Opinion
Egypte -
Négociations et manifestations:
Le peuple veut la chute du maréchal
Leila
Mazboudi
Mardi 22 novembre
2011
Pas question pour les
manifestants Égyptiens de lâcher du
lest. Malgré le nombre stupéfiant des
tués et des blessés !
Après la chute du
raïs, le peuple veut la chute du mouchir,
le maréchal, en allusion au président du
Conseil suprême des forces armées
(CSFA)
Alors que se tenait la
réunion entre ce dernier avec plusieurs
forces politiques pour mettre un terme à
la crise dans le pays, des dizaines de
milliers se sont rassemblés réclamant la
remise immédiate du pouvoir à une
autorité civile, conspuant et le conseil
militaire qu'ils accusent de rééditer la
politique de répression en vigueur sous
le régime Moubarak.
Ils n’ont pas attendu
l’heure prévue pour la manifestation
massive organisée par les mouvements
égyptiens à l'origine du soulèvement,
dont la Coalition des jeunes de la
révolution et le mouvement du 6 avril,
prévu à 16H00 (14H00 GMT) pour réclamer
la fin du pouvoir militaire et la
formation d'un "gouvernement de salut
national".
Le maréchal Tantaoui,
ministre de la Défense pendant vingt ans
sous Hosni Moubarak, et la hiérarchie
militaire sont accusés par les
manifestants de chercher à s'incruster
et de perpétuer le système répressif de
l'ex-président, poussé au départ après
30 ans à la tête de l'Egypte.
Manifestation de mardi : abstention des
Frères musulmans et des salafistes
Fait
marquant : les Frères musulmans et les
Salafistes se sont abstenus d’y
participer.
Dans un communiqué,
les salafistes, soupçonnés d’être
financés par l’Arabie Saoudite ont
refusé les revendications des
manifestants : « le fait de
réclamer le départ du CSFA et du
gouvernement actuel à ce moment aussi
embarrassant va plonger le pays dans les
troubles et le chaos et constitue une
menace à l’entité de l’état égyptien et
à toute la société », cite le texte,
publié dans le journal égyptien AlAHram.
Sur la place Tahrir,
les slogans sont tout le contraire :
« Nous avons renversé seulement
Moubarak, mais son régime et la junte
militaire sont encore là", affirme
Hossam el-Hamalawy, un militant de
gauche, ajoutant: "Ce qui ce passe,
c'est la suite la révolution".
"Les salauds qui nous dirigeaient avant sont toujours en place. Je
ne vois aucune différence entre
aujourd'hui et le 25 janvier", date du
début du soulèvement populaire, dénonce
Mohammad Anwar, un employé de 31 ans.
Depuis l’éclatement
des affrontements samedi, ce sont 28
manifestants qui ont été tués selon les
agences de presse, et 33 selon la presse
égyptienne. Alors que le nombre des
blessés dépassent les 1900. Dans la nuit
de lundi à mardi, deux personnes ont été
tuées à Ismaïliya, selon des sources
médicales dans un hôpital de cette ville
sur la mer Rouge. Ailleurs dans le pays,
police et manifestants s'opposaient à
Alexandrie et Qena (centre), et Suez,
sur la mer Rouge, et el-Arich dans le
Sinaï.
Pour sa part, le
ministère de l'Intérieur parle de 112
blessés parmi les membres des Forces de
l’ordre, atteints par « des cocktails
Molotov et des fusils de chasse » tirés
par les manifestants.
Son communiqué fait aussi état de "116
émeutiers arrêtés au Caire, 46 à
Alexandrie et 29 à Suez".
Sur cette question le quotidien égyptien
Al Ahram rapporte, citant un responsable
du ministère de l’intérieur, que 3
étrangers ont été arrêtés alors qu’ils
participaient aux jets de ces cocktails
contre les forces de l’ordre chargées de
protéger le bâtiment du ministère en
question.
AlAHram
: l’accord d’accalmie avortée par une
rumeur
Le
journal affirme qu’un accord conclu dans
la nuit de lundi à mardi pour mettre fin
aux affrontements entre les forces de
l’ordre et de l’armée d’un côté et les
manifestants de l’autre a été sabordé
par des rumeurs.
Comportant trois
points : laisser la place Tahrir aux
manifestants, à condition que leur
contestation reste pacifique, et qu’ils
ne s’approchent pas du bâtiment du
ministère de l’intérieur, a peine a-t-il
commencé à être mis en exécution qu’une
information ou rumeur a circulé parmi
les manifestants faisant état que les
forces de l’ordre se préparent pour
prendre d’assaut la place Tahrir. Et les
affrontements ont repris de nouveau.
L’architecte de cet
accord, cheikh Mozher Chahine avait
auparavant mis en garde contre la
présence de sbires du régime déchu qui
œuvrent pour le faire avorter. En
sortant de la mosquée, il a fait l’objet
d’une agression.
Un gaz
lacrymogène américain qui tue : Le CR
Pour
sa part le quotidien libanais arabophone
AsSafir, s’est arrêté sur les raisons de
la mort des manifestants ayant succombé
pour avoir inhalé des gaz lacrymogènes,
signalant que leur nombre est
stupéfiant.
« Jamais autant de personnes ne
sont mortes pour cette raison »,
remarque le journal, rapportant que les
forces de l’ordre ont utilisé une
nouvelle marque de gaz, irrémédiables
avec les moyens médicaux traditionnels :
le CR
D’après les centres de
recherches américains militaires, ce
genre de bombes fabriquées aux
Etats-Unis ne devraient pas être
utilisées contre les humains et sont
classées parmi les armes chimiques.
Certains centres estiment que le CR est
cancérigène, alors que d’autres
précisent que son impact dix fois plus
nuisible que les gaz lacrymogènes
courants altère les canaux des larmes
des yeux, peut provoquer une cécité
temporaire et gâter le système nerveux
voire provoquer une paralysie soudaine.
Le fait d’inhaler une grande quantité de
ce gaz provoque la mort, conclut AsSafir.
Démission du gouvernement ou pas : le
CSFA dans la ligne de mire
Lundi, le gouvernement
a présenté sa démission au CSFA,
mais la télévision publique a affirmé
que l'armée l’a refusée, alors que le
ministre de l'Information Osama Haikel,
cité par la Mena, a déclaré que l'armée
ne s'était pas encore prononcée.
Mais les manifestants
gardent toujours l'oeil sur le CSFA
Sur la place Tahrir, les dizaines de
milliers de manifestants scandaient
toujours "Le peuple veut la chute du
maréchal" Hussein Tantaoui, à la tête du
conseil militaire et dirigeant de facto
de l'Egypte.
"C'est bien.
Maintenant c'est le CSFA qui doit
démissionner et répondre de ses actes
devant nous", a réagi Tarek Sabri, un
enseignant de 35 ans.
"Nous avons besoin d'un gouvernement qui a de véritables pouvoirs.
Aucun gouvernement sous l'égide du CSFA
n'a de valeur", a renchéri Mohammed al-Hita,
militant de 24 ans.
Dernière information
dans ce dossier: le président du CSFA le
maréchal HusseinTantaoui va s'adresser à
la nation durant la nuit de ce mardi.
Le CSFA
: promesses non tenues (Amnesty)
Selon Amnesty
Internationale (AI), le CSFA n'a pas
tenu ses promesses et certaines
violations des droits de l'Homme
commises depuis qu'il est au pouvoir
sont pires que sous le régime de
l'ancien président Hosni Moubarak.
"En jugeant des milliers de civils
devant des tribunaux militaires, en
réprimant des manifestations pacifiques,
en élargissant le champ d'application de
la loi sur l'état d'urgence en vigueur
sous M. Moubarak, le CSFA a perpétué un
système répressif contre lequel les
manifestants du 25-Janvier ont combattu
si ardemment pour parvenir à s'en
débarrasser", affirme Philip Luther,
directeur par intérim d'AI pour le
Moyen-Orient.
"Ceux
qui ont défié ou critiqué le conseil
militaire - les manifestants, les
journalistes, les blogueurs, les
grévistes - ont fait l'objet d'une
répression impitoyable, dans une
tentative de les faire taire",
poursuit-il dans un communiqué.
"Le bilan sur le respect des droits humains montre qu'après neuf
mois de pouvoir en Egypte, le CSFA a
étouffé les objectifs et les aspirations
de la révolution du 25-Janvier", dénonce
M. Luther.
Applaudie par la population pour ne pas avoir réprimé la révolte
contre M. Moubarak et chargée d'engager
le processus de démocratisation, l'armée
fait désormais l'objet de vives
critiques, accusée de multiplier les
procès envers les civils et soupçonnée
de vouloir se maintenir au pouvoir.
L'ONG assure que dans
le domaine de la justice, le pouvoir
militaire a fait "empirer" la situation.
Elle affirme que 12.000 civils ont été
jugés devant des tribunaux militaires au
cours des neuf derniers mois, notamment
pour des "violences mineures" ou pour
"outrage envers l'armé".
Amnesty cite le cas du blogueur Maikel Nabil, enfermé pour 45 jours
dans un hôpital psychiatrique après
avoir entamé une grève de la faim pour
protester contre sa condamnation à trois
ans de prison.
"Après avoir entamé une grève de la faim en août, les autorités
pénitentiaires lui ont retiré des
médicaments vitaux pour son cœur",
rappelle l'organisation, qui souligne
également les tentatives du conseil
militaire pour étouffer les articles
défavorables à son égard.
Au lieu de protéger les manifestants, les forces de l'ordre,
notamment l'armée, ont "violemment
réprimé plusieurs manifestations,
faisant plusieurs morts et des blessés".
L'ONG accuse également
le conseil militaire de promettre des
enquêtes afin d'écarter toute critique,
notamment sur la poursuite de la
pratique de la torture en prison.
Elle rappelle que 28 personnes ont été tuées lors d'une
manifestation de chrétiens coptes
d'Egypte le 9 octobre, citant des
sources médicales qui ont fait état de
victimes touchées par balles ou écrasées
par des véhicules blindés.
"Au lieu d'ordonner une enquête indépendante, l'armée a annoncé
qu'elle mènerait elle-même l'enquête et
a rapidement fait taire toute critique",
affirme le rapport.
Entre le
CSFA et les USA: des liens tenus en
secret
Force est de constater
que depuis la reprise des
manifestations, les déclarations
américaines se font plutôt rares.
Dans une chronique, le quotidien
américain New York Times voit
dans les affrontements "le prélude d’un
conflit chaotique et long pour le
pouvoir, lequel porte en lui a fortiori
des résultats non prévisibles et un défi
majeur aux décideurs de la politique
américaine".
Interrogé
par le journal, le directeur exécutif du
« projet démocratique pour le
Proche orient », Stephen McInerney partage
ces appréhensions et considère que «
les gens à la place Tahrir voient que
l’administration américaine soutient le
CSFA ».
McInerney et Brian Catolis du Centre du
progrès américain ont été désignés par
la Maison Blanche pour suivre la
situation égyptienne et donner leurs
évaluations et conseils.
Dans leur rapport, les
deux experts estiment que « le
destin de la révolution égyptienne est
douteux, car il n’est pas clair que le
conseil militaire va céder le pouvoir »,
constatant qu’il « a reporté la
suspension de l’état d’urgence, et qu’il
a œuvré pour préserver les privilèges
des officiers de l’armée ».
Selon un expert
américain dans la question de l’armée
égyptienne de l’université Georges Town,
Paul Sulivan, « l’administration
américaine et l’armée égyptienne sont en
contact quotidien ininterrompu, officiel
et non officiel ».
« Mais l’armée reste très discrète
sur cette relation, ce qui est certes
bien, car nous ne devrions pas faire
sentir les Egyptiens que nous nous
ingérons pour résoudre leur crise, ils
ne seraient pas du tout satisfaits »,
conclut-t-il. Sulivan avait
auparavant signalé que " les liens
personnels entre les hauts-officeirs
américains et égyptiens accordent
beaucoup d'hégémonie à Washington".
L’armée
au-dessus de tous
Sachant que les
manifestations ont repris de plus bel en
Egypte depuis vendredi dernier sur fond
de la charte des principes fondamentaux
de la constitution, rédigée par le
vice-Premier ministre égyptien Ali
Salmi.
Comprenant des
principes obligatoires et non
consultatifs, cette charte place l’armée
au-dessus de tous les pouvoirs. Elle y
est présentée comme étant le gardien de
l’état, a l’instar de l’exemple turc qui
régnait avant 2002.
En fonction de ce
texte, elle est placée au-dessus du
parlement dans la Constitution et au
Budget et détient le droit de réviser et
de surveiller les principes fondamentaux
de la Constitution prochaine. De plus
pas question que le parlement supervise
ses dépenses militaires qui se devraient
de surcroit être déterminées dans leur
ensemble et non dans leurs détails.
Il lui reviendrait les décisions de
guerre et de paix, car le président de
l’état ne peut les prendre sans son
consentement.
Le sommaire de Leila Mazboudi
Le dossier
Egypte
Les dernières mises à jour
|