L'art de la guerre
La démocratie
impériale
Manlio Dinucci
Mohamed
Morsi et Ahmed Chafik
Mardi 19 juin 2012
Le lendemain du jour où le Parlement
égyptien a été dissous par la Cour Constitutionnelle,
de fait sur ordre du Conseil suprême des
forces armées, le Département d’état
étasunien est entré en lice,
garantissant que le Conseil s’est engagé
à transférer le pouvoir, le 1er
juillet, au président élu. Washington
assure que, pendant toute la
« transition à la démocratie » en
Egypte, il est resté en contact étroit
avec le Conseil militaire suprême.
Personne n’en doute : l’administration
Obama a décidé il y a trois mois de
reprendre le financement des forces
armées égyptiennes, suspendu par le
Congrès quand certains employés
d’organisations non-gouvernementales
étasuniennes avaient été arrêtés pour
avoir financé en sous-main, avec des
millions de dollars, divers groupes
égyptiens dans le cadre des « programmes
d’entraînement à la démocratie ». Une
fois relâchés, Washington a débloqué
l’aide militaire de cette année : 1,3
milliards de dollars, déposés sur un
compte à signature conjointe, auxquels
s’ajoutent 250 millions pour des
programmes économiques et politiques en
Egypte, plus un autre chiffre important
pour des programmes secrets. On a vu le
résultat. Fort du soutien de Washington,
le Conseil militaire suprême a fait
effacer la loi, promulguée en mai au
parlement, qui interdisait la
candidature d’ex hauts fonctionnaires du
régime Moubarak : c’est ainsi qu’a pu se
porter candidat aux présidentielles le
général Ahmed Chafik, nommé premier
ministre par Moubarak peu de temps avant
d’être déposé. Et, après avoir fait
dissoudre le parlement, le Conseil
militaire suprême a promulgué, pendant
que les élections se tenaient, une
« constitution
ad interim » qui renforce
ultérieurement ses pouvoirs, en
attendant la constitution définitive
rédigée par une commission d’une
centaine de membres, nommés par le
Conseil lui-même. Ainsi, même dans le
cas où s’installerait à la présidence le
candidat des Frères Musulmans Mohamed
Morsi, le pouvoir réel restera dans les
mains du Conseil suprême. C’est-à-dire
de cette caste militaire financée et
armée par les Etats-Unis, qui durant le
régime de Moubarak a été la véritable
détentrice du pouvoir. Cette même caste
que le président Obama a présentée comme
garant de la « transition ordonnée et
pacifique », quand Moubarak, après avoir
été au service des Usa pendant plus de
trente ans, a été renversé par le
soulèvement populaire.
Tandis qu’ils dénoncent des
« violations de la démocratie » en Syrie
et en Iran, les Etats-Unis exportent
leur « modèle de démocratie » même dans
d’autres pays d’Afrique du Nord et du
Moyen-Orient. Au Yémen, le président
Obama a admis officiellement que des
forces militaires étasuniennes mènent
des opérations directes. Formellement
contre Al Qaeda, en réalité contre la
rébellion populaire. Et, par
l’intermédiaire de l’Arabie saoudite et
de la Grande-Bretagne,
Washington arme le régime yéménite, qui
recevra des fournitures militaires pour
3,3 milliards de dollars. Washington
fait la même chose avec la monarchie du
Bahreïn qui, après avoir férocement
réprimé (avec l’aide de l’Arabie
saoudite, des Emirats et du Qatar) la
lutte populaire pour les droits
démocratiques fondamentaux, a emprisonné
et torturé une vingtaine de médecins,
accusés d’avoir aidé les insurgés, en
soignant les blessés. Etant donné que le
gouvernement du Bahreïn doit « résoudre
de graves questions relatives aux droits
humains », Washington annonce de
nouvelles fournitures d’armes, qui
seront utilisées pour réprimer dans le
sang la lutte pour la démocratie.
Edition de mardi 19 juin 2012 de
il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20120619/manip2pg/14/manip2pz/324523/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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