EODE THINK TANK - GEOPOLITIQUE
La géopolitique de
l'or bleu :
L'eau, enjeu de sécurité et de
développement
Luc Michel
Mercredi 5 juin
2013
LM pour EODE Think Tank /
Avec EODE-Books – Choiseul / 2013 06 05
/
La Revue SÉCURITÉ GLOBALE (Automne 2012,
n° 21) « L’EAU, ENJEU DE SÉCURITÉ ET DE
DÉVELOPPEMENT », éditée par l’Institut
Choiseul, a consacré un numéro à la
Géopolitique de l’Eau. Ou l’Or bleu
comme enjeu géostratégique majeur.
Au moment où les forces françaises,
appuyées par l’OTAN et l’AFRICOM US,
sont engagées au Mali, dans un des pays
de la bande sahélienne qui se
caractérise par son aridité, la question
de l’eau apparaît plus que jamais comme
un enjeu de sécurité est de
développement.
Le numéro de l’automne 2012 de la Revue
SÉCURITÉ GLOBALE (qui a été publié avant
cette intervention) « se révèle à tous
égards très précieux pour envisager les
questions de sécurité en Afrique comme
ailleurs » et comprendre la mentalité
des intervenants occidentaux. Ces
questions sécuritaires si elles se
posent sont bien souvent celles de
l’accès aux ressources et bien entendu à
la plus vitale entre toutes. En
arrière-plan cette « Géopolitique de
l’eau » qui sera l’un des enjeux majeurs
de ce XXIe siècle.
Dans différents articles, différents
spécialistes s’interrogent sur ces
questions. Panorama d’un sujet complexe
et notions de base …
GEPOLITIQUE DE L’EAU EN MEDITERRANEE
Pour L’eau et les tensions en
Méditerranée, c’est Dominique Michel
Alhéritière, président honoraire de
l’association internationale du Droit
des eaux, qui présente une vaste mise au
point de près de vingt pages qui font le
tour de la question. « L’eau a été et
continue à être une source de tensions
en Méditerranée, aussi bien au Nord
qu’au Sud et à l’Est ».
Avec un très utile rappel sur la
Mésopotamie, Dominique Michel
Alhéritière, explique l’importance du
facteur hydraulique dans les
civilisations mésopotamiennes, dans
cette zone qui n’est pas, nous le savons
désormais, le croissant fertile, la
question centrale était bien celle de la
maîtrise de l’eau par des ouvrages
hydrauliques d’importance majeure
utilisant déjà le bitume comme moyen de
réaliser l’étanchéité de ces ouvrages.
Si la notion d’hydroconflictualité a un
sens, c’est bien dans cette période. Les
différents royaumes assyriens,
néo-assyriens et néo-babyloniens se
livrant à la destruction des
réalisations de leurs adversaires. Les
vandales n’ont pas hésité non plus lors
de leur traversée de la Gaule à détruire
les aqueducs avec un enthousiasme qui a
fait entrer le nom de ce peuple dans le
langage commun.
LES DOCTRINES LIEES A LA GEOPOLITIQUE DE
L’EAU
Bien entendu les questions les plus
importantes sont traitées ici. On
retrouve ici la « DOCTRINE DE LA
SOUVERAINETÉ TOTALE SUR LES EAUX »,
illustrée par le contrôle amont des
sources du Tigre et de l’Euphrate,
tandis que le cas du Nil, avec la montée
des revendications des pays amont contre
le grand pays d’aval, l’Égypte, est un
exemple de ce que l’on peut espérer
trouver comme archétype de la « DOCTRINE
DE L’INTÉGRITÉ TERRITORIALE ABSOLUE »,
lourde d’ailleurs de dangers en raison
de l’impact qu’aurait sur le premier
pays du bassin du Nil, un contrôle par
les pays de l’amont. Les changements
politiques en Égypte, la posture plus
intransigeante des frères musulmans au
pouvoir à l’égard de leurs voisins peut
se révéler conflictuelle à terme.
L’eau dans le conflit
israélo-palestinien apparaît clairement
comme une source de tensions, avec la
volonté israélienne d’exploiter à son
profit l’aquifère profond de
Cisjordanie. De façon dramatique l’autieur
parle de la Mer morte assassinée. Certes
salée et fortement, elle n’en constitue
pas moins un exutoire indispensable pour
le Jourdain et le Yarmouk, source d’eau
douce à partir du plateau du Golan. Une
autre région contestée encore pour son
rôle de château d ’eau de la Galilée.
Quatrième étude de cas, l’expression est
de l’auteur, les grands aquifères
sahariens qui se révèlent comme une
source précieuse de ces territoires du
Sahel victimes et nous le savons bien
aujourd’hui du mal-dévelopepment et de
la mal gouvernance qui ont favorisé la
situation actuelle notamment au Nord
Mali.
LA GRANDE RIVIÈRE ARTIFICIELLE DE
KADHAFI
En 1984, projet directement impulsé par
Kadhafi, la Libye a entamé la
réalisation unilatérale de la GRANDE
RIVIÈRE ARTIFICIELLE. Cet ouvrage
pharaonique – dans le bon sens du terme
- a permis, à partir des aquifères
profonds de Nubie au Sud Est du pays
d’alimenter en eau le littoral dans une
proportion de 87 %. La Libye a envisagé
deux séries d’accors, avec l’Égypte et
le Soudan à l’Est et la Tunisie et
l’Algérie à l’Ouest pour l’aquifère
saharien.
L’évolution de la situation en Libye, la
Somalisation du pays, et l’absence d’un
État unitaire dans la Libye post-CNT,
aujourd’hui remettent en cause ces
accords. Ajoutons que les
infrastructures ne sont plus entretenues
et que les grandes villes côtières
libyennes manquent d’eau courante depuis
la destruction de la Jamahiriya.
EAU, CHANGEMENT CLIMATIQUE ET
GÉOSTRATÉGIE
L’article : Eau, changement climatique
et géostratégie, est rédigé par Pierre
BERTHELOT, enseignant et membre de
l’académie de l’eau. Il traite
évidemment des conséquences du
changement climatique et de son impact
sur l’or bleu . Pour ce qui le concerne
il n’exclut pas les manipulations.
Les États avaient jusqu’alors une
approche économique du problème,
celle-ci touche désormais aux questions
de sécurité stratégique. Cela se traduit
par des politiques d’appropriations de
terres cultivables, donc suffisamment
arrosées ou facilement irrigables par
des États dotés de moyens financiers
importants et menacés par le stress
hydrique consécutif au changement
climatique.
Les opérations militaires en cours, en
Afghanistan ou en Afrique concernent ces
questions. La sécurité des États exposés
en première ligne à des pénuries sera
effectivement directement menacée.
L’auteur évoque d’ailleurs ces
préoccupations, encore balbutiantes dans
l’armée française, mais déjà prises en
compte par le commandement US, de GREEN
WARRIOR, c’est à dire « orienté vers des
missions prenant en compte l’évolution
environnementale ».
Pourtant, avant que les États Unis
s’engagent dans la contre-insurrection,
et que les forces françaises les
accompagnent sous le quinquennat
précédent, les forces françaises avaient
parfaitement intégré cette notion de
répartition de la ressource en eau
permettant de gagner les cœurs et les
esprits en favorisant des aménagements
hydrauliques au profit des populations.
Pour l’auteur, et ce n’est pas
surprenant, il conviendra de traiter ces
questions par la réactivation de
structures spécialisées dans la gestion
de la ressource, ou par la création de
nouvelles entités de gestion
transnationale de l’eau, des nappes ou
des bassins.
De ce point de vue, la politique du «
deux poids deux mesures » peut se
révéler conflictuelle à terme.
L’appropriation de la ressource par
Israël de l’aquifère Cisjordanien est un
abcès de fixation et favorise évidemment
toutes les manipulations.
En Asie centrale, le problème est le
même, avec une tension permanente entre
les pays riverains de ces fleuves
endogènes de la mer d’Aral, l’Amou Daria
et le Syr Daria.
Enfin, le développement des usines
géantes de désalinisation fait de ces
dernières autant d’objectifs pour des
frappes aériennes ou de missiles avec
une volonté évidente de menacer de façon
permanente les intérêts vitaux de
l’adversaire.
SÉCURITÉ INTERNATIONALE ET ENJEUX LIÉS À
L’EAU
L’article : Sécurité internationale et
enjeux liés à l’eau est rédigé par
Franck Galland, un des spécialistes de
ces questions de sécurité liées à l’eau.
Son ouvrage paru chez Choiseul en 2011
EAU ET CONFLICTUALITÉS est une
référence.
Depuis la fin des années 1990, la
question de la compétition pour les
ressources préoccupe largement les
États-Majors. L’auteur revient
évidemment sur le problème du Nil, une
véritable pomme de discorde potentielle
entre pays de l’amont et de l’aval.
L’Égypte doit nourrir 82 millions
d’habitants et reste loin de
l’autosuffisance alimentaire. Dans ce
domaine, le Soudan a également une
attitude inflexible et considère comme
une agression toute tentative des pays
amont de modifier le débit du grand
fleuve. Pourtant et très légitimement
l’Éthiopie avec 118 millions d’habitants
en 2025 a besoin de développement
hydraulique et des travaux sont en
cours. (93.815.992 (Juillet 2012)
L’auteur évoque le cas de l’Algérie qui
a su mobiliser une partie de la rente
pétrolière pour doter le pays d’usines
de dessalement permettant d’alimenter
des villes littorales en forte
croissance. Toutefois pour l’Égypte
comme pour l’Éthiopie, des
investissements lourds s’avèrent
indispensables.
Pour le Yémen, un pays vulnérable à
court terme, l’auteur parle de 2015, la
stabilité de l’ancienne « Arabie
heureuse » est grandement menacée. Le
pays compte 200 m3 d’eau par habitant et
pourrait se retrouver avec 40 m3 en
2025. Dans le cas de ce pays, il est
clairement question d’action rapide. Les
affrontements certes limités pour
l’accès aux puits sont devenus fréquents
ce qui rappelle des évènements qui se
déroulent également en Somalie, un état
failli.
Clairement pour ce qui concerne ces deux
pays, « la responsabilité d’une action
rapide doit être prise à la fois pour
éviter de développer un point de
fixation dangereux du point de vue de la
sécurité mondiale, mais également pour
favoriser l’expertise française dans ce
domaine ». Ce qui a le mérite d’être
clairement affirmé.
Le financement de ces programmes doit
évidemment impliquer les pays du golfe à
commencer par l’Arabie Saoudite. Comme
dans l’article précédent, la sécurité de
ce développement doit être assurée à la
fois par des infrastructures solides et
de qualité et des water warriors c’est à
dire des troupes capables de sécuriser
ces efforts considérables de
développement.
UNE CARTOGRAPHIE MONDIALE DE LA
GÉOPOLITIQUE DE L’EAU
Une cartographie mondiale de la
géopolitique de l’eau est proposée par
le Général (CR) Alain LAMBALLE. Il
rappelle dans cet article les données du
problèmes. Elles sont simples : 276
bassins hydrographiques
transfrontaliers, 300 aquifères
partagés.
La géopolitique de l’eau est ainsi
traitée en Europe avec l’exemple de
bonne gouvernance à propos du Rhin mais
aussi de tensions entre la Slovaquie et
la Hongrie à propos du Danube. En
Amérique du Nord, la question n’est pas
forcément simple, même si l’accord de
l’ALENA peut faciliter les transferts
d’eau. Des négociations entre les
États-Unis et le Canada à propos de
Colombia ont été engagées dès 1964, pour
la maîtrise des inondations. Avec le
Mexique, à propos du Colorado les enjeux
sont plus complexes. Le traité de 1994 a
permis d’apaiser les tensions mais les
États-Unis aujourd’hui cherchent à
moderniser le canal qui alimente la
Californie mais en limitant les
infiltrations qui profitent au sous sol
mexicain.
Concernant l’Amérique du Sud de très
importants accords ont été signés entre
le Brésil et le Paraguay, à propos du
Parana et entre le Brésil et l’Argentine
pour le barrage de Yacireta. L’auteur
revient en Afrique pour le cas nilote,
pomme de discorde entre l’Égypte et
l’Éthiopie. « Cette dernière qui peut
apparaître comme le nouvel atout des
États-Unis à l’Est de l’Afrique semble
vouloir utiliser sa position de pays
amont pour son propre développement,
agricole et hydroélectrique ».
GEOPOLITIQUE DE L’EAU EN AFRIQUE
La naissance du Sud Soudan qui entend
lui aussi accéder au ressources du Nil
peut mettre deux pays au lieu d’un en
situation conflictuelle avec l’Égypte.
Pour ce qui concerne l’Afrique
subsaharienne la situation est également
compliquée. Tous les grands fleuves
traversent plusieurs pays et leur
gestion dépend évidemment d’accords
internationaux.
Les États de la région ont signé des
accords dès les années soixante mais qui
peinent à se mettre vraiment en place.
Le Sénégal est un fleuve frontière avec
trois pays dans son bassin, le Mali en
amont, le Sénégal et la Mauritanie. Les
troubles internes que la Mauritanie
connaît sont liés à un conflit d’usage
des berges du fleuve Gorgol, affluent du
Sénégal.
En Afrique orientale la situation est
plus délicate, avec une pression
pastorale qui consomme une part
importante des ressources aggravée par
la disparition progressive des glaces et
des neiges du Kilimandjaro qui prive des
territoires des eaux du dégel.
Pour l’Afrique australe, avec le cas
particulier de l’Afrique du Sud, grande
puissance économique de la zone, la
question est également celle d’un pays
aval qui entend exercer son droit à
l’usage à l’encontre des pays de
l’amont. Les réalisations hydrauliques
au Mozambique datent de la période de la
colonisation portugaise et, comme pour
le Lesotho, avec la rivière Orange, les
ponctions sur la ressource sont opérées
au profit de l’Afrique du Sud. Pourtant
le Lesotho connaît une situation de
déficit hydrique. La Namibie conteste la
frontière avec l’Afrique du Sud, sur le
cours inférieur de la rivière orange.
L’accord ancien signé avec l’Allemagne
avait fixé les limites sur la rive nord
des plus hautes eaux, ce qui permettait
à l’Angleterre de disposer d’une
délimitation avantageuse. Or la règle
commune veut que dans ce cas, la limite
soit fixée au centre du lit de la
rivière. Cela permet à l’Afrique du Sud
d’exploiter les ressources minérales du
fleuve, particulièrement riche en limons
diamantifères.
GEOPOLITIQUE DE L’EAU EN ASIE
Enfin pour terminer, l ’auteur revient
sur la géopolitique de l’eau en Asie.
Beaucoup de cas sont conflictuels à
terme, et relèvent d’ailleurs de
conflits anciens. La dimension
hydraulique du conflit indo-pakistanais
est connue à propos du Cachemire. Les
questions des usages de l’eau sont
évidement sensibles dans tout le sous
continent avec le Bangladesh à propos du
Gange et du Brahmapoutre qui coulent en
Inde avant d’arriver au Bangladesh. De
façon globale, comme en Afrique, la
grande puissance régionale se taille la
part du lion au détriment de ses petits
voisins.
Pour ce qui concerne l’Asie centrale, la
question qui est posée est celle de la
naissance de frontières depuis 1991 et
des partages des eaux entre les pays de
la zone. Encore une fois ce sont les
conflits d’intérêts entre l’amont et
l’aval qui posent problème. Kirghizistan
et Tadjikistan détiennent une position
de châteaux d’eau par rapport à
l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le
Turkménistan. Ce sont d’ailleurs ces
trois pays qui sont les plus puissants
ce qui peut les amener à faire pression
pour défendre leurs intérêts.
L’Organisation de coopération de
Shanghai n’est pas parvenue à mettre en
place un accord, et il est vrai que la
Russie finance des barrages au
Kirghizistan et au Tadjikistan, ce qui
s’inscrit aussi dans une politique
d’alliance à revers contre des pays
tentés, c’est le cas de l’Ouzbékistan à
un rapprochement avec les États-Unis
tandis que le Kazakhstan et surtout le
Turkménistan seraient tentés par la
carte chinoise (Gazoduc en construction
vers la Chine).
La guerre de Corée, toujours en cours
malgré l’armistice signé en 1953 à Pam
Mum Jom pourrait trouver un « débouché
hydraulique » en cas de reprise des
hostilités. Sur un affluent de la
rivière Han, un barrage Nord coréen
construit à Kumgansan pourrait, s’il
était brutalement relâcher inonder
Séoul.
Enfin, la Chine résume à elle seule les
enjeux hydrauliques de l’Asie. C’est sur
son territoire que se trouvent les
principaux château d’eau, à commencer
par le Tibet et l’on comprend les enjeux
géopolitiques de ce territoire. Si les
plus grands fleuves de la zone, le
Jiangzi et le Huang He ne coulent qu’en
Chine, d’autres prennent leur source en
Chine pour se diriger vers les voisins
du Sud et de l’Ouest, comme le
Kazakhstan.
La Chine est un don des fleuves mais en
même temps elle ne dispose que de 8 %
des ressources mondiales pour 20 % de la
population. Son agriculture est
largement tributaire de l’eau, et dans
le même temps elle conduit des travaux
géants pour alimenter le nord
déficitaire en eau à partir du Sud
excédentaire.
LE REGNE DE LA LOI DU PLUS FORT …
La géopolitique de l’eau se révèle
surtout conforme à l’esprit du temps et
à la brutalité des rapports
internationaux qui découle du Nouvel
Ordre Mondial et de l’unilatéralisme de
la super-puissance américaine. « De
façon générale la confrontation et
l’opposition d’intérêts sont de règle et
dans ce domaine c’est la loi du plus
fort qui s’impose. Le plus fort en
position, le plus fort en puissance,
impose sa loi et ses usages de l’eau. La
concertation internationale dans ce
domaine est balbutiante et si cela
existe pour l’eau salée et les espaces
maritimes, avec la convention de Montego
Bay, nous sommes loin du compte pour ce
qui concerne les eaux douces ».
LM
http://www.eode.org/eode-think-tank-geopolitique-la-geopolitique-de-lor-bleu-leau-enjeu-de-securite-et-de-developpement/
# L’EAU, ENJEU DE SÉCURITÉ ET DE
DÉVELOPPEMENT
Revue SÉCURITÉ GLOBALE
Automne 2012 N° 21
Ed. Institut Choiseul
http://choiseul-editions.com/
Cartes : revue Sciences Humaines, Le
Figaro et Le Web Pédagogique.
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