Ha'aretz
Légalité
des combattants
Meron Benvenisti
Haaretz, 21
septembre 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/765787.html
Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/765578.html
Israël s’est octroyé le droit de définir ce qui
constitue une violence légitime. Israël revendique
le monopole du recours à la force et exige des autres qu’ils
acceptent ces définitions unilatérales
L’appareil
judiciaire israélien, occupé jusqu’à l’épuisement par des
affaires de corruption personnelle et publique, trouve néanmoins
le temps et les ressources pour offrir un appui massif à la
diffusion et au renforcement de l’image d’Israël comme Etat
victime du terrorisme, luttant pour son existence menacée par des
traîtres de l’intérieur (Arabes d’Israël espérant la
victoire de l’Axe du Mal dont le centre est à Damas), des
militants du Hamas (qui aspirent à sa destruction) et des
meurtriers libanais (le Hezbollah).
Hier
s’est ouvert le procès de trois combattants du Hezbollah, accusés
de meurtre, de possession d’armes, d’entraînement militaire
et d’appartenance à une organisation terroriste, et un tribunal
militaire a décidé de prolonger la détention de 21 ministres et
députés palestiniens accusés d’appartenance à une
organisation terroriste. Le même jour, s’est déroulé le
premier interrogatoire d’un membre du parti Balad qui s’était
rendu en visite à Damas, « capitale du terrorisme », et avait applaudi à la victoire du
Hezbollah.
La
base idéologique de ces procédures juridiques tient dans la définition
des accusés comme terroristes, c’est-à-dire comme criminels,
et de leurs sympathisants comme traîtres. Israël s’est octroyé
le droit de définir ce qui constitue une violence légitime,
revendique le monopole du recours à la force et exige des autres
qu’ils acceptent ces définitions unilatérales, sous peine d’être
accusés d’attitude hostile voire pire. Toute résistance aux
actions d’Israël, résistance violente mais aussi politique,
est un acte dont la finalité est illégitime. Par conséquent, au
niveau de sa signification, un acte « terroriste » ne se limite pas au meurtre d’innocents mais
s’étend à tout recours « illégitime
» à la force. Sa définition inclut « l’incitation »
et le « soutien à
l’ennemi ». On peut dire que selon cette conception répandue,
un quidam est soit un sioniste soit un terroriste.
Le
besoin d’étayer cette vision des choses et par là de justifier
une action de dissuasion, violente, qui corrompt la conscience, et
de repousser toute autre définition qui soit critique et non plus
flatteuse, est mis en évidence par l’absurdité qu’il y a
dans le fait même de lancer des poursuites judiciaires. Il est
clair que les élus du Hamas ont été arrêtés et incarcérés
à seule fin de servir d’otages pour la libération du soldat
enlevé, Gilad Shalit, et que l’accusation d’appartenance à
une organisation terroriste n’est qu’un prétexte, comme l’a
déjà établi une décision de justice.
La
poursuite du procès est-elle destinée à servir de moyen de
pression ? Et contre qui ? S’agit-il de rendre plus
difficile pour le gouvernement la libération de prisonniers
palestiniens ou bien peut-être de saboter un processus
politique qui pourrait émerger d’un gouvernement palestinien
d’union nationale ? Lorsque s’opérera la transaction de
l’échange et que les membres du Hamas seront libérés, une
clameur vertueuse s’élèvera : comment
peut-on porter ainsi atteinte à l’autorité de la Loi, elle
qui ne s’est pas rebellée quand on a exploité son honorabilité
à des fins cyniques.
Le
procès des combattants du Hezbollah rend l’absurdité plus aiguë
encore et fait tache sur une institution judiciaire toute disposée
à servir, dans une parfaite soumission, un establishment
militaire qui cherche à humilier un ennemi fait prisonnier. Selon
une représentante de l’Etat, « il ne s’agit pas de prisonniers de guerre parce que le Hezbollah
n’agit pas conformément aux lois de la guerre ». Israël
veillerait-il scrupuleusement à opérer conformément aux lois de
la guerre ? Celui qui refuse à son ennemi le statut de
prisonnier de guerre expose ses propres soldats faits prisonniers
à un traitement identique.
Aux
Etats-Unis, on a inventé pour ces prisonniers-là le statut de
« combattants ennemis illégaux ». On les a ainsi privés de
l’application de la Convention de Genève. Mais la cour suprême
américaine a invalidé cette position et leur a appliqué les
articles de la Convention. En Israël, on ne s’en émeut pas, ni
de l’humiliation implicite qu’a dès lors essuyée l’armée
israélienne en menant contre le Hezbollah une guerre difficile :
si les combattants de l’ennemi sont des criminels, des
meurtriers et des terroristes, et qu’ils sont parvenus à résister
aux assauts d’une importante force israélienne, que faut-il
penser des capacités de l’armée israélienne ? La
tentative de présenter la deuxième guerre du Liban comme une opération
de police au cours de laquelle quelques criminels ont été pris
pour être ensuite jugés pour meurtre et tentative de meurtre,
est à ce point pitoyable qu’il vaut mieux arrêter tout de
suite. De toute façon, son côté lamentable sautera aux yeux
lorsque s’achèveront les négociations sur l’échange de
prisonniers.
Les
poursuites judiciaires – dans cet empressement à servir une
opinion publique emportée contre les députés arabes qui ont
l’audace de louer les succès du Hezbollah – sont apparemment
à deux doigts d’être à nouveau victime d’humeurs fiévreuses
et sur le point d’interroger des députés arabes sur leurs
propos tenus à Damas.
La
boucle est ainsi bouclée : le monde entier est contre nous,
nos voisins, des concitoyens, sont une cinquième colonne, les
Palestiniens des Territoires veulent nous détruire, le Hezbollah
est l’avant-garde de la Syrie et de l’Iran, notre existence même
est en danger, mais, intrépide, l’appareil judiciaire nous protègera
contre tous nos ennemis et mettra la justice en lumière. Après
quoi nous pourrons continuer notre œuvre d’intimidation, de
dissuasion, la conscience blanche comme neige.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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