une animation ininterrompue, entre
débats passionnés, petits concerts
improvisés ou encore quelques
affrontements sporadiques entre les
jeunes du camp et la police ou les pro-Morsi
quand ils viennent les titiller. Car
pour Safaa, Hassan, Wael, Magdy et
autres « vigiles » de la Révolution, ce
n’est surtout pas le moment de lever le
camp. Il y va de la survie même de leur
mouvement, et c’est peu dire que c’est
tout le destin de l’Egypte
post-référendaire qui se joue ici.
«Tous les
référendums se terminent par un oui»
Dans quel état d’esprit sont-ils, eux
qui ont ardemment mené campagne pour le
«non» ? Et, surtout : que faire
maintenant que Morsi a passé «sa»
Constitution ? Premier fait à retenir :
ce résultat ne surprend personne. Vu le
déroulement du scrutin, nul ici n’est
dupe pour croire à un miracle qui aurait
pu surgir des urnes. Aussi préfèrent-ils
faire contre mauvaise fortune bon cœur
et se remettre au travail en vue de
remobiliser la société autour d’un vrai
projet démocratique. Wael El Kadi, cadre
au sein du parti Doustour d’El Baradei
et membre de la coalition des comités de
défense de la Révolution se veut lucide
: «Il n’y a jamais eu de référendum dont
le résultat a été ‘non’.
Donc, nous, quand nous avons fait
campagne pour le ‘non’ nous savions
pertinemment qu’à la fin, c’est le «oui»
qui allait l’emporter», dit-il, avant de
poursuivre : «Il y a eu des méthodes qui
ont été utilisées (par le pouvoir) qui
devaient fatalement conduire à ce
résultat. Il y a eu un conditionnement
dans ce sens. Moi je suis un enfant du «saeed»
(la campagne égyptienne). Je suis issu
de la mouhafadha d’El Minia. Quand je
suis allé voter, j’ai constaté que la
plupart des gens ne savaient même pas
pourquoi ils allaient voter ‘oui’. Ils
me demandaient pourquoi tu votes ‘non’
et je leur expliquais les articles de la
Constitution qui ne me convenaient pas.
Mais eux, ils me disaient simplement
: on vote pour la charia islamique.»
Wael pointe notamment les prérogatives
«pharaoniques» du président en disant :
«Je n’appellerai pas ça les
‘prérogatives’ mais les ‘dictatoratives’
du nouveau président. Il s’est arrogé
des pouvoirs supérieurs à ceux de
Moubarak lui-même. Par exemple,
l’article 173 qui l’autorise à nommer le
procureur général. L’article 176 stipule
que les 10 membres de la Cour
constitutionnelle sont désignés par le
Président. L’article 199 dit que c’est
lui le chef suprême de la police…»
A quoi s’attend-il maintenant que le
«oui» est passé ? «Les gens vont
s’agiter, les manifs vont reprendre de
plus belle mais après, le peuple en aura
marre et tout le monde va rentrer chez
lui. Le pouvoir va essayer de nous avoir
à l’usure mais, en ce qui nous concerne,
le travail ne fait que commencer. Nous
nous donnons rendez-vous le 25 janvier
pour relancer la Révolution. Nous sommes
en train d’œuvrer dans ce sens. Mais ça
sera une révolution pacifique. Nous
avons fait tomber le régime de Moubarak
pacifiquement et nous avons parfaitement
la possibilité de faire tomber celui-ci
sans violence aussi. D’ailleurs, ces
tentes vont rester ici jusqu’à la chute
de la dictature, qu’elle ait un visage
ikhwaniste ou un autre.»
Urne magique
Izzat Saad est secrétaire général du
parti Hizb Ethawra (le parti de la
Révolution) pour la région du Caire, un
parti né dans la foulée du soulèvement
du 25 janvier 2011, et qui a, lui aussi,
sa bannière à la place Tahrir. Izzat est
également membre d’une commission
indépendante pour la surveillance du
référendum. A ce titre, il a eu à
relever de nombreuses irrégularités,
témoigne-t-il, et parle de «tazouir
fahiche» (fraude flagrante). «J’ai été
observateur dans le gouvernorat de
Qayloubiya et je peux vous dire qu’on a
usé et abusé de la fraude, notamment
dans les centres de vote pour femmes.
Nous avons noté que des militantes ‘Ikhwan’
allaient dans les maisons faire du
porte-à-porte auprès des femmes en
faveur du ‘oui’, et nous avons relevé
que nombre de citoyennes se voyaient
remettre leurs cartes d’électrice devant
les bureaux de vote, ce qui est
proprement illégal. Comment peut-on
disposer comme ça des cartes de vote des
gens ?
Nous avons des enregistrements vidéo
sur les dépassements qui ont été commis.
Nous avons présenté nos observations à
la Commission électorale qui a nié ces
dépassements. Ils ont utilisé ‘l’urne
magique’ qui transforme le ‘non’ en
‘oui’.» Dans un communiqué, le Front du
salut national dit avoir recensé, de son
côté, pas moins de 300 irrégularités
lors de cette deuxième phase. Pour Izzat
Saad, ce scénario était prévisible :
«Tout était mal parti depuis le début.
Il aurait fallu avant tout dissoudre
l’Assemblée constituante et revoir sa
composition sur des bases consensuelles.
Le projet de Constitution a été élaboré
d’une façon unilatérale. Nous savions
donc que le « oui » allait passer.»
Pour l’après-référendum, Izzat Saad
préconise lui aussi de remobiliser les
Egyptiens autour d’une nouvelle
alternative en martelant : «La
révolution a été détournée depuis le
départ. Ce qui se passe maintenant n’a
rien d’une démocratie. C’est pire que le
régime précédent. Ce pouvoir n’a aucune
légitimité. Le slogan de la révolution a
toujours été ‘Iche, houria, adala
igtimaîya’ (pain, liberté, justice
sociale). Or, il n’y a pas eu 1% de cela
qui ait été réalisé. Ils ont anéanti le
caractère citoyen de l’Etat. Nous avons
affaire à un Etat ‘takfiriste’.» Pour
autant, Izzat Saad ne baisse pas les
bras, loin s’en faut : «La révolution va
continuer jusqu’à l’instauration d’une
vraie démocratie en Egypte. Nous le
devons à nos martyrs », tonne-t-il.
Khaled Abou Zeid est coordinateur du
parti des Egyptiens Libres à la place
Tahrir. C’est le parti de Naguib Sawiris,
une formation qui se revendique du
courant libéral. Khaled Abou Zeid n’est
pas non plus choqué par le résultat.
Néanmoins, il redoute le pire. «C’est
normal que le ‘oui’ passe, il y a eu des
tripatouillages flagrants. Ce pays va
tout droit à la guerre civile. Ça va
être comme chez vous, en Algérie»,
prévient-il. Magdy El Mourchidi, un
autre activiste de la place Tahrir qui
se présente comme un indépendant, fait
lui aussi référence à «l’expérience
algérienne» mais dans un autre sens :
«Cela fait combien de temps que vous
avez fait votre révolution démocratique,
20 ans ? Et ce n’est pas gagné. Nous,
nous en sommes à peine à notre deuxième
année. Il faut savoir être patient»,
tempère-t-il.
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