Opinion
Egypte: de
Mohammed Ali à Mohamed Morsi,
un combat permanent entre le passé et
l'avenir
Mohamed
Belaali
Dimanche 6 janvier
2013 L'image
de Mohamed Morsi fuyant le 4 décembre
2012 la foule qui encercle le Palais
présidentiel, reflète l'état de tension
qui règne en Égypte aujourd'hui entre
les Frères Musulmans au pouvoir, leurs
alliés Salafistes et le reste de la
population. « Morsi dégage», «Le peuple
veut la chute du régime» scandait la
foule nombreuse pour être canalisée par
les forces de l'ordre. Ce sont les mêmes
slogans qui ont précipité la chute de
Moubarak. Mais il s'agit là des mots
d'ordre du passé et l'histoire ne se
répète jamais à l'identique. L'Égypte
d'aujourd'hui n'est pas celle des grands
soulèvements de janvier/février 2011. La
lutte des classes qui déchire ce pays se
déroule dans des conditions et
circonstances différentes. Les opposants
au nouveau pouvoir invoquent le passé
pour construire l'avenir ! Marx écrivait
dans «Le dix-huit brumaire de Louis
Bonaparte» que «les hommes (…)
même quand ils semblent occupés à se
transformer, eux et les choses, à créer
quelque chose de tout à fait nouveau,
c'est précisément à ces époques de crise
révolutionnaire qu'ils appellent
craintivement les esprits du passé à
leur rescousse, qu'ils leurs empruntent
leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs
costumes, pour jouer une nouvelle scène
de l'histoire» (1).
L’Égypte est à nouveau face à
l'histoire.
Une
nouvelle phase de la lutte pour le
pouvoir se déroule sous nos yeux entre
les différentes classes sociales.
De Mohammed Ali jusqu'à Mohamed Morsi en
passant par l'occupation britannique,
Nasser, la chute de Moubarak, l'histoire
de cette vieille nation n'est qu'une
succession de luttes et de combats entre
les oppresseurs et les opprimés, entre
les conservateurs et les progressistes,
entre le passé et l'avenir : l'empire
britannique contre Mohammed Ali et son
projet de modernisation, les puissances
occidentales et Israël contre Nasser qui
menaçait leurs intérêts dans la région,
Sadate et Moubarak, agents de la
bourgeoisie et de l'impérialisme
américain, contre les intérêts de leur
propre peuple. Depuis le début du XIXe
siècle, l'Égypte tente de relever la
tête et à chaque fois les classes
dominantes locales en étroite
collaboration avec les bourgeoisies
occidentales font avorter ce grand
projet de développement industriel et
économique cher à Mohammed Ali et à
Nasser. L'étincelle
tunisienne qui a embrasé le monde arabe
n'a pas épargné le plus grand d'entre-eux,
l’Égypteavec
la chute de Moubarak. C' était une
nouvelle occasion pour l’Égypte
de sortir du sous développement et de la
misère. Le soulèvement populaire était
porteur d'espoir non seulement pour les
masses égyptiennes mais aussi pour tous
les opprimés dans le monde arabe. Mais
l'impérialisme américain et la
bourgeoisie égyptienne ne peuvent
tolérer ni accepter une telle
perspective potentiellement
révolutionnaire. C'est dans ce cadre
général qu'il faut situer l'accession au
pouvoir des Frères musulmans. Rappelons
pour mémoire que les Frères étaient les
derniers à rejoindre la Place Tahrir et
les premiers à la quitter tellement leur
crainte d'un changement réellement
révolutionnaire était forte. Les Frères
musulmans ont refusé de participer à la
première manifestation contre le régime
le 25 janvier 2011, laissant les jeunes
révolutionnaires seuls face à l'appareil
répressif de Moubarak qui a fait
plusieurs victimes parmi les
contestataires. Et pourtant ce sont eux
qui sont aujourd'hui au pouvoir comme
d'ailleurs en Tunisie avec Annahda!
Le nouveau pouvoir n'est que le
prolongement, dans des conditions
différentes, de l'ancien instauré par
Sadate après la mort de Nasser en 1970
et développé par Moubarak. C'est le
changement dans la continuité ! Les
États-Unis soutiennent aujourd'hui
Morsi
comme ils ont soutenu dans le passé
Sadate et Moubarak. Pour eux, le nouveau
pouvoir égyptien constitue le meilleur
rempart contre un changement radical qui
risque d'emporter leurs intérêts dans la
région. D'autant plus que les Frères
musulmans n'ont jamais contesté ni remis
en cause les fondements du capitalisme,
à savoir la propriété privée des moyens
de production, l'exploitation patronale,
le profit, la libre entreprise, les lois
du marché, etc. Bien au contraire, face
aux grèves ouvrières et luttes
paysannes, ils se trouvaient souvent du
côté du pouvoir. Morsi et son
gouvernement ne cessent d'accuser les
syndicats indépendants de bloquer
l'économie égyptienne par leurs grèves à
répétition. Les revendications ouvrières
sont absentes des programmes et des
traditions des Frères musulmans.
L'instauration d'un salaire minimum qui
représentait l'une des revendications
essentielles des ouvriers avant et après
la chute du despote est renvoyée aux
calendes grecques; alors que les soldats
et les policiers ont vu, eux, leur
salaire augmenter de 50 %. Les ouvriers
ne sont, pour les dirigeants bourgeois
de la Confrérie, qu'une masse infâme
utile à leur propagande religieuse. Ils
partagent ce mépris pour la classe
ouvrière avec leurs alliés extrémistes,
les Salafistes. La
Confrérie possède et gère des hôpitaux,
des entreprises, des banques, des
supermarchés, des écoles, etc.
D'ailleurs depuis le 5 décembre 2012,
une campagne de boycott de produits et
magasins des Frères est lancée par
l'opposition dans tout le pays (2).
Derrière le masque de l'Islam, se cache
en fait une idéologie profane,
conservatrice et réactionnaire.
Leur programme économique ne peut que
s'inscrire dans le cadre libéral
supervisé et contrôlé par les
bourgeoisies occidentales à travers
leurs institutions comme le FMI,
la Banque mondiale, etc.
et
financé en partie par les
monarchies du Golfe. Nonobstant leur
rhétorique religieuse, leur discours sur
la répartition équitable des richesse et
la lutte contre la corruption, les
pratiques de la Confrérie dans le
domaine économique sont clairement au
service des classes dominantes dont elle
fait partie intégrante.
La manière et la rapidité avec
lesquelles Mohamed Morsi gouverne,
montrent que les classes
dominantes menées par la
Confrérie ont hâte, afin de consolider
leur pouvoir, de mettre un terme à la
situation de contestation
quasi-permanente qui règne aujourd'hui
en Égypte. Elles trahissent en même
temps le caractère de classe de ce
processus contre-révolutionnaire soutenu
et encouragé par les États-Unis.
Président depuis seulement juin 2012,
Morsi se trouve aujourd'hui avec la
totalité des pouvoirs entre ses mains.
Dès le mois de novembre, il a décidé de
rendre l'ensemble de ses décisions
définitif et au-dessus de tout contrôle.
Il a révoqué dans la foulée le Procureur
général et enlevé au pouvoir judiciaire
toute possibilité de dissoudre
l'assemblée constituante dominée par les
Frères musulmans. La constitution, tant
décriée, a été adoptée dans des
conditions pour le moins contestables.
Morsi et sa Confrérie se trouvent de
fait détenteurs de la totalité des
pouvoirs. Ce coup
d’État des Frères musulmans sur les
institutions du pays a été facilité
grâce à la bénédiction de
Washington. Morsi a pris son décret, le
mettant au-dessus des lois, le 22
novembre 2012 immédiatement après avoir
reçu au Caire Hillary Clinton pour
mettre un terme à la nouvelle agression
israélienne contre Gaza, c'est à dire le
21 novembre! Les États-Unis, comme
Israël d'ailleurs, n'ont cessé de
couvrir d'éloges un président égyptien
docile et résolument pro-impérialiste.
Après avoir porté à bout de bras les
régimes détestables de Sadate et de
Moubarak, la bourgeoisie américaine
apporte aujourd'hui son soutien à celui
des Frères musulmans et leurs alliés
salafistes. Les aspirations à la
démocratie, à la dignité et au
développement économique et social des
peuples ne pèsent pas lourd devant les
intérêts de cette puissante minorité de
riches. En Égypte comme ailleurs,
l'impérialisme est l'ennemi du progrès
et de la démocratie. Il est toujours et
partout l'ennemi des peuples.
Les
révolutionnaires d’Égypte doivent donc
affronter, dans des conditions
nouvelles, non seulement les nouveaux
pharaons déguisés en musulmans,
mais
aussi leurs alliés intérieurs et
extérieurs . Ce
bloc
réactionnaire cherche à faire tourner en
arrière les roues de l'histoire en
empêchant l’Égypte d'avancer sur la voie
du progrès et de la prospérité.
L'histoire de la nation égyptienne, tout
du moins depuis Mohammed Ali, est un
combat permanent contre l'impérialisme
et ses alliés locaux avec des périodes
de flux et de reflux, des avancées et
des échecs. La tâche des
révolutionnaires est de poursuivre ce
formidable mouvement d'émancipation en
s'appuyant sur la résistance ouvrière et
paysanne, deux classes victimes plus que
toutes les autres classes sociales de
l'exploitation patronale et des grands
propriétaires terriens. Ces classes
opprimées et méprisées par l'ancien et
le nouveau pouvoir constituent pourtant
les deux seuls piliers solides d'un pont
vers l'avenir et vers une société
nouvelle. Mohamed Belaali
(1) K Marx
«le
dix-huit brumaire de Louis Bonaparte».
Éditions Sociales, page 69.
(2)
http://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/0/7/133/1285/Campagnes-antifr%C3%A8res-Le-boycott,-arme-politique.aspx
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