La Voix de la Russie
Les manifestants
égyptiens mettent en échec Morsi
Laurent
Brayard
Photo: EPA
Mercredi 5 décembre
2012 Le Caire a vécu hier et cette
nuit une journée de folie tandis
qu’à l’appel des opposants au régime
de Mohamed Morsi, des dizaines de
milliers de manifestants sont
descendus dans la rue et se sont
dirigés vers le palais présidentiel.
100 000 Egyptiens dans la rue, ont
noyé les rues et encerclé au soir la
résidence officielle du président
Morsi. Les forces de l’ordre ont été
balayées et Morsi a dû s’enfuir
piteusement par la porte de
derrière.
Cet événement
incroyable fait suite à un
feuilleton de longue date, le
président Morsi cherchant depuis sa
récente élection à renforcer et à
élargir considérablement ses
pouvoirs de président. Après avoir
jugulé les militaires à peu près
sans heurts, Morsi et les Frères
musulmans se sont attaqués à
l’obtention d’une nouvelle
constitution et à l’extension «
provisoire » des fonctions et
pouvoirs du président, notamment en
jugulant les organes de la Justice
égyptienne qui pouvait lui faire
obstacle. Il semble que Mohamed
Morsi n’ait pas pris conscience du
feu qui couvait encore en Egypte et
notamment le désir du peuple
égyptien de garder et de défendre sa
liberté de conscience et
d’expression.
Depuis le printemps
arabe qui avait jeté à bas l’ancien
régime de Moubarak, après les
règlements de compte et les
persécutions dont ont été victimes
les Chrétiens, après la fournaise du
film de
L'Innocence des musulmans et
la condamnation à mort de 6
participants et auteurs du film par
un tribunal du Caire, le régime a
sans doute présumé de ses forces en
tentant de faire un coup de force
dans une Egypte prête à s’embraser à
nouveau. La décision de Morsi
d’étendre ses pouvoirs a été très
vite perçue comme un moyen d’accéder
à une dictature déguisée, alors que
le régime de par sa nature et ses
liens avec les Frères musulmans
était déjà l’objet de l’inquiétude
de beaucoup d’Egyptiens, qu’ils
soient Chrétiens, Coptes ou de
simples laïcs.
Ce sont
majoritairement les forces laïques
de gauche qui sont descendues hier
dans les rues, scandant les mêmes
slogans que lors des énormes
manifestations du début de 2011 qui
ont accéléré la chute de Moubarak :
« Dégage ! », « Lâche ! », « Va-t’en
! », les manifestants n’ont pas été
en reste de protestations, souvent
verbalement virulentes. En agitant
des milliers de drapeaux égyptiens,
ils ont accusé les Frères musulmans
«
d’avoir vendu et trahi l’esprit de
la Révolution », c’est-à-dire
la promesse de Morsi qui avait été
faite de respecter la démocratie et
les différences de chacun, d’engager
aussi des réformes. Dans la rue, les
égyptiens ont démontré que le projet
de Constitution que mûrissait Morsi
et devant être présenté à la
population sous forme de référendum
dans moins de 15 jours était rejeté
par beaucoup.
Les opposants au
régime dénonce une dictature en
devenir et posent des questions. Ils
s’inquiètent des différents projets
de loi qui ne paraissent pas
protéger les droits fondamentaux de
tous les citoyens, déjà les Coptes,
minorité chrétienne dénonçaient de
longue date leur statut de
sous-citoyen et les dangers dont ils
sont toujours menacés dans un
contexte international difficile et
sous fond de pression dans le monde
arabe et surtout au Proche et
Moyen-Orient, en Palestine, en Iran,
en Irak, en Syrie et en Turquie pour
ne citer que ceux-là. L’explosion de
colère a démarré avec l’interdiction
par le président au pouvoir
Judiciaire de contester ses
décisions, ce qui a divisé les
magistrats entrant pour une bonne
part dans une opposition décidée et
ferme. Il est évident que la
séparation des pouvoirs prônée par
Montesquieu ne pouvait se trouver en
corrélation avec le désir affiché de
Morsi «
d’en passer par ce décret temporaire
afin d’accélérer les réformes
démocratiques »…
Dans la foulée des
magistrats et des juges appelant à
la résistance contre le président
Morsi, les médias se sont sentis
menacés et ont dénoncé à leur tour
les projets dominateurs des
islamistes visant à juguler la
liberté d’expression et à faire
appliquer dans le pays la loi
islamique au sens strict. Hier,
plusieurs quotidiens et médias
indépendants sont entrés en
résistance avec décision de ne rien
faire paraître ce jour-là. Le 1er
décembre, Morsi sentant sans doute
déjà l’orage poindre, avait motivé
par l’intermédiaire des Frères
musulmans une manifestation
islamiste visant à montrer le
soutien populaire dont il disposait.
Hier les milliers de manifestants du
camp opposé ont montré la limite de
ce soutien balayant les efforts de
la police anti-émeute. Dans la
crainte de débordements et d’un
affrontement meurtrier, la police a
reçu l’ordre de se replier tandis
que Morsi évacuait le palais
présidentiel, aveu d’une cuisante
défaite médiatique.
Désormais
complètement discrédité dans une
large part de l’opinion, il est
difficile de dire ce qui pourra
arriver par la suite. Il est peu
probable que le président égyptien
puisse user de la force sans
saborder lui-même son régime, la
moindre goutte de sang étant appelée
à jeter le feu aux poudres. A
Washington, les Américains ont
invité les opposants à manifester
dans le calme et pacifiquement,
montrant bien l’inquiétude évidente
pour les Etats-Unis de voir s’ouvrir
un nouveau front brûlant sur les
arrières de plusieurs autres feux
allumés au Moyen-Orient. Au-delà de
l’échec de Morsi, il est évident que
tous les éléments d’une fracture
confessionnelle majeure existent au
sein de la population égyptienne :
musulmans contre chrétiens, laïcs
contre musulmans, la tâche ne sera
pas simple de mettre autour d’une
table, les différentes composantes.
Morsi aura-t-il
encore assez de pouvoirs et de
légitimité pour poursuivre son
mandat encore longtemps dans ces
conditions ? Peut-être que oui, il a
été légalement élu, mais il devra
désormais faire face aux regards qui
seront toujours tournés sur ses
actions et décisions, et s’il ne
veut pas plonger son pays dans une
situation encore plus difficile ou
finir dans l’opprobre générale comme
son prédécesseur, il devra apprendre
à composer. La démocratie n’est pas
qu’un simple mot.
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