Opinion
Libye, la monstruosité de l'impérialisme
humanitaire disséqué par Pepe Escobar
Mounadil al Djazaïri
Le siège de l'OTAN
Mardi 23 août 2011
Même si tout
n’est peut-être pas encore terminé
en Libye, on peut dire que dans son
combat, le colonel Kadhafi, sa
famille et
ceux qui en Libye lui sont restés
fidèles n’ont pas manqué de courage
et même de panache. Certes Kadhafi
est un dictateur au visage
boursouflé par le botox mais il a
fait preuve d’une classe qui fait
défaut à ses adversaires
occidentaux, de Sarkozy à Cameron en
passant par Obama et le Canadien
Harper. Pour tout dire, la France
avait fait beaucoup
moins bien avant
de demander un armistice au Reich
allemand en juin 1940.
Ils ont
parfaitement fait honneur au nom de
leur pays, Libye, un nom que déjà
les Egyptiens anciens prononçaient
alors que le monde civilisé n’avait
que vaguement entendu parler du
Gharb, ce mot sémitique qui donnera
Europe. Les Lebou ou Libyens étaient
en effet ces tribus et Etats
berbères qui affrontaient
régulièrement l’Egypte des Pharaons,
la superpuissance de l’époque. Une
dynastie impériale égyptienne au
moins sera d’ailleurs d’origine
libyenne.
Au nom du
Parti Socialiste français, Harlem
Désir déclare
se réjouir de la fin du « régime
dictatorial » libyen.
De fait, le PS de Martine Aubry a
soutenu dès le début l’aventure
néocoloniale lancée par MM. Sarkozy
et Cameron. Ce n’est pas une erreur
d’appréciation ou d’analyse de la
part des dirigeants socialistes mais
simplement un signe de leur adhésion
idéologique à ce genre
d’entreprises.
Après tout,
Bernard Kouchner, le pionnier du
retour aux vertus de l’ingérence
humanitaire ne fricotait-il pas avec
le PS avant d’aller rejoindre le
gouvernement de M. Fillon ? Il y a
des logiques profondes que
l’enrobage des discours peine
pourtant à masquer complètement.
Et au fond,
quand on écoute Me
Thibault de Montbrial,
avocat en France de Mme Nefissatou
Diallo, on est confondu par le
niveau de la gangrène qui pourrit le
Parti Socialiste.
Il faut
beaucoup de sang froid,
d’informations et d’esprit d’analyse
pour naviguer dans le brouillard et
les écrans de fumée de la propagande
occidentale. C’est ce que fait, il
n’est bien sûr pas le seul, avec
brio Pepe Escobar dans un article d’Asia
Times où il expose non seulement les
objectifs stratégiques et
économiques de l’OTAN et des Etats
Unis en Libye, mais aussi la
structure de l’alliance
«démocratique et humanitaire»
où se mêlent des démocraties
reconnues comme le Royaume Uni et
les nouvelles grandes démocraties
que sont la Jordanie ou l’Arabie
Saoudite. Martine Aubry ne pipe mot
à ce sujet d’ailleurs.
Enfin il
explique en quoi a consisté
l’opération «Sirène », une action
planifiée de bout en bout par l’OTAN
qui n’a ménagé non plus aucun effort
logistique, sans parler de sa
contribution en hommes et sans
omettre bien sûr des opérations
massives de bombardements dont
les victimes
civiles se comptent pas milliers.
Lisez
attentivement l’article, il nous
permet de comprendre plus
précisément la nature monstrueuse et
foncièrement inhumaine de ces
puissances qui prétendent agir à des
fins humanitaires.
par Pepe
Escobar, Asia Times (Hong Kong)
24 août 2011
Big Kadhafi
vient à peine de quitter les
lieux – le complexe de Bab-al-Azizia
– que les vautours occidentaux
tournoient déjà au-dessus; c’est
la ruée pour s’emparer du “gros
lot” – les ressources
pétrolières et gazières
libyennes.
La Libye est autant un pion dans
une importante partie d’échecs
géopolitique, géo-économique et
géostratégique qu’une saynette
moralisatrice présentée sous
forme de reality-show ; des
“rebelles” idéalistes gagnent
contre l’ennemi public N°1. Autrefois,
cet ennemi public était Saddam
Hussein puis Oussama ben Laden
et c’est aujourd’hui Mouammar
Kadhafi. Demain
ce sera le président Bachar al-Assad
en Syrie, un jour ce sera le
president mahmoud Ahmadinejad.
L’ennemi n’est jamais l’ultra-réactionnaire
famille Saoud d’Arabie.
Comment l’OTAN a gagné la guerre
Malgré la
spectaculaire réapparition du
fils de Kadhafi Seif al-Islam,
l’OTAN a pratiquement gagné la
guerre civile libyenne (ou
“activité militaire kinétique,”
selon la Maison Blanche). Les
masses « populaires libyennes »
ont été au mieux spectatrices,
ou en petite partie actrices
sous la forme de quelques
milliers de « rebelles » munis
de kalashnikovs.
Le haut de l’affiche a été tenu
par la R2P (Responsabilty To
Protect, “devoir de protéger”).
Dès le début, la R2P brandie par
la France et la Grande Bretagne
avec le soutien des Etats Unis
s’est comme par enchantement
muée en changement de régime. Ce
qui a amené dans cette
production des acteurs non cités
dans le casting: des
“conseillers” fournis par les
monarchies arabes ainsi que des
“contractors” ou “mercenaires”.
L’OTAN a
commence à l’emporter en
déclenchant l’opération Sirène
au moment de l’Iftar (rupture du
jeune du mois de Ramadan –
samedi soir dernier. « Sirène »
était un nom de code pour
l’invasion de Tripoli. C’était
le coup de force final – et
désespéré – de l’OTAN après que
l’absence complète de résultats
des rebelles chaotiques après
cinq mois de lutte contre les
troupes de Kadhafi.
Jusqu’alors,
le plan A de l’OTAN avait été
d’essayer de tuer Kadhafi. Ce
que la claque de la R2P – de
droite comme de gauche – a
baptisé « l’usure régulière de
l’OTAN » se résumait à prier
pour trois résultats : Kadhafi
est tué, Kadhafi se rend,
Kadhafi fuit.
Non que rien de tout ça ait
empêché des bombes de tomber sur
des maisons, des universités,
des hôpitaux où même près du
ministère des affaires
étrangères. Tout – et tout le
monde – était une
cible. “Sirène” comportait une
distribution haute en couleurs
de “rebelles de l’OTAN”, de
fanatiques islamistes, de
journalistes crédules « embedded »,
des foules enthousiastes pour la
télévision, et des jeunes de
Cyrénaïque manipulés par des
transfuges opportunistes du
régime de Kadhafi qui
s’attendent à de gros chèques de
la part des géants pétroliers
Total et BP.
Avec “Sirène”, l’OTAN
est arrivée dans le flamboiement (au
sens littéral) de toutes ses armes: des
hélicoptères Apache tirant sans
discontinuer et des avions bombardant
tout ce qui ce qui est à leur portée.
L’OTAN a supervise le débarquement de
centaines de combattants venus de
Misrata, à l’est de Tripoli tandis qu’un
bateau de guerre de l’OTAN leur
fournissait des armes lourdes.
Rien que dans
la journée de dimanche, il y dû
avoir 1300 civils tués à Tripoli
et au moins 5000 blessés. Le
ministère de la santé a annoncé
que les hôpitaux étaient
débordés. Quiconque croyait à ce
moment là que les bombardements
incessants de l’OTAN avaient
quelque chose à voir avec le
« devoir de protéger » et la
résolution 1973 de l’ONU s’est
retrouvé dans une unité de soins
intensifs.
L’OTAN a fait précéder “Sirène”
par des bombardements intensifs
sur Zawiya – une ville clef avec
sa raffinerie de pétrole à 50
kilomètres à l’ouest de
Tripoli. Ce
qui a stoppé l’approvisionnement
de Tripoli en carburant. Selon
l’OTAN elle-même, au moins la
moitié des forces armées
libyennes a été “dégradée” – le
Pentagone parle ainsi des tués
ou des blesses graves. Ce qui
signifie des
dizaines de milliers de morts.
Ce qui explique aussi la
disparition mystérieuse des
65 000 soldats chargés de
défendre tripoli. Et explique
aussi largement pourquoi le
régime de Kadhafi, au pouvoir
depuis 42 ans, s’est alors
effondré en à peine 24 heures.
Le lancement
de l’opération Sirène par l’OTAN
– après 20 000 sorties aériennes
et 7 500 frappes sur des cibles
au sol – n’a été rendu possible
que par une décision cruciale de
l’administration Obama début
juillet, autorisant, ainsi que
l’avait rapport le Washington
Post, « le partage des matériaux
les plus sensible avec l’OTAN, y
compris l’imagerie et les
interceptions de signaux qui
pouvaient être transmises aux
forces spéciales françaises et
britanniques sur le terrain en
plus des aviateurs dans le
ciel. »
C’est que,
sans la puissance de feu
inégalée du Pentagone, son know
how, ses satellites et ses
drones, l’OTAN serait encore
empêtrée dans l’Opération
Bourbier Interminable – et
l’administration Obama ne
pourrait pas savourer une grande
victoire dans ce « drame
kinétique. »
Qui sont
ces gens ?
Qui sont ces gens
qui ont soudainement manifesté
bruyamment leur joie sur les écrans
de télévision européens et US? Après
les sourires pour les caméras et les
tirs en l’air à la Kalashnikov,
préparez-vous à quelques
grands feux d’artifice fratricides.
Les troubles
ethniques et tribaux sont condamnés
à exploser. Beaucoup de Berbères
venus des montagnes de l’ouest et
qui sont entrés à tripoli par le sud
ce dernier weekend sont des
salafistes rigoristes. Il en va de
même avec la nébuleuse salafiste/Frères
Musulmans de Cyrénaïque qui a été
entraînée militairement pas les
agents de la CIA présents sur le
terrain. Autant ces fondamentalistes
se sont servis » des Européens et
des Américains pour se rapprocher du
pouvoir, autant ils pourraient se
transformer en force de guérilla
agressive en cas de marginalisation
par les nouveaux maîtres de l’OTAN.
La grande
“révolution” basée à Benghazi,
vendue à l’Occident comme un
mouvement populaire a toujours été
un mythe. Il y a seulement deux
mois, les « révolutionnaires » en
armes étaient à peine un millier. La
solution de l’OTAN a été de bâtir
une armée de mercenaires – avec
toutes sortes de types louches
allant d’anciens membres des
escadrons de la mort colombiens à
des recruteurs venus du Qatar et des
Emirats Arabes Unis qui ont ramassé
de nombreux Tunisiens au chômage et
des membres de tribus mécontents de
Tripoli. Tout ça en plus de l’équipe
de mercenaires de la CIA –
salafistes de Derna et de Benghazi –
et de l’équipe se la famille Saoud –
le gang des Frères Musulmans.
Il est difficile de ne pas se
souvenir du gang de ka drogue de
l’UCK au Kosovo –la guerre que
l’OTAN avait “gagnée” dans les
Balkans. Ou des pakistanais et des
Saoudiens, soutenus par les Etats
Unis, qui armaient les « combattants
de la liberté » en Afghanistan dans
les années 1980..
Et nous avons
maintenant l’équipage
de personnages douteux du Conseil
National de Transition basé à
Benghazi.
Son chef, Mustapha Abdeljalil,
ministre de la justice de Kadhafi de
2007 jusqu’à sa d&mission le 26
février a étudié la charia et le
droit civil à l’université de Libye.
Ce qui pourrait lui permettre de
croiser le fer intellectuellement avec
les fondamentalistes islamiques à
Benghazi, el-Beïda et Derna – mais
il pourrait utiliser ses compétences
pour faire avancer leurs intérêts
dans un arrangement pour le partage
du pouvoir.
Quant à Mahmoud
Jibril, le président du bureau
executive du Conseil, il a étudié à
l’université du Caire puis à celle
de Pittsburgh. Il est l’homme clef
de la connexion qatarie – car il a
travaillé dans la gestion des avoirs
de Sheukha Mozah, l’épouse très en
vue de l’émir du Qatar.
Il y a aussi le
fils du dernier monarque de Libye,
le roi Idriss, déposée par Kadhafi
il y a 42 ans (sans effusion de
sang); la famille royale saoudienne
adorerait une nouvelle monarchie en
Afrique du Nord. Et le fils d’Omar
Mokhtar, le héros de la résistance
contre la colonisation italienne –
une personnalité plus séculière..
Le nouvel Irak?
Croire que l’OTAN
va gagner la guerre et laisser les
“rebelles” assumer le pouvoir relève
de la blague. Reuters a déjà signalé
qu’une « force relais” d’environ
1 000 soldats du Qatar, des Emirats
et de Jordanie va venir à Tripoli
pour faire la police. Et le
Pentagone laisse déjà entendre que
des soldats US seront sur le terrain
pour “contribuer à sécuriser les
armes”. Une délicate attention qui
donne à comprendre qui sera
réellement aux responsabilités : les
néo-colonialistes « humanitaires »
et leurs sous-fifres Arabes.
Abdel Fatah
Younis, le commandant “rebelle” tué
par les rebelles eux-mêmes, était la
carte des services secrets français.
Il a été tué par la faction des
Frères Musulmans – au moment même où
Nicolas Sarkozy tentait de négocier
la fin de la partie avec Seif
al-Islam Kadhafi, le fils de Kadhafi
étudiant de la London School of
Economics de retour de chez les
morts.
Les grands
gagnants sont donc, au final,
Londres, Washington, la monarchie
saoudienne et les Qataris (ils ont
envoyé des avions de guerre et des
« conseillers », ils gèrent déjà les
ventes de pétrole). Avec une mention
spéciale pour le complexe
Pentagone/OTAN – considérant qu’Africom
mettra finalement en place sa
première base africaine en
Méditerranée, et que l’OTAN se
rapproche du moment où elle pourra
déclare la méditerranée « lac
OTAN. »
L’islamisme? Le tribalisme? Ce
pourraient être les moindres maux de
la Libye comparé à un nouvel
Eldorado ouvert au néo-libéralisme.
Il n’est guère douteux que les
nouveaux maîtres Occidentaux vont
essayer de recréer une version plus
sympathique de l’infâme et rapace
Autorité Provisoire de la Coalition,
et de transformer la Libye en rêve
idéal des néoèlibéraux en
s’appropriant 100 % des avoirs
libyens, en s’assurant le
rapatriement de l’ensemble des
profits, les banques étrangères
achetant les banques locales, avec
un faible impôt sur les revenus et
les sociétés.
En attendant, la
fracture profonde entre le centre
(Tripoli) et la périphérie pour le
contrôle des ressources énergétiques
va s’aggraver. BP, Total, Exxon et
les géants pétroliers occidentaux
seront généreusement récompensés par
le Conseil National de Transition –
au détriment des entreprises russes,
chinoises et indiennes. Les troupes
de l’OTAN sur le terrain aideront
certainement le Conseil à retenir le
message.
Les cadres
dirigeants du secteur pétrolier
estiment qu’il faudra au moins un an
pour un retour de la production
pétrolière à son niveau d’avant la
guerre civile, 1,6 million de barils
par jour, mais ils affirment que les
revenus annuels du pétrole pour les
nouveaux dirigeants pourraient
s’élever à 50 milliards de dollars.
On estime en général les réserves de
pétrole à 46,4 milliards de barils ;
3 % des réserves mondiales pour une
valeur de 3 900 milliards de dollars
aux cours actuels du brut. Les
réserves connues de gaz s’élèvent à
quelques 1500 milliards de m3.
Donc, au
bout du compte, la R2P
(responsabilité de protéger) gagne. L’impérialisme
humanitaire gagne. Les monarchies
arabes gagnent. L’OTAN en tant que
Robocop mondial gagne. Mais
ce n’est quand même pas assez pour
les habituels suspects impérialistes
qui appellent déjà au déploiement
d’une « force de stabilisation. »
Tout ça au moment même ou des
progressistes déboussolés sous
toutes les latitudes continuent à
saluer la sainte alliance du néocolonialisme occidental, des
monarchies arabes
ultra-réactionnaires et des
salafistes radicaux.
Ce ne sera
terminé que quand la grosse bonne
femme arabe [l'Arabie saoudite]
chantera. Quoi qu’il en soit,
passage à l’étape suivante : Damas.
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