PCN-AMKP
Ergenekon : juges
aux ordres et parodie de justice contre
les laïques kémalistes dans la Turquie
autoritaire islamiste d'Erdogan !
Luc
Michel
Mardi 6 août 2013
Luc MICHEL pour PCN-AMKP /
avec Belga – Le Monde – AFP – Hürriyet
Daily News - Observatoire de la vie
politique turque - PCN-SPO / 2013 08 06
/
La façade de l’enfant chéri de
Washington et de Bruxelles, le bon élève
de l’OTAN, le modèle du « Grand Moyen
Orient » made in USA, se lézarde à
grande vitesse.
Les USA – qui inspirent la répression
contre les Kémalistes – et l’UE – qui se
tait – muets face à la dérive
dictatoriale du régime Erdogan en
Turquie.
Quelque 275 accusés, dont 66 en
détention provisoire, étaient jugés
depuis octobre 2008 dans le cadre de
l'affaire Ergenekon, premier d'une
longue série de procès controversés
visant à déjouer des complots supposés
contre le gouvernement
islamo-conservateur.
La « justice » turque a prononcé ce 5
août 2013 de lourdes peines, dont au
moins 16 condamnations à la prison à
vie, contre les membres du pseudo
« réseau putschiste Ergenekon » - l’AFP
ce jour s’est déshonorée en oubliant ces
guillemets - dans un procès dénoncé
légitimement par l'opposition comme une
chasse aux sorcières.
Le tribunal de Silivri, à une
cinquantaine de kilomètres à l'ouest
d'Istanbul – le régime islamiste ayant
évité la capitale économique -, a
notamment condamné à la réclusion à
perpétuité l'ancien chef d'état-major
des armées, le général Ilker Basbug,
pour "tentative de renversement de
l'ordre constitutionnel par la force".
L'ancien militaire a dit "être en accord
avec sa conscience" et prédit que "le
peuple aura le dernier mot", dans un
communiqué rendu public à la fin du
procès.
D'autres anciens généraux, comme
l'ex-chef de la gendarmerie Sener
Eruygur et l'ex-chef de la Première
armée Hürsit Tolon, le journaliste
Tuncay Özkan et le chef du petit Parti
des travailleurs (IP, nationaliste) Dogu
Perinçek ont également été condamnés à
la prison à vie. Le journaliste renommé
du quotidien de gauche Cumhuriyet
Mustafa Balbay, élu pendant sa détention
député du principal parti d'opposition,
le CHP (pro-laïcité), a été condamné à
35 ans de prison. Egalement élu député
du CHP, l'ex-recteur Mehmet Haberal a
été condamné à 12 ans et demi de prison.
INDIGNATION ET EMEUTES : "MAUDITE SOIT
LA DICTATURE DE L'AKP"
Le gouvernement islamiste s'est refusé
tout commentaire après la sortie du
Conseil des ministres à Ankara. "Nous
respectons la décision de justice", a
osé déclarer à la presse le porta-parole
du gouvernement Bülent Arinç. Alors que
l’AKP est le chef d’orchestre du procès
truqué et de la répression.
Concernant la condamnation de Mustafa
Balbay, le président en Turquie de
l'association Pen, Tarik Günersel, a
estimé qu'il s'agissait d'"un
scandale"."C'est une décision
politique", a renchéri l'éditeur
norvégien William Nygaard, membre
également de l'association Pen
International. "Les peines prononcées
montrent que la Turquie ne respecte pas
les droits de l'homme", a-t-il déclaré à
l'AFP.
Un imposant dispositif de sécurité était
déployé autour du tribunal, avec des
centaines de policiers et de gendarmes
anti-émeutes soutenus par des blindés et
des canons à eau. Car la liberté de
manifester est comme la justice remise
en question sous le régime autoritaire
d’Erdogan.
Des échauffourées ont néanmoins eu lieu
à la mi-journée ce 5 août entre des
manifestants et la police près de
Silivri, sur une autoroute reliant
Istanbul à Tekirdag. La police a répondu
aux jets de pierre par des jets d'eau et
des gaz lacrymogènes, a constaté un
photographe de l'AFP, qui a estimé à
environ 10.000 le nombre de
manifestants.
La lecture du verdict par le président
du tribunal, un magistrat aux ordres
indigne, Hasan Hüseyin Özese, et ses
adjoints, a été accueilli par un tollé
de l'assistance, pourtant réduite sur
décision de la cour aux prévenus, à
leurs avocats, aux journalistes et aux
parlementaires.
"Maudite soit la dictature de l'AKP",
ont scandé avocats et députés, conspuant
le Parti de la justice et du
développement (AKP) au pouvoir, dénoncé
par l'opposition laïque comme le
commanditaire de ce procès, pour faire
taire les critiques contre M. Erdogan.
Peu avant l'entrée dans le tribunal de
la cour, M. Balbay a harangué
l'auditoire, dénonçant "un procès
entièrement politique", et promettant
"un automne chaud" de contestation
politique dans les villes de Turquie,
après trois semaines de manifestations
antigouvernementales sans précédent en
juin.
Le procès Ergenekon et ses avatars
s'inscrivent dans les efforts du
gouvernement islamiste pour limiter le
rôle constitutionnel de l'armée, garante
des institutions laïques kémalistes,
dans la vie publique. Pour les
défenseurs de la laïcité et des
militants des droits de l'Homme, ces
procès sont surtout un montage visant à
écarter du champ politique les
opposants. Ces critiques remettent
notamment en cause la validité des
preuves apportées et le recours à des
témoignages anonymes.
L’AFFAIRE « ERGENEKON »
Le réseau Ergenekon a été soi-disant mis
au jour en juin 2007 lors d'une
opération anti-terroriste dans un
bidonville d'Istanbul. Des armes et des
explosifs ont été découverts, première
étape d'une longue enquête qui a conduit
à la rédaction de 23 actes d'accusation
successifs --plusieurs milliers de
pages-- finalement réunis dans un même
procès. Plusieurs autres procès contre
des groupes de « conspirateurs »
supposés ont par ailleurs été ouverts
après Ergenekon. Premier procès à
atteindre un verdict, Balyoz (masse de
forgeron) avait déjà surpris par la
sévérité des peines prononcées.
L’affaire Ergenekon secoue la Turquie
depuis 2009.
Plus de trente personnes, dont des
universitaires, des journalistes et des
généraux à la retraite, ont été alors
arrêtées en Turquie, dans le cadre d’une
enquête sur Ergenekon, en fait une vaste
chasse aux sorcières contre les laïques
et les Kémalistes, lancées par le
gouvernement islamiste d’Erdogan. Y
compris une campagne permanente de mise
au pas et d’intimidation de la presse
turque, la police perquisitionnant
régulièrement les rédactions de
plusieurs journaux et maisons d’édition.
Le prétexte : une pseudo
« organisation », accusée « d’avoir
préparé un coup d’Etat pour renverser le
gouvernement issu de la mouvance
islamiste du premier ministre, Recep
Tayyip Erdogan ».
Fin 2011, on en était déjà à 18
vagues d’arrestations dans cette
affaire !!! Chaque vague étant dénoncée
par de nombreuses manifestations dans
les rues d’Istanbul …
Parmi les suspects interpellés figure
notamment un général retraité de premier
plan, Tuncer Kilinç. En octobre 2009, a
débuté un premier procès concernant 86
personnes - des officiers à la retraite,
des journalistes, des hommes politiques
- accusées d’avoir voulu « déstabiliser
le pays avec des actions violentes afin
de préparer le terrain à un coup d’Etat
militaire ».
Applaudie par les milieux
progouvernementaux et libéraux qui y
voient « une avancée dans la lutte
contre les réseaux politico-mafieux »
(sic), l’enquête sur le réseau est
critiquée par le courant prolaïcité
comme étant une manœuvre du Parti de la
justice et du développement (AKP), au
pouvoir, pour faire taire ses opposants.
On notera que les libéraux et les
politiciens de l’UE soutiennent les
islamistes de l’AKP – élèves modèles de
l’OTAN -
dans leur action pour détruire
les fondements laïques, modernes et
européens de la République kémaliste.
Ces vagues de répression amènent « à
s’interroger également, non seulement
sur l’avenir de l’affaire «Ergenekon»,
mais aussi sur celui des autres
procédures judiciaires dénonçant des
complots, qui ont été le fer de lance de
la lutte du gouvernement contre
l’establishment politico-militaire,
depuis 2007 », analyse l’Observatoire de
la vie politique turque.
DES JOURNALISTES EMPRISONNES PAR LES
ISLAMISTES POUR AVOIR FAIT LEUR METIER
La présence de nombreux journalistes,
dont ceux condamnés ce 5 août, révèle la
volonté de museler la presse.
Un exemple emblématique ?
Le dossier odaTV ! Le journaliste turc
Baris Terkoglu, détenu 578 jours dans
une prison d'Istanbul, Baris Terkoglu,
est rédacteur du site web Odatv. Il a
été arrêté le 14 février 2011 à son
domicile et est accusé "d'appartenance à
une organisation terroriste", en fait
d’avoir critiqué les islamistes de l’AKP
au pouvoir et leur complot pour détruire
la République kémaliste en Turquie.
Selon l'Association belge des
journalistes professionnels (AJP), à
l'initiative du rassemblement de jeudi,
les autorités turques lui reprochent
d'avoir "informé ses lecteurs sur les
mouvements de révolte dans les pays
arabes et sur l'affaire ERGENEKON (*),
du nom d'une organisation militaire qui,
d'après les autorités, aurait planifié
un coup d'Etat". Le prétexte de l’AKP
pour nettoyer l’Armée et l’appareil
d’état de ses éléments kémalistes et
laïques.
Il est aussi reproché à M. Terkoglu
d'avoir diffusé une photo montrant à la
même table d'un restaurant les policiers
qui avaient mené l'enquête, le procureur
et le président du tribunal devant
lequel allait s'ouvrir le procès truqué
par l’AKP d’Ergenekon, ajoute l'AJP.
Vous avez-dit liberté de la presse ?
Après 578 jours de détention, le
journaliste turc Baris Terkoglu est
sorti de prison. Il restent toutefois
inculpés dans le dossier dit OdaTV, du
nom du site Web pour lequel ils
travaillait avant leur arrestation.
Son dossier révèle les méthodes de la
police politique de l’AKP.
Avec treize autres personnes, dont trois
sont toujours sous les verrous – le
journaliste Soner Yalçin, l’écrivain
Yalçin Küçük, et l’ex-policier Hanevi
Avci – Baris Terkoglu est inculpé de
soutien à un projet de coup d’État
militaire en Turquie, dans la nébuleuse
affaire dite «Ergenekon». Des documents
relevés sur son ordinateur, saisi le 14
février 2011, semblaient confirmer
l’accusation, « mais l’examen des
disques durs des divers ordinateurs
ainsi incriminés, demandé par la
défense, a révélé que les ordinateurs
avaient été «craqués» et que les
documents en question n’avaient été ni
créés, ni lus, ni modifiés par leurs
utilisateurs. Un rapport officiel
confirmait l’intrusion informatique,
mais n’établissait pas formellement le
moment où les documents avaient été
créés », commentait Belga.
Le directeur d’odaTV, Yalçin Küçük,
reste incarcéré depuis le 6 mars 2011,
et risque également la prison à vie dans
le cadre de l'affaire Ergenekon. Il est
reproché aux treize accusés de ce
dossier d'avoir prêté main forte à
l'organisation Ergenekon en tentant de
discréditer l'affaire par
l'intermédiaire d'articles publiés sur
le site odatv.com et de livres publiés
ou en préparation.
Durant l'audience, Yalçin Küçük a
vivement critiqué l'acte d'accusation
“sans fondement” qui indique que le
directeur de publication d'OdaTV, Baris
Pehlivan, s'est rendu à plusieurs
reprises chez lui pour y recevoir des
instructions. Yalçin Küçük a rétorqué
qu'il n'avait vu Baris Pehlivan qu'une
seule fois dans sa vie avant d'être
incarcéré, et ce dans le cadre d'une
interview pour la chaîne CNN Türk,
intitulé “J'étais là” (Oradaydim). Selon
le journaliste, « les affaires
politiques sont de nature à effrayer les
magistrats et même si les accusés sont
relaxés, les pièces à convictions
utilisées contre eux les suivront tout
au long de leur vie ». “Dans les
affaires politiques, personne ne peut
connaître son crime, ni le poète Nazim
Hikmet, ni Tuncay Özkan, et ce même
après des années de détention”.
L’EMPIRE DE LA PEUR DU REGIME ERDOGAN
L'AJP, qui a "adopté" Baris Terkoglu
dans le cadre d'une campagne de la
Fédération européenne des journalistes
(FEJ), réclame la libération immédiate
de la centaine de journalistes détenus
abusivement en Turquie et la révision de
la loi anti-terrorisme turque. "Il est
inconcevable qu'un pays si proche de
l'Europe emprisonne des journalistes qui
exercent leur métier d'informer et les
maintienne aussi longtemps en détention
préventive en attente d'un procès
équitable", estime l'association.
Dans une interview accordée le 12 mars
2011 au quotidien anglophone «Hürriyet
Daily News», l’ancien président et
ancien premier ministre, Süleyman
Demirel, n’a pas hésité à lancer une
mise en garde contre l’apparition «d’un
Empire de la peur». Constatant que,
« même des journalistes connus disaient
avoir peur actuellement, et que
l’impression des observateurs étrangers
était qu’il devenait désormais dangereux
d’être journaliste en Turquie», il a
appelé le gouvernement AKP à « écouter
les critiques formulées par les
institutions européennes et
internationales en estimant que, dans un
monde où les législations nationales
doivent respecter des principes
universels, elles ne constituaient en
rien une violation de la souveraineté
turque ».
LA PENETRATION DE L’APPAREIL D’ETAT TURC
PAR LES CONFRERIES ISLAMISTES
La crise entre les islamistes et les
journalistes a pris son véritable
éclairage le 24 mars 2011, lorsque la
police a perquisitionné les rédactions
de plusieurs journaux et maisons
d’édition, afin de saisir le manuscrit
d’un ouvrage qu’un journaliste, Ahmet
Şık s’apprêtait à publier, avant son
incarcération. Ce livre, intitulé
«L’armée de l’imam» (İmamın Ordusu),
dénonce en effet la pénétration de
l’appareil d’État par la confrérie
islamiste de
FETHÜLLAH GÜLEN. Dont Erdogan a
été un des dirigeants.
Cette nouvelle péripétie a confirmé les
motivations politiques de l’action
judiciaire entreprise contre les
journalistes. En effet, les inquiétudes
suscitées par l’extension de l’influence
de cette confrérie, proche du
gouvernement, dans l’administration
publique et en particulier dans la
police, se sont accrues depuis la
publication en août 2011 d’un second
livre d’Hanefi Avcı « Haliç’te Yaşayan
Simonlar», traitant du même thème. Cet
ancien chef de
la police d’Eskişehir, qui
dénonçait dans cet ouvrage (devenu en
quelques jours un best seller en
Turquie) le noyautage de la police par
les «Fetthullahcı», a en outre été
rapidement arrêté sur la base d’un motif
d’inculpation obscur (complicité avec
une organisation d’extrême gauche
hors-la-loi) avant d’être accusé lui
aussi de collusion avec le réseau «Ergenekon».
« Dès lors, l’arrestation d’Ahmet Şık et
la saisie brutale du manuscrit de son
livre ont renforcé l’idée que l’affaire
«Ergenekon» sert désormais de plus en
plus de prétexte pour justifier des
arrestations à l’encontre de
personnalités ou de journalistes
dénonçant certaines dérives actuelles du
gouvernement, en particulier sa
complaisance à l’égard de l’entrisme et
de l’activisme des réseaux de Fethullah
Gülen », commente L’Observatoire de la
vie politique turque. « La saisie du
manuscrit d’Ahmet Şık a été de surcroît
une très lourde bévue » du parquet aux
mains de l’AKP ; « l’ouvrage proscrit
est en ligne sur Internet et sa
publication de fait va encore renforcer
les soupçons à l’égard du gouvernement,
en dévoilant ce que ce dernier avait
entrepris de faire disparaître ».
Et il n’y a pas qu’ Ahmet Şık. Un juge
qui enquêtait sur le réseau Fethullah
Gülen a été jeté en prison. Tout comme
Hanefi Avcı, ancien chef de la police
pour un livre sur cette confrérie et ses
ramifications …
LA TURQUIE DIVISEE ENTRE L'AKP ET LES
KEMALISTES
Le procès Ergenekon est à l'image des
divisions qui minent la Turquie depuis
des années. En toile de fond, s'opposent
les principaux acteurs de la scène
politique turque.
D'un côté, l'AKP, (parti de la justice
et du développement) est un parti
islamo-conservateur, au pouvoir depuis
2002, issu des conféries religieuses et
proches des Frères musulmans dans
plusieurs pays arabes, notamment
l’Egypte et la Libye. Le mouvement du
premier ministre Erdogan est sorti grand
vainqueur des élections législatives de
juillet 2007, avec 46,47 % des voix,
puis a porté l’islamiste Abdullah Gül à
la présidence de la République en août
2007.
De l'autre côté, la nébuleuse kémaliste
rassemble tous ceux qui se revendiquent
de l'héritage politique de Mustafa Kemal
Pacha, dit Kemal Atatürk, fondateur et
premier président de la République
turque laïque. Le kémalisme défend des
valeurs laïques, européennes et
nationalistes. Il est incarné aussi bien
par des partis comme le CHP (gauche
nationaliste) que par des cadres de
l'armée, de l'administration ou du
système judiciaire.
Les kémalistes accusent avec raison
l'AKP de porter atteinte à la laïcité de
l'Etat. Et l’affaire Ergenekon, précise
l’Observatoire de la vie politique
turque, a conduit à « la mobilisation
d’une société civile active et
particulièrement vigilante ».
Luc MICHEL
http://www.lucmichel.net/2013/08/06/pcn-amkp-ergenekon-juges-aux-ordres-et-parodie-de-justice-contre-les-laiques-kemalistes-dans-la-turquie-autoritaire-islamiste-derdogan/
(*) d’après un des
principaux mythes fondateurs de la
Nation turque.
Le spécialiste Etienne Copeaux explique
les origines du mythe : « L’utilisation
des thèmes légendaires ou historiques de
la haute Asie commence par la légende d’Ergenekon.
Ce terme désigne le lieu mythique qui
serait le lieu d’origine des Turcs
célestes, situé quelque part dans les
monts Khangaï où se trouve la source de
l’Orkhon. La légende ressemble à celle
de Romulus et Remus : l’ancêtre des
Turcs célestes serait un enfant, seul
survivant d’un groupe de proto-Turcs,
abandonné dans ce lieu d’Ergenekon, qui
aurait été recueilli et nourri par une
louve. Le « peuple turc » une fois
reconstitué à partir de cette
renaissance miraculeuse, aurait établi
là une première civilisation, domestiqué
le feu, découvert l’art de forger. A
partir de ce lieu d’Ergenekon, les Turcs
célestes auraient essaimé, fondant
notamment « l’empire des Turcs célestes
» qui aurait contrôlé une grande partie
de l’Asie intérieure. Le feu, le fer, la
forge, le loup sont les ingrédients de
la légende. Au début de la république
(1923) la louve ou le loup (il n’y a pas
de genre en turc) a servi de symbole du
nouveau régime ; il renvoyait à la
légende d’Ergenekon en évoquant le «
foyer originel » d’Asie centrale, et
contribuait à enraciner la république
dans un passé öztürk, « authentiquement
turc » 4. Lors de l’interdiction, sous
Atatürk, de toute expression du
panturquisme, celui-ci a dû se
marginaliser et s’est radicalisé.
L’image du loup a alors cessé d’être un
symbole officiel pour être confisquée
par l’extrême-droite, et utilisée par
des revues extrémistes (...)
Cependant, on observe depuis le début
des années 1990 une diffusion de ces
symboles et éponymes en-dehors de
l’extrême-droite, dans des milieux
nationalistes plus modérés, et même dans
les cercles gouvernementaux ; par
exemple, Hasan Celal Güzel, président du
parti de la Renaissance (Yeniden Dogus
Partisi) a évoqué pour la Turquie la
nécessité d’une renaissance et d’un «
second Ergenekon » … »
« la juxtaposition des deux époques »,
celle du mythe et celle du Kémalisme,
« confère un caractère moderne, avancé,
aux sociétés turques du passé ; comme
elles ont les mêmes qualités
qu’aujourd’hui, elles peuvent produire
les mêmes effets : elles sont vues comme
des sociétés laïques, tolérantes,
démocratiques, où hommes et femmes sont
égaux, comme des sociétés organisées,
conscientes d’elles-mêmes, où l’on
décèlerait un sentiment national. »
Cfr. Copeaux Etienne, ESPACES ET TEMPS
DE LA NATION TURQUE. ANALYSE D’UNE
HISTORIOGRAPHIE NATIONALISTE, 1931-1993,
Paris, CNRS Éditions, 1997, pp. 157-165.
Photo :
manifestation laïque kémaliste à
Istanbul qui dénonce la main des USA
derrière la répression de l’AKP &
quelques personnalités arrêtées dans le
cadre d’Ergenekon
Le
dossier Monde
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