Ha'aretz
Diviser
pour régner
Meron Benvenisti
Haaretz, 15
mars 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/837907.html
Version
anglaise : Future
Vision vs. dividing and ruling
www.haaretz.com/hasen/spages/837952.html
Les
documents de la « Vision future » des citoyens arabes
d’Israël continuent, comme on pouvait s’y attendre, à
occuper certains milieux académiques ainsi que des enquêteurs
des Services de la Sécurité générale [Shabak] et à ne bénéficier
que d’un intérêt limité de la part du public. Ceux qui néanmoins
y réagissent, leur attribuent des détails relevant d’une
position radicale.
L’analyse
historique, le fait de qualifier l’Etat d’ethnocratie « qui
cherche à préserver l’hégémonie de la majorité juive »
et « la marginalisation de la minorité arabe », et le
fait, surtout, de revendiquer une « démocratie régulée »
et une participation au gouvernement, tout cela est perçu comme
une large offensive contre les fondements de l’Etat juif. S’il
est vrai que la rhétorique sonne comme radicale, l’initiative
et sa publication peuvent précisément s’interpréter d’une
manière inverse : comme exprimant l’acceptation de la
victoire stratégique israélienne du diviser pour régner.
Les
Arabes d’Israël se lamentent de ce que les Israéliens (sic) coupent « le lien d’identité existant entre les Arabes
palestiniens et les autres parties du peuple palestinien »
et de ce qu’ils empêchent « l’existence de liens
physiques et spirituels avec leurs frères de Jérusalem, de
Cisjordanie, de la Bande de Gaza et les réfugiés palestiniens
(de la diaspora) ». Ils énumèrent les cinq fragments du
peuple palestinien mais, en formulant une « Vision future »
séparée pour une seule des sous-communautés créées par la
politique israélienne de fragmentation, ils confirment le succès
de cette politique. Bien sûr, la « Vision future » déclare
pour la forme l’unité du peuple palestinien et exige la fin de
l’occupation et la création d’un Etat palestinien dans les
Territoires, mais l’essentiel est l’exigence de reconnaissance
d’une minorité nationale, les Arabes d’Israël étant
« les autochtones ».
Le
fait même de revendiquer d’être reconnus comme minorité,
alors que le rapport démographique sur toute la terre d’Israël
(sic) est proche de l’égalité,
fait office de démonstration qu’Israël est parvenu à imposer
des conditions arbitraires à chacune des cinq sous-communautés
palestiniennes, les obligeant à formuler, en réponse au défit
israélien, une vision future séparée. Israël peut ainsi
s’occuper séparément de plus d’un million d’Arabes
citoyens d’Israël, de plus d’un million et demi d’habitants
de Gaza représentés par le gouvernement Hamas, de plus de deux
millions d’habitants de Cisjordanie représentés par la
direction du Fatah, de plus d’un quart de million d’habitants
de Jérusalem-Est à l’ouest du mur de séparation et des
millions de réfugiés de la diaspora palestinienne – le tout
simultanément et sans connexions entre les différentes sphères
de contact.
Israël,
qui se mesure à cinq groupes séparés et faibles, peut dicter
l’ordre du jour et ses priorités. En ce qui concerne les
citoyens arabes d’Israël, il est question de leur « intégration »
comme citoyens de second ordre dans l’Etat juif, et toute
tentative de revendication d’une égalité collective est une
« expression d’extrémisme ». Quant au gouvernement
Hamas, la discussion porte seulement sur « l’arrêt du
terrorisme et la reconnaissance du droit à l’existence d’Israël »
et aucun autre sujet n’est inscrit à l’ordre du jour.
Les
communautés palestiniennes éclatées acceptent, dans leur
faiblesse, les diktats d’Israël et ne s’aventurent pas à
structurer un front unifié d’un peuple palestinien uni, parce
qu’Israël est en mesure de se venger de chacune d’elles.
Les
Arabes d’Israël exigent la réparation d’une injustice
historique, « comme la question des réfugiés sur leur
terre natale (les « présents-absents ») et leur
retour dans leurs villes et villages d’origine ». Mais ils
ne mentionnent pas leurs voisins qui sont en même temps leurs
proches, et qui se sont retrouvés en 1948 au-delà des lignes
d’armistice. S’ils exigeaient la réparation de l’injustice
faite à ceux-là, ils se verraient accusés d’extrémisme,
voire d’incitation à l’encontre de l’existence même de
l’Etat d’Israël. Mieux vaut que chaque sous-communauté
palestinienne commémore, séparément, sa propre « Nakba »
pour les besoins de l’agenda séparé qu’elle établit avec
les Israéliens.
On
peut voir dans la « Vision future » une démarche
radicale, positive, mais on peut y voir l’inverse aussi :
une étape supplémentaire vers la bantoustanisation de la terre
d’Israël/Palestine.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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