Ha'aretz
Séparation
au barrage d’Erez
Meron Benvenisti
Haaretz, 21
juin 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/873330.html
Version
anglaise : Separation at the Erez crossing
www.haaretz.com/hasen/spages/873568.html
Il
aurait fallu concocter une explication convaincante pour justifier
la décision arbitraire prise par Israël d’interdire à quelque
200 personnes le passage de la Bande de Gaza à la Cisjordanie.
Après tout, il ne s’agit pas d’une tentative d’infiltration
en Israël mais de la demande que soit concrétisé le vieil
engagement pris par Israël de permettre un « passage sûr »
entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie, un trajet d’une
quarantaine de minute depuis le barrage d’Erez jusqu’à celui
de Tarkoumiya ; le temps qui sépare la vie de la mort pour
quelques uns des prisonniers du « couloir » d’Erez.
Quand
on cherche à cacher le vrai motif, on en vient à produire une
kyrielle d’explications. On commence par dire qu’il y a là un
danger pour la sécurité ; nous ne voulons pas que des
experts en matière de roquettes Qassam et de terrorisme passent
de l’autre côté. Ensuite on déclare que les gens du Fatah y
sont opposés également sauf à décider eux-mêmes qui passera
et qui sera renvoyé. Et puis, la situation à Gaza s’est
stabilisée et rien n’empêche les fugitifs de retourner chez
eux.
Mais
le véritable motif montre le bout du nez : les Palestiniens
vont profiter de la situation pour tenter de prendre d’assaut le
point de passage afin de se rendre du côté israélien. Tel était
le raisonnement à la base du refus de laisser entrer les
ambulances pour l’évacuation des blessés.
Le
scénario de l’horreur qui hante les Israéliens depuis des années,
avec des centaines de milliers de réfugiés marchant vers leurs
maisons détruites, a resurgi pour les effrayer au point qu’ils
sont prêts à provoquer une tragédie humanitaire et une réprobation
internationale capable de faire oublier les actes meurtriers du
Hamas et de ramener l’attention sur la cruauté d’Israël.
L’incident d’Erez n’est qu’une conséquence secondaire du
renversement qui a eu lieu dans la Bande de Gaza, mais il est
d’une grande signification parce qu’il donne à voir ce qu’Israël
est prêt à faire pour mettre en œuvre la « séparation »
entre Gaza et la Cisjordanie, ou, dit autrement, pour mettre en œuvre
la nouvelle phase de la destruction du peuple palestinien.
La
« séparation » de la Bande de Gaza – dont la tragédie
du barrage d’Erez vient faire office de symbole – est le
dernier d’une série d’actes de séparation et d’écrasement
qui a débuté après la guerre de 1948 et s’est toujours
poursuivie, comble d’ironie, avec le soutien palestinien, sans
lequel elle est impossible à mettre en œuvre.
Les
Israéliens sont à ce point accoutumés à la « séparation »
que leur action n’a plus besoin d’être préméditée. Le
passage est fermé d’une manière automatique. On ressort les
bonnes vieilles justifications et la séparation elle-même est présentée
comme une grande victoire. On a encore une fois réussi à amputer
d’un grand bloc le corps du peuple palestinien et à créer de
l’hostilité et de la haine entre ses composantes.
C’est
ce qui s’est produit après 1948 lorsqu’on a créé un fossé
entre les « Arabes de 1948 » et ceux demeurés en
dehors du contrôle israélien ; c’est ce qui s’est
produit après la guerre de 1967, lorsqu’on a coupé la diaspora
d’avec les habitants des Territoires, pour ensuite officialiser
cette coupure à Oslo. C’est encore ce qu’on a fait à Jérusalem
en érigeant le mur de séparation et en coupant de leur
environnement les Arabes de Jérusalem-Est ; et maintenant,
on institutionnalise la séparation physique de la Bande de Gaza.
Chacune
de ces séparations se double d’une distinction entre bons
Arabes et mauvais Arabes ; Arabes d’Israël face aux
impitoyables fedayins, Arabes des Territoires face aux réfugiés
de la diaspora exigeant leur retour et désireux de détruire Israël,
Arabes de Jérusalem-Est à l’intérieur de la clôture et opposés
au terrorisme face aux terroristes-suicide de l’autre côté de
la clôture. Et aujourd’hui, les hooligans du Hamas à Gaza face
au gouvernement de Mahmoud Abbas (Abou Mazen) en Cisjordanie, qui
mérite toute notre assistance.
La
suite viendra, selon les intérêts de la séparation israélienne,
avec l’entière collaboration du camp des Palestiniens qui, avec
une soumission ahurissante (et peut-être en l’absence de
choix), acceptent l’identité et l’agenda dictés par Israël.
Beaucoup voudraient croire que la séparation de Gaza est vouée
à l’échec ; mais l’expérience du passé enseigne que
la puissance d’anéantissement israélienne est apte à établir
des faits durables. Cela signifie que la Cisjordanie sera annexée
à Israël de manière définitive et que les futurs réfugiés
d’Erez seront vraiment, eux, des ‘infiltrés’.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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