RIA Novosti
Irak: croire Bush
Maria Appakova
Photo RIA Novosti Un "progrès substantiel" a été enregistré cette
dernière année dans la stabilisation de la situation en Irak:
tel est le sens principal du discours prononcé par le président
américain George W. Bush le 10 avril, au lendemain du cinquième
anniversaire de la chute de Bagdad et après l'achèvement des
débats au Congrès américain sur la situation en Irak. Le tout
sur fond d'incessants messages faisant état de nouvelles
violences dans le pays.
Selon George W. Bush, la stratégie d'accroissement temporaire
des effectifs des troupes américaines en Irak adoptée début 2007
s'est révélée être entièrement justifiée. Bien que la sécurité
dans le pays reste assez fragile, on peut parler, dans
l'ensemble, d'un "changement stratégique" dans le sens d'une
amélioration.
Qui les paroles de Georges W. Bush ont-elles bien pu
persuader, mis à part ses plus proches collaborateurs?
Au cours des débats, les démocrates qui contrôlent les deux
chambres du Congrès ont âprement critiqué la politique du
président américain en Irak. Certains représentants du parti
républicain les ont rejoints. Les membres du Congrès ont tiré la
conclusion principale suivante: les succès tactiques des
militaires américains ne peuvent éclipser le fait que la
situation en Irak en matière de sécurité reste très tendue. Le
principal problème n'est pas réglé: la réconciliation nationale
des différents groupes politiques à l'intérieur de l'Irak. Le
gouvernement irakien n'assume pas suffisamment la responsabilité
de ce qui se produit dans le pays.
Le président et d'autres hauts fonctionnaires ont beau
essayer de persuader les membres du Congrès, ainsi que les
électeurs américains, qu'un "changement stratégique" s'est
produit en Irak, les chiffres des pertes essuyées restent
effrayants. David Petraeus, commandant du contingent américain
en Irak, n'a pu le nier au cours des débats au Congrès. En dépit
de ses propos selon lesquels on avait pu assister à une ébauche
de progrès, il a fait remarquer que le nombre de victimes
civiles en Irak avait augmenté et qu'il avait été "impossible
d'éliminer, jusqu'à ce jour, les causes principales des
conflits, entre autres religieux, qui y éclatent".
David Petraeus ne pouvait passer sous silence ce fait, car,
littéralement à la veille des débats, la situation en Irak s'est
brusquement aggravée en raison d'une opération lancée fin mars
par le gouvernement irakien en vue de désarmer les formations du
leader chiite Moqtada al-Sadr. L'opération a été effectuée par
des militaires américains et britanniques, bien que le plan ait
été dressé, selon les médias, par les Irakiens eux-mêmes. Les
militaires et hommes politiques américains ne peuvent dire avec
précision si cette opération a été ou non une réussite, tout
comme il n'y a aucune réponse à la question de savoir ce qui se
produit actuellement en Irak: s'agit-il de l'agonie des
terroristes de tout acabit avant leur recul définitif (thèse si
chère à George W. Bush), ou bien d'une nouvelle escalade de la
violence qui ne finira jamais?
Quoi qu'il en soit, les discussions dans le but de trancher
entre aggravation temporaire et crise chronique s'enveniment
face au bilan de ces cinq dernières années, dressé ces jours-ci
aux Etats-Unis et en Irak.
Juste avant l'anniversaire du début de la guerre en Irak, le
nombre de militaires américains tués dans ce pays a dépassé les
4.000, celui de blessés s'élevant à environ 60.000. La guerre a
coûté aux Américains 2.700 milliards de dollars, alors que la
perspective des futurs dividendes provenant des investissements
effectués en Irak est encore très vague. Naturellement, toutes
les déclarations faites à propos des succès enregistrés en Irak,
aussi bien en matière de sécurité que d'économie, n'ont eu aucun
impact dans ce contexte pour les Américains qui savent compter
l'argent et se soucient de la vie de leurs concitoyens.
Malgré tout, des succès ont été enregistrés, et il serait
injuste d'accuser le gouvernement irakien d'être totalement
inactif.
Ainsi, le vice-premier ministre irakien Barham Saleh a
déclaré dans une interview au Washington Post que le taux annuel
d'inflation avait baissé, passant de 36% fin 2006 à 14% en mars
2008. En outre, le gouvernement irakien finance actuellement
lui-même la quasi-totalité des travaux de reconstruction dans le
pays et couvre une partie considérable des dépenses pour
l'entretien de ses forces de sécurité.
Mais ces centaines de millions de dollars ne sont rien
comparés aux dépenses incessantes des Etats-Unis pour l'Irak.
Pourtant, Washington a également d'autres soucis, entre autres,
l'Afghanistan où son argent et ses ressources militaires sont
aussi nécessaires.
Les paroles de Barham Saleh, de même que d'autres faits,
relatifs à la reconstruction de tel ou tel ouvrage économique en
Irak et au contrôle de la situation dans neuf provinces exercé
par le gouvernement se perdent parmi d'autres informations
concernant les affrontements incessants à Bagdad, les tirs dans
la "zone verte", quartier le mieux protégé de la capitale
irakienne, et partout en Irak. Les indices économiques ne sont
pas plus réconfortants. Selon les renseignements recueillis par
la chaîne de télévision Al-Jazeera spécialement à l'occasion du
cinquième anniversaire de la guerre en Irak, près d'un tiers des
27 millions d'habitants vivent au-dessous du seuil de pauvreté.
Plus de 60% des Irakiens aptes au travail sont chômeurs. La
corruption règne dans le pays. D'après les données de la chaîne
de télévision, l'Irak perd tous les ans plus de 4 milliards de
dollars "à cause d'escroqueries concernant les sommes allouées à
la reconstruction".
Certes, on peut accuser Al-Jazeera de partialité, comme on le
fait aussi bien avec les Etats-Unis qu'avec le monde arabe. Mais
les statistiques sont éloquentes, surtout celles des pertes
humaines.
Le bilan de ces cinq années de guerre pour l'Irak s'élève à
environ un million de citoyens tués, plus de trois millions de
blessés, deux millions de réfugiés à l'étranger et 2,5 millions
de déplacés, qui ont été contraints de quitter leurs foyers et
de déménager dans des régions plus sûres ou dans des régions
correspondant mieux à leur appartenance ethnique et
confessionnelle. La diminution du nombre de victimes civiles -
"seulement" 923 en mars 2008 contre 1.861 en mars 2007 - n'est
pas une consolation, car personne ne sait ce qui se produira en
avril, en mai, ou même demain...
La guerre en Irak est "difficile mais pas interminable", a
résumé George W. Bush. Néanmoins, personne, ni même le président
américain actuel, ne peut dire quand elle prendra fin, tout
comme personne ne sait quel prix devra encore payer l'Amérique,
malgré les progrès enregistrés.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
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