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Opinion
Réflexions sur
l'occupation israélienne,
l'Autorité palestinienne et l'avenir de mouvement national
Julien Salingue
Lundi 25 octobre 2010
Le 3 octobre dernier, le Président palestinien de facto
Mahmoud Abbas
déclarait qu’il refuserait tout dialogue avec Israël si le gel
de la colonisation de la Cisjordanie n’était pas reconduit. Le
même jour, le Chef d’Etat-major israélien sortant Gaby Ashkenazi
était en « visite » à Béthléem, où il rencontrait des
responsables des forces de sécurité palestiniennes. La
coïncidence de ces deux événements apparemment contradictoires
est à l’image du décalage de plus en plus flagrant entre, d’un
côté, les gesticulations diplomatiques visant à ranimer un
« processus de paix » depuis longtemps mort et enterré et, de
l’autre, la réalité du terrain, la poursuite de la politique
expansionniste israélienne et l’intégration de plus en plus
forte de l’Autorité palestinienne à l’appareil de l'occupation.
Je me propose ici de tenter de dégager les grandes coordonnées
de la situation dans les territoires palestiniens même si je ne
prétends pas à l’exhaustivité. Il s’agit néanmoins, en replaçant
les événements actuels dans leur contexte et leur historicité,
en confrontant analyse des tendances lourdes et réalité du
terrain, de dégager les logiques à l’œuvre côté palestinien, en
se concentrant sur l’Autorité palestinienne de Ramallah et sur
la gauche. Cette dernière, et notamment le FPLP, est en effet
dans un processus de retour critique sur les années Oslo,
consciente du cours tragique suivi par les forces issues de
l’OLP. C’est ainsi que le FPLP a récemment annoncé qu’il
suspendait sa participation aux réunions de la direction de
l’OLP en signe de protestation contre la reprise des
négociations directes par Abbas. Ce n’est pas la première fois
que le FPLP prend une telle décision, mais elle est néanmoins
significative.
Moins que sur cette actualité, c’est sur le sens des évolutions
récentes et actuelles que je souhaite insister, en revenant dans
un premier temps sur le lourd héritage des 17 années de
« processus de paix ». Je tenterai ensuite d’établir les
spécificités de la politique du Premier Ministre de facto
Salam Fayyad
puis, dans un dernier temps, d’interroger les dynamiques
actuelles au sein ce qui reste du mouvement national palestinien
« non-islamique »
. Je m’inspire
ici largement d’écrits antérieurs, en les réactualisant et en
les mettant en perspective.
I) 17 années de « Processus de paix »
La fiction du « processus de paix »
Les mots ayant un sens, il convient d’interroger l’idée même de
« processus de paix », qui revient comme une ritournelle dans
l’actualité proche-orientale. Dans son acception la plus
courante, le « processus de paix israélo-palestinien » se serait
ouvert au début des années 1990, et se serait matérialisé par la
signature des Accords d’Oslo (1993-1994) qui promettaient, selon
nombre de commentateurs et diplomates, « la fin du conflit
israélo-palestinien ». Ce « processus de paix » aurait été à
plusieurs reprises « interrompu », mais il existerait toujours,
suspendu au-dessus des événements, attendant d’être « relancé ».
La réalité est bien différente, et les Palestiniens nous l’ont
rappelé à au moins deux reprises au cours des 10 dernières
années. En septembre 2000 tout d’abord, lorsque la population de
Gaza et de Cisjordanie s’est soulevée pour exprimer sa colère
contre la poursuite de l’occupation israélienne, de la
colonisation et de la répression. En janvier 2006 ensuite,
lorsque les Palestiniens ont élu, lors du scrutin législatif, un
parlement largement dominé par le Hamas, organisation politique
alors ouvertement hostile au processus négocié et prônant la
poursuite de la résistance, y compris armée, contre Israël.
Les Palestiniens étaient-ils devenus fous ? Non. Les
Palestiniens, contrairement aux diplomates, vivent en Palestine.
Ils ont vu le nombre de colons implantés en Cisjordanie et à
Jérusalem doubler entre 1993 et 2000. Ils ont vu sortir de terre
des centaines de barrages israéliens et des dizaines de routes
réservées aux colons, qui ont subordonné le moindre déplacement
au bon vouloir des autorités israéliennes. Ils ont vu Jérusalem
coupée du reste de la Cisjordanie. Ils ont vu la Bande de Gaza
coupée du reste du monde. Ils ont vu, à partir de septembre
2000, une répression israélienne sans précédent, des milliers de
maisons détruites, des dizaines de milliers d’arrestations, des
milliers de morts et des dizaines de milliers de blessés. Ils
ont vu un mur, qui les enferme dans des ghettos. Ils n’ont vu ni
paix, ni processus.
Les Accords d’Oslo : l’occupation par d’autres moyens
« Depuis le début, on peut identifier deux conceptions
sous-jacentes au processus d’Oslo. La première est que ce
processus peut réduire le coût de l’occupation grâce à un régime
palestinien fantoche, avec Arafat dans le rôle du policier en
chef responsable de la sécurité d’Israël. L’autre est que le
processus doit déboucher sur l’écroulement d’Arafat et de l’OLP.
L’humiliation d’Arafat, sa capitulation de plus en plus
flagrante conduiront progressivement à la perte de son soutien
populaire. L’OLP va s’effondrer ou succomber à des luttes
internes. (…). Et il sera plus facile de justifier la pire
oppression quand l’ennemi sera une organisation islamiste
fanatique »
.
Ces
lignes, écrites en février 1994 par l’Universitaire israélienne
Tanya Reinhart, semblent, a posteriori, prophétiques.
Mais Tanya Reinhart n’avait rien d’une medium : elle avait
compris, avant d’autres, ce qu’était réellement le processus
d’Oslo. Quiconque lit de près les textes signés à partir de 1993
se rend bien compte qu’il a affaire à tout autre chose que des
« accords de paix ». Des questions essentielles comme l’avenir
de Jérusalem, le sort des réfugiés palestiniens, les colonies
israéliennes… sont absentes des accords et sont renvoyées à
d’hypothétiques « négociations sur le statut final ». On n’y
trouve pas non plus mention du « retrait » de l’armée
israélienne des territoires occupés, mais seulement de son
« redéploiement ».
Quelles qu’aient été les intentions ou les illusions des
négociateurs palestiniens quant à la constitution d’un
hypothétique « Etat palestinien », la vérité d’Oslo est
ailleurs : Israël, qui occupe alors toute la Palestine, s’engage
à se retirer progressivement des plus grandes agglomérations
palestiniennes et à en confier la gestion à une entité
administrative conçue pour l’occasion, l’Autorité Palestinienne
(AP). L’AP doit prendre en charge la gestion de ces zones et
faire la preuve qu’elle est capable d’y maintenir le calme, au
moyen notamment d’une « puissante force de Police », tout
« progrès » dans le processus négocié est subordonné aux « bons
résultats » de l’AP dans le domaine sécuritaire. L’occupation et
la colonisation se poursuivent, et l’AP est chargée de maintenir
l’ordre dans la société palestinienne. L’ordre colonial, donc.
Les contradictions d’Israël et du sionisme
Les Accords d’Oslo n’ont été, dans leur logique, qu’une
réactualisation d’un vieux projet israélien connu sous le nom de
« Plan Allon »
. Du nom d’un
Général travailliste, ce plan, soumis au Premier Ministre
israélien Levi Ehskol en juillet 1967, entendait répondre à la
situation nouvelle créée par la Guerre de juin 1967, au terme de
laquelle Israël avait conquis, entre autres, toute la Palestine.
Ygal Allon avait identifié, avant beaucoup d’autres, les
contradictions auxquelles Israël et le projet sioniste seraient
tôt ou tard confrontés, et se proposait de les résoudre le plus
pragmatiquement possible.
Lorsqu’à la fin du 19ème Siècle le jeune mouvement
sioniste se fixe pour objectif l’établissement d’un Etat juif en
Palestine, 95% des habitants de ce territoire sont des
non-juifs. Convaincus que l’antisémitisme européen révèle
l’impossibilité pour les Juifs de cohabiter avec les nations
européennes, les sionistes préconisent leur départ vers la
Palestine afin qu’ils y deviennent majoritaires et puissent y
établir leur propre Etat. Le premier Congrès sioniste (1897)
entérine donc le principe de la « colonisation systématique de
la Palestine », à une époque où nationalisme sur une base
ethnique et colonialisme ont le vent en poupe.
C’est en novembre 1947 que l’ONU adopte le principe du « partage
de la Palestine » entre un Etat juif (55% du territoire) et un
Etat arabe (45%). Les Juifs représentent alors environ 1/3 de la
population. Les armées du nouvel Etat d’Israël vont conquérir
militairement nombre de régions théoriquement attribuées à
l’Etat arabe : en 1949, Israël contrôle 78% de la Palestine.
Afin que soit préservé le caractère juif de l’Etat, les
non-Juifs sont systématiquement expulsés : 80% des Palestiniens,
soit 800 000 d’entre eux, sont contraints à l’exil. Ils n’ont
jamais pu retourner sur leurs terres.
La Guerre de 1967 a été une « Guerre de 1948 ratée ». Si la
victoire militaire israélienne est incontestable et si Israël
contrôle 100% de la Palestine, cette fois-ci les Palestiniens ne
sont pas partis. Or Israël prétend être un Etat « juif et
démocratique » : attribuer des droits aux Palestiniens, c’est
renoncer au caractère juif de l’Etat ; ne pas leur en attribuer,
c’est renoncer à ses prétentions démocratiques. Allon propose
donc d’abandonner les zones palestiniennes les plus densément
peuplées en leur attribuant un semblant d’autonomie tout en
conservant le contrôle sur l’essentiel des territoires conquis :
quelques îlots palestiniens au milieu d’un océan israélien.
De la guerre des pierres à l’Intifada électorale
C’est la philosophie du Plan Allon qui guide les gouvernements
israéliens dans les années 70 et 80, même s’ils repoussent
autant que possible le moment où ils accorderont quelques droits
aux Palestiniens. La 1ère Intifada (qui survient fin
1987), soulèvement massif et prolongé de la population de
Cisjordanie et de Gaza, change la donne. Au tournant des années
90 la question palestinienne est un facteur d’instabilité au
Moyen-Orient, zone stratégique sur laquelle les Etats-Unis
veulent assurer leur emprise après la chute de l’URSS.
L’administration US contraint Israël à négocier : ce sont les
Accords d’Oslo, qui « offrent » aux Palestiniens… un semblant
d’autonomie sur les zones les plus densément peuplées.
Ytzak Rabin, souvent présenté comme « celui par lequel la paix
aurait pu arriver », était très clair : « L’Etat d’Israël
intégrera la plus grande partie de la Terre d’Israël à l’époque
du mandat britannique, avec à ses côtés une entité palestinienne
qui sera un foyer pour la majorité des Palestiniens vivant en
Cisjordanie et à Gaza. Nous voulons que cette entité soit moins
qu’un Etat et qu’elle administre, de manière indépendante, la
vie des Palestiniens qui seront sous son autorité. Les
frontières de l’Etat d’Israël (…) seront au-delà des lignes qui
existaient avant la Guerre des 6 jours. Nous ne reviendrons pas
aux lignes du 4 juin 1967 »
. Il ajoutait
plus loin qu’Israël annexerait la majorité des colonies et
conserverait la souveraineté sur Jérusalem, sa « capitale une et
indivisible », et sur la Vallée du Jourdain.
La population palestinienne constate rapidement qu’Israël n’a
pas l’intention de renoncer à contrôler la quasi-totalité de la
Palestine : la colonisation s’accélère, les expulsions se
multiplient et les Palestiniens sont de plus en plus cantonnés
dans des zones encerclées par l’armée et les colonies. Tandis
que la situation de la population se dégrade, une minorité de
privilégiés, membres ou proches de la direction de la nouvelle
Autorité Palestinienne, s’enrichit considérablement et coopère
avec Israël de manière ostensible dans les domaines sécuritaire
et économique : en septembre 2000, les Palestiniens se soulèvent
de nouveau.
La
« 2ème Intifada » est écrasée par Israël, qui va en
outre marginaliser Yasser Arafat, considéré comme trop réticent
à signer un accord de reddition définitive. Israël et les
Etats-Unis favorisent l’ascension de Mahmoud Abbas (Abu Mazen)
qui participera, par exemple, à un sommet avec Bush et Sharon,
en juin 2003, alors qu’Arafat est enfermé à Ramallah. A la mort
du vieux leader, Abu Mazen sera mal élu Président de l’Autorité
Palestinienne en janvier 2005 (participation relativement
faible, pas de candidat du Hamas). Abu Mazen ayant besoin d’une
légitimité parlementaire pour faire accepter un accord avec
Israël, des élections législatives sont organisées en janvier
2006. La victoire du Hamas est sans appel : par son vote, la
population a clairement signifié son refus de toute capitulation
et sa volonté de continuer à lutter.
La fin de la parenthèse d’Oslo
La victoire du Hamas a révélé le caractère totalement irréaliste
du « projet Oslo », entendu comme la possibilité de régler la
question palestinienne par la constitution de cantons
administrés par un gouvernement indigène qui serait à la fois
conciliant avec Israël, légitime et stable. Mais la « communauté
internationale » n’a rien voulu entendre : boycott du
gouvernement Hamas, soutien au blocus israélien sur Gaza,
reconnaissance du « gouvernement d’urgence » nommé par Abu Mazen
en Cisjordanie… Les Etats-Unis et l’Union Européenne continuent
à agir comme si un « retour à Oslo » était possible et
souhaitable.
Or, comme on l’a vu, c’est précisément le « Processus de paix »
qui a débouché sur la « deuxième Intifada » et sur la prise du
pouvoir par le Hamas, alors seule organisation capable d’allier
à la fois soutien matériel à la population, critique du
processus négocié et poursuite de la résistance à Israël.
Lorsque certains parlent d’un indispensable « retour à la
situation d’avant septembre 2000 », on a envie de leur demander
si ce n’est pas précisément « la situation d’avant septembre
2000 » qui a provoqué… le soulèvement de septembre 2000 !
Les tergiversations et gesticulations diplomatiques à l’œuvre
traduisent en réalité un constat d’échec. Chacun prend
progressivement conscience de la fin de la parenthèse d’Oslo, et
tandis que certains s’acharnent aveuglément à vouloir
ressusciter un cadavre, d’autres cherchent des solutions
alternatives : de la proclamation d’un Etat palestinien sans
frontières à une administration jordanienne des cantons
palestiniens, en passant par l’envoi de troupes de l’ONU à Gaza,
les idées fusent, même les plus fantaisistes. Cet empressement à
« trouver une solution » résulte en réalité d’une compréhension,
même partielle, des deux logiques réellement à l’œuvre sur le
terrain : le renforcement de l’emprise israélienne sur la
Cisjordanie et Jérusalem, via notamment l’intégration de plus en
plus forte de l’Autorité palestinienne à l’appareil d’oppression
coloniale ; la remobilisation de la population palestinienne et
le développement du mouvement de solidarité internationale.
Le renforcement de l’emprise israélienne
Parlons de Jérusalem, tout d’abord. L’attention se focalise
depuis quelques jours sur un appel d’offre pour la construction
de 238 nouveaux logements. Et alors ? Oubliés, les 200 000
colons qui vivent à Jérusalem et dans sa périphérie ? Oubliées,
les dizaines d’expulsions et de démolitions de maisons
palestiniennes au cours de ces derniers mois ? Les 238 nouveaux
logements ne sont pas un accident, ils s’inscrivent dans une
logique assumée depuis 1967 : la judaïsation de Jérusalem et son
isolement du reste des territoires palestiniens, pour contrer
toute revendication de souveraineté palestinienne sur la ville.
Parlons, ensuite, de la Cisjordanie, dont on nous vante le
« développement économique ». Si l’afflux des aides
internationales a permis à l’Autorité Palestinienne de Ramallah
de payer les fonctionnaires, il est très audacieux de parler
d’une reprise économique réelle et d’une amélioration
substantielle et durable des conditions de vie de la population.
Le PIB palestinien a globalement augmenté en 2009 mais demeure
inférieur de 35% à celui de 1999. En outre, cette augmentation
globale dissimule des disparités flagrantes : le secteur du
bâtiment a certes progressé de 24%, mais la production agricole
est en chute de 17%...
De plus le contrôle israélien sur la Cisjordanie n’a pas été
remis en cause : « L’appareil de contrôle est devenu de plus en
plus sophistiqué et efficace quant à sa capacité à affecter tous
les aspects de la vie des Palestiniens (…). L’appareil de
contrôle comprend un système de permis, des obstacles physiques
(…), des routes interdites, des interdictions d’entrée dans de
vastes parties de la Cisjordanie (…). Il a transformé la
Cisjordanie en un ensemble fragmenté d’enclaves économiques et
sociales isolées les unes des autres »
. C’est la
Banque Mondiale qui le dit, dans un rapport de février 2010.
En outre, même durant les 10 mois de « gel temporaire » de la
colonisation en novembre dernier, Israël a autorisé la mise en
chantier de 3600 logements, poursuivant une politique qui a vu,
l’an passé, le nombre de colons installés en Cisjordanie
augmenter de 4.9% tandis que l’ensemble de la population
israélienne ne croissait que de 1.8%. Last but not least,
le 3 mars dernier Netanyahu déclarait que même en cas d’accord
avec les Palestiniens, il était exclu qu’Israël renonce à son
contrôle sur la vallée du Jourdain…
Parlons de Gaza, enfin. Sous blocus, les Gazaouis vivent une
catastrophe économique et sociale sans précédent. En l’espace de
2 ans, 95% des entreprises ont fermé et 98% des emplois du
secteur privé ont été détruits. La liste des produits qui ont
été ou sont encore interdits à l’importation est un catalogue à
la Prévert : livres, thé, café, allumettes, bougies, semoule,
crayons, chaussures, matelas, draps, tasses, instruments de
musique… L’interdiction d’importer du ciment et des produits
chimiques empêche la reconstruction des infrastructures
détruites lors des bombardements de 2008-2009, qu’il s’agisse
des maisons ou des stations d’épuration, avec les conséquences
sanitaires que l’on imagine. Même si une
« économie des tunnels
» s'est développée, qui permet aux Gazaouis de survivre et de se
procurer un certain nombre de marchandises essentielles, les
conséquences du blocus israélien sur la vie quotidienne
des habitants de Gaza sont désastreuses, comme l'indiquent les
divers rapports des ONG et des Nations Unies.
Dans de telles conditions, il n’est pas surprenant que la
mobilisation palestinienne reprenne (développement des
structures de « résistance populaire » dans de nombreux
villages, manifestations contre le mur et la colonisation…) et
que la majorité des Palestiniens ne se fassent aucune illusion
sur la « reprise des négociations ».
II) L’Autorité palestinienne « version Fayyad »
Un plan « Silence contre nourriture »
Le
renforcement de l’emprise israélienne sur les territoires
palestiniens ne peut être compris si l’on ne s’arrête pas sur le
rôle joué par l’Autorité palestinienne de Ramallah, dirigée par
le Président Mahmoud Abbas et le Premier Ministre Salam Fayyad.
En juin 2007, suite à l’échec de la tentative de coup d’Etat
conduite à Gaza par le député du Fatah Mohammad Dahlan
, le Président
Abu Mazen décrétait l’état d’urgence et nommait, en lieu et
place du gouvernement dominé par le Hamas, un nouveau cabinet
dirigé par Salam Fayyad. La liste de ce dernier n’avait pourtant
obtenu que 2 sièges sur 132 lors des élections législatives de
janvier 2006. Mais Fayyad, ancien haut fonctionnaire à la Banque
Mondiale et au Fonds Monétaire International, était le Premier
Ministre voulu par les Etats-Unis et l’Union Européenne. Le
chantage aux aides financières, suspendues depuis l’élection du
Hamas, a eu raison des timides réserves d’Abu Mazen quant à ce «
choix ».
Fayyad est donc entré en fonction à la mi-juin 2007 et a
entrepris de conduire une série de réformes dans les territoires
palestiniens de Cisjordanie. Trois ans plus tard, il est assez
aisé de comprendre quel est le rôle qui a été assigné à Fayyad :
désarmer la résistance et déplacer le centre de gravité de la
question palestinienne du politique vers l’économique, en
normalisant les relations avec Israël. Il s’est agi d’imposer ce
que j’appelle un plan « silence contre nourriture »
, dont
l’objectif est de stabiliser les territoires de Cisjordanie en
tentant d'améliorer sensiblement les conditions de vie d'une
partie de la population et en réprimant les opposants sans pour
autant satisfaire les revendications nationales des
Palestiniens.
La « paix économique »
?
L’année 2007 semble avoir marqué un changement dans la gestion
de la question palestinienne. La rhétorique de la « paix
économique » entre Israël et les Palestiniens domine, tant chez
Tony Blair (envoyé spécial du « Quartet pour le Proche-Orient »)
que chez Salam Fayyad (Premier Ministre palestinien) et ses
homologues israéliens (Ehud Olmert puis Benyamin Netanyahu).
La philosophie générale de la doctrine de la « paix économique »
est la suivante : le préalable à tout règlement négocié du
conflit entre Israël et les Palestiniens est une amélioration
significative des conditions économiques dans lesquelles
évoluent ces derniers ; la priorité doit donc être mise sur des
mesures israéliennes permettant un meilleur développement
économique dans les territoires palestiniens et sur un
renforcement du soutien des pays donateurs à l’économie
palestinienne.
La doctrine de la « paix économique » participe d’un changement
de paradigme dans la gestion de la question palestinienne : il
s’agit de considérer les Palestiniens comme des individus
cherchant à satisfaire des besoins et non comme un peuple
revendiquant des droits nationaux collectifs. Pour Fayyad et ses
soutiens étrangers, il s’est agi non pas tant de rompre avec la
« politique économique » de l’AP durant les années Oslo que de
la mettre en avant, de la promouvoir et même de la survaloriser,
en la présentant comme étant la clé de tout règlement postérieur
du conflit opposant Israël aux Palestiniens.
Rompant avec certaines pratiques antérieures, le Gouvernement
Fayyad a de toute évidence « clarifié » les comptes de l’AP et
mis un coup d’arrêt à certaines pratiques clientélistes. Mais
les logiques à l’œuvre depuis Oslo se sont néanmoins
poursuivies. La « nouvelle politique économique » de Fayyad
ressemble beaucoup à celle de l’AP des années 90-2000 : faveurs
accordées aux investissements étrangers au détriment des
entrepreneurs locaux (avec notamment des exonérations d’impôts),
développement des secteurs les plus rentables (commerces,
appartements et hôtels de luxe à Ramallah, nouvelles lignes de
téléphonie mobile…) et priorité renforcée, dans le budget de
l’AP, au secteur de la Sécurité : pour l’exercice 2008-2009, le
programme « Transformation et Réforme du Secteur de la
Sécurité » possédait un budget équivalent aux budgets cumulés
des Programmes « Accès à l’Education » et « Amélioration de la
Qualité des Services de Santé » (en chiffre bruts, de décembre
2008 à juin 2009, 1325 postes ont été créés dans la Sécurité et
94 postes supprimés dans la Santé)
.
La croissance économique palestinienne annoncée en 2009 est, si
l’on analyse de près les données disponibles, un trompe-l’œil.
Derrière les chiffres apparemment flatteurs (+6.8%) se
dissimulent de nombreuses disparités qui s’inscrivent dans les
logiques énoncées plus haut : les secteurs qui tirent la
croissance à la hausse sont la construction (+22%) et les
emplois de services (+11%), alors que la production industrielle
augmente faiblement et que la production agricole est en
baisse ; les montants investis dans les projets de développement
économique (400 millions de dollars) sont très inférieurs à ce
qui avait été prévu par le gouvernement Fayyad (1.2 milliards de
dollars) ; les disparités entre enclaves économiques sont
importantes, notamment entre la Cisjordanie et Gaza, mais aussi
entre quelques villes dynamiques (Ramallah, Béthléem) et le
reste de la Cisjordanie ; Israël contrôle toujours sévèrement
les importations et les exportations palestiniennes ; qui plus
est, le déficit budgétaire est considérable (1.59 milliards de
dollars, soit 26% du PNB) et maintient l’AP dans une dépendance
économique totale vis-à-vis des pays donateurs ; enfin, même si
le chômage est en baisse en Cisjordanie, entre la moitié et les
2/3 des foyers palestiniens vivent aujourd’hui sous le seuil de
pauvreté
.
L’apparente prospérité actuelle ne correspond pas à une
émancipation économique réelle vis-à-vis d’Israël ou des pays
donateurs. L’économie palestinienne demeure une économie
subordonnée et dépendante des décisions israéliennes, des
exigences des bailleurs de fonds et des projets d’investisseurs
qui, prenant au mot le slogan de la Palestine Investment
Conference organisée en 2008 avec le soutien du gouvernement
Fayyad (« You can do business in Palestine »
) développent
une forme d’ « économie-casino » : peu préoccupés par un
développement réel, local et à long terme, ils espèrent
remporter rapidement beaucoup plus que leur mise tout en sachant
que les risques de tout perdre sont très élevés. Tout indique en
réalité que les thuriféraires de la « paix économique »
apprendront tôt ou tard, à leurs dépends, que la population des
territoires occupés n’est pas prête à monnayer ses droits contre
une « embellie économique » relative, temporaire et
structurellement artificielle, et qui ne bénéficie, en réalité,
qu’à une minorité de la population. D’où le second volet de la
politique de Fayyad : la répression.
La reconstruction de l’appareil sécuritaire
Durant l’ère Arafat, le rôle ambigu des forces de sécurité
(maintien de l’ordre et coopération avec Israël d’un côté,
participation, à partir de septembre 2000, à des opérations
armées contre Israël de l’autre), exprimait l’une des
contradictions fondamentales du processus d’Oslo : « Depuis les
Accords d’Oslo et l’émergence de l’Autorité palestinienne (…),
le dilemme stratégique palestinien fondamental a été celui de la
réconciliation entre les revendications de libération nationale,
de résistance à l’occupation et les pré-requis du
state-building (…). L’Autorité palestinienne fait face à
deux exigences contradictoires. On attend d’elle qu’elle impose
la force de la loi, qu’elle empêche toute manifestation armée
non-officielle. [Mais] dans le même temps (…) elle est sensée
soutenir la cause nationale palestinienne, y compris le droit à
la résistance »
.
Avec le tandem Abbas-Fayyad, les ambigüités sont levées. Les
deux documents programmatiques élaborés par l’Autorité
palestinienne à partir de juin 2007 sont à cet égard très
éloquents.
Le 1er d’entre eux, le Palestinian Reform and
Development Plan (PRDP)
, a été
présenté à Paris lors de la Conférence des pays donateurs en
décembre 2007. Il a de toute évidence satisfait les pays
occidentaux qui ont promis à Salam Fayyad une enveloppe de 7.7
milliards de dollars, alors que l’AP n’en réclamait « que » 5.6.
Soit une rallonge de… 37.5%. Plutôt rare. Dans sa version
finale, le PRDP comporte 148 pages. Le mot « résistance » n’y
apparaît pas une seule fois. Le mot « sécurité » revient à… 155
reprises.
Le
second document programmatique date d’août 2009 et est intitulé
« Palestine : en finir avec l’occupation, établir l’Etat »
. Il est plus
connu sous le nom de « Plan Fayyad ». Le Premier Ministre y
expose sa vision de la construction de l’Etat palestinien par
une politique de « Facts on the ground » : il s’agit de
construire les infrastructures du futur Etat malgré
l’occupation, dans la perspective d’une déclaration
d’indépendance en 2011. Fayyad opère donc un renversement
majeur : c’est le processus de stade-building qui permettra de
mettre un terme à l’occupation, et non la fin de l’occupation
qui permettra de construire un Etat. Si l’on réalise, dans ce
document, le même décompte que dans le PRDP, le résultat est
quasiment le même : en 37 pages, il y a 38 occurrences du terme
« sécurité » ; le mot « résistance » apparaît une fois, dans une
phrase qui indique que le gouvernement apportera son soutien aux
initiatives non-violentes contre la construction du mur.
L’équilibre général des deux documents est à l’image de ces
éléments quantitatifs : Fayyad assume et revendique son statut
de « technocrate », lui qui n’est pas issu du sérail de l’OLP ;
aux côtés du « développement économique », la refonte des
services de sécurité est l’une de ses deux priorités. « Le
gouvernement mènera à son terme la restructuration des agences
de sécurité (…). Il fournira un entrainement durable, des
équipements et des infrastructures pour permettre au secteur de
la sécurité d’améliorer ses performances. Afin d’atteindre les
plus hauts standards professionnels, le Gouvernement rendra
responsables les agences de sécurité en promouvant la séparation
des pouvoirs et en développement des mécanismes et des organes
de supervision »
.
La reconstruction de l’appareil de sécurité s’est faite selon 4
lignes directrices :
- Une réforme des services de sécurité, avec notamment le départ
en retraite et le remplacement de plusieurs de leurs
responsables par des individus réputés proches des Etats-Unis
(ainsi, en 2008, Hazem Atallah est nommé responsable des forces
de Police en Cisjordanie, à la place de Kamal Sheikh, membre du
Fatah mais jugé trop conciliant à l’égard du Hamas).
- Un renforcement de ces services, qui passe par la formation,
dans des camps d’entraînement en Jordanie, de milliers de
nouvelles recrues, sous supervision états-unienne.
- De spectaculaires opérations de « rétablissement de l’ordre »
au cours de l’année 2008, impliquant un nombre élevé de
policiers et militaires, notamment à Naplouse, Jénine et Hébron.
- La multiplication des arrestations de membres ou de
sympathisants du Hamas et, dans une moindre mesure, des
organisations de gauche et des comités populaires.
C’est l’articulation de ces quatre points qui donne toute sa
cohérence à la politique sécuritaire d’Abu Mazen et Salam
Fayyad. La plupart des nouveaux responsables (nationaux et
locaux) des services de sécurité n’ont pas de passé de
dirigeants de l'Intifada ou dans les groupes armés du Fatah. Ce
sont des « professionnels de la sécurité », particulièrement
zélés, qui ne s’encombrent guère de considérations politiques.
De même, les nouvelles recrues entraînées en Jordanie ont été
choisies prioritairement parmi les couches les plus pauvres, les
moins éduquées et les moins politisées de la population
palestinienne, pas parmi les militants du Fatah. Ils sont plus
enclins à obéir aux ordres, y compris lorsqu’il s’est agi de
désarmer les membres du Hamas, du Jihad ou des Brigades al-Aqsa,
issues du Fatah, avec qui ils n’ont pas de passé militant
commun.
L’Autorité palestinienne a su exploiter la situation de chaos
sécuritaire qui régnait dans certaines villes de Cisjordanie
depuis le démantèlement par Israël des forces de sécurité
palestiniennes au cours des années 2002-2003. A Naplouse et
Jénine, les bandes armées s’étaient multipliées, qui
rançonnaient les commerçants, volaient des voitures ou offraient
leurs services à qui avait besoin de mercenaires pour effectuer
telle ou telle basse besogne. L’AP a affirmé que c’était
uniquement pour mettre fin à cette situation chaotique que les
opérations de « rétablissement de l’ordre » étaient menées. Le
déploiement massif de centaines d’hommes armés a effectivement
mis un terme aux activités des gangs.
Mais le désarmement des derniers groupes de résistants, second
objectif de ces opérations coordonnées avec Israël et des
conseillers états-uniens, n’est pas allé sans entraîner une
série d’incidents : à Naplouse comme à Jénine, de violents
affrontements ont opposé forces de sécurité et militants de
Brigades al-Aqsa ou du Jihad. Il y a eu des blessés, des morts,
y compris parmi les passants qui ont essuyé les tirs de jeunes
recrues visiblement mal entraînées par les Jordaniens.
Ces incidents ont marqué la fin de la période, ouverte en
octobre 2000, de résistance armée en Cisjordanie. Ils ont en
effet été le dernier signe de refus, par les combattants
eux-mêmes, de la politique de désarmement initiée par l’AP, qui
a conduit plusieurs centaines de membres des Brigades al-Aqsa
(dont, en 2008, 250 pour le seul district de Naplouse) à
publiquement renoncer à la lutte armée en échange d’une amnistie
de la part d’Israël, et des centaines de membres du Hamas à
déposer les armes sous la pression des forces de sécurité. Il
est difficile d’obtenir des estimations fiables tant les
chiffres varient selon les sources, mais on peut cependant
établir que ce sont près de 2000 membres ou sympathisants du
Hamas qui sont passés par les prisons de l’AP au cours des deux
dernières années.
Il est en outre important de signaler ici qu’il y a eu
relativement peu d’incidents armés au cours des interpellations
des militants du Hamas, contrairement à ce qui s’est passé avec
le Jihad et parfois même les Brigades, ce qui semble confirmer
que le Hamas a décidé d’éviter un affrontement avec l’AP en
Cisjordanie et une inutile bataille pour des « zones autonomes »
en réalité contrôlées par Israël. Le Hamas semble se contenter
en réalité de « gérer » la Bande de Gaza
.
En résumé, la reconstruction de l’appareil sécuritaire sous le
gouvernement Fayyad est l’expression d’une nouvelle « phase » de
l’Autorité palestinienne : les ambiguïtés qui existaient sous
Arafat ont été définitivement levées : véritables supplétifs des
forces d’occupation israéliennes, les services de sécurité
palestiniens obtiennent même la reconnaissance des autorités
coloniales. C’est le Général états-unien Keith Dayton, grand
architecte de la refonte des services de sécurité palestiniens,
qui le dit :
« Je ne sais pas combien d’entre vous le savent, mais au cours
de l’année et demie qui vient de s’écouler, les Palestiniens se
sont engagés dans (…) ce qu’ils appellent des offensives de
sécurité dans toute la Cisjordanie, étonnamment bien coordonnées
avec l’armée israélienne, dans un effort sérieux et soutenu
visant au retour de la loi et de l’ordre (…) et au
rétablissement de l’autorité de l’Autorité palestinienne. Tout
d’abord à Naplouse, puis à Jénine, Hébron et Béthléem, ils ont
attiré l’attention de l’establishment militaire israélien grâce
à leur dévouement, leur discipline, leur motivation et leurs
résultats »
.
C’est en tenant compte de l’ensemble de ces éléments qu’il est
possible de s’interroger sur l’avenir du mouvement national.
Dans la partie qui suit, il s’agira davantage d’avancer des
hypothèses que d’apporter des réponses qui se voudraient
prophétiques alors que c’est l’instabilité et l’incertitude qui
caractérisent la période actuelle..
III) Quel avenir pour le
mouvement national ?
Le Fatah
Les
Accords d’Oslo et la constitution de l’AP ont été une rupture
majeure pour le mouvement national palestinien, réduisant la
question palestinienne à celle des Palestiniens de Cisjordanie
et de Gaza et fixant comme principales tâches au Fatah la
construction d’un appareil d’Etat sans Etat et la coopération,
parfois à marche forcée, avec Israël, afin d’obtenir davantage
dans le cadre du processus négocié, au détriment de la lutte
quotidienne contre l’occupation et pour le retour des réfugiés.
Ce sont ces dynamiques qui ont été enregistrées lors du dernier
Congrès du Fatah (août 2009), qui a davantage joué un rôle de
révélateur que donné le signal d’un nouveau départ. Les
militants du Fatah, acteurs de la lutte de libération, sont très
minoritaires au sein de la nouvelle direction. La majorité du
Comité Central du mouvement, élu en 2009, se compose en réalité
de purs produits des « années Oslo » et de l’appareil de l’AP,
quand bien même ils auraient un passé militant : Ministres,
anciens Ministres, anciens Conseillers d’Arafat, Conseillers
d’Abu Mazen, ex-responsables des forces de sécurité,
« négociateurs », hauts fonctionnaires… Tout le panel du
« personnel politique d’Oslo » est là.
Qui plus est, la forte présence de représentants du secteur
économique et du secteur sécuritaire est à l’image de la
politique de l’AP depuis sa prise en main par le duo Abbas-Fayyad.
D’autres éléments confirment cette tendance : quasi-disparition,
au CC, des représentants des Palestiniens de l’extérieur, sur
lesquels l’AP n’exerce aucune juridiction (un seul élu, Sultan
Abu al-Aynayn, dirigeant du Fatah au Liban) et des Palestiniens
de la Bande de Gaza, que l’AP a « perdue » en juin 2007 ;
non-élection (remarquée) d’Hussam Khadr, figure respectée du
Fatah, connu pour ses activités militantes et ses critiques de
la politique de l’AP ; « recomptage » de dernière minute qui a
permis à at-Tayyib Abdul Rahim, adjoint du Président Abbas, de
« gagner » 26 voix et d’être finalement élu au CC alors qu’il
était au départ donné battu…
Passé de mouvement de libération nationale à principal acteur de
la construction d’un appareil d’Etat sous occupation, le Fatah
n’est désormais même plus une organisation politique pouvant
prétendre représenter de manière cohérente le peuple
palestinien. Le Congrès de Béthléem, en août 2009, a sanctionné
cet état de fait, même si l’organisation compte encore en son
sein nombre de militants et de cadres honnêtes et sincères : le
Fatah est un conglomérat de baronnies locales et de réseaux
clientélistes, quasi-mafieux, sous la coupe d’un pouvoir non-élu
qui n’hésite pas à censurer l’information, à traquer, enfermer,
voire assassiner ses opposants, quand il ne les livre pas à
Israël au cours d’opérations conjointes.
La gauche dans les années Oslo
Avec les accords d’Oslo, les Israéliens et les Américains ont
réussi à marginaliser l’OLP au profit de l’AP. Ainsi l’OLP, qui
représentait les Palestiniens vivant dans les territoires
occupés et les Palestiniens de la Diaspora, est devenue une
référence sans rôle politique et sans rôle décisionnel, lesquels
ont été confisqués par Arafat et le petit groupe de fidèles
issus ou non de l’OLP qui ont constitué l’Autorité
palestinienne.
Le programme politique de l’AP a été fixé par les accords
d’Oslo : négocier avec Israël (et on promettait au peuple
palestinien que ceci mènerait à un État indépendant dont
Jérusalem serait la capitale), assurer la sécurité de l’État
d’Israël contre toute attaque d’origine palestinienne et assumer
les responsabilités de la gestion de la vie quotidienne des
Palestiniens des zones autonomes.
Les groupes politiques de la gauche palestinienne, opposés au
processus d’Oslo, ont rapidement considéré qu’Oslo « était un
fait et qu’il fallait faire avec ». Ils appartenaient à l’OLP et
ont justifié leur attitude par leur volonté de ne pas se couper
du processus dirigé par l’AP. Le FPLP, le FDLP et le PPP n’ont
pas tardé à réintégrer le jeu politique structuré par l’AP.
Aujourd’hui encore, des membres du FDLP et du PPP sont membres
du Gouvernement Fayyad, que le FPLP a pour sa part refusé de
rejoindre…
La faiblesse des organisations de la gauche palestinienne est
constatée dans tous les sondages et lors des scrutins et ceci
recoupe les observations que l’on peut faire sur le terrain :
faiblesse des cortèges organisés, absence d’apparition publique
, absence de
diffusion d’une presse militante. Difficile à croire, lorsque
l'on connaît l'histoire de ces mouvements : ces partis existent
désormais principalement, notamment en Cisjordanie, par la
diffusion de communiqués et par leurs sites Web.
Comment expliquer cette dégradation de la situation pour des
organisations qui avaient connu un essor réel au cours de la
première Intifada ? Les attentes du peuple palestinien n’ont pas
été modifiées par Oslo. A leurs demandes antérieures s’est
ajoutée celle d’améliorer les performances de l’AP dans les
zones autonomes, marquées par la corruption et l’incompétence.
Mettre un terme à cette situation est devenu essentiel. Mais ces
problèmes n’ont guère préoccupé les courants politiques de
gauche. Seules quelques personnalités ont tenté de le dire, mais
elles étaient coupées de toute organisation collective et ont
été facilement contrées par l’AP, telles celles qui ont signé
l’appel des 20 (contre la corruption et les capitulations de
l’AP), fin 1999, parmi lesquelles plusieurs ont alors été
arrêtées sur ordre d’Arafat.
De l’aveu même de leurs dirigeants, il s’est donc creusé un
fossé considérable entre le Peuple palestinien et les
organisations politiques de la gauche palestinienne. Les
directions des partis politiques n’ont agi en fait qu’en
réaction aux initiatives de l’AP et d’Arafat. On peut mesurer
cette distanciation des liens avec les préoccupations populaires
au travers de la pratique que ces organisations ont partagée
avec l’AP dans la construction et l’administration
bureaucratiques des mouvements de masse.
Les mouvements « de masse »
Prenons le cas des syndicats dont le plus important est la
Fédération Générale Palestinienne des syndicats (PGFTU). C’est
un syndicat unifié. Après Oslo l’unification s’est faite en
imposant des quotas de représentation des quatre principaux
courants politiques nationaux : le Fatah, le FPLP, le FDLP et le
PPP. Du niveau national à celui des branches professionnelles et
des districts territoriaux la répartition des rôles a respecté
ces quotas. A tous les niveaux les secrétaires généraux
appartiennent au Fatah, les autres devant se contenter de
participer aux instances de direction désignées. Le Fatah est en
situation dominante pendant que les autres courants, et
notamment le PPP qui avait une tradition de syndicalisme, ont vu
leur influence considérablement décroître depuis cette
« unification » au sommet.
La PGFTU est donc entièrement sous l'autorité du Fatah. Par leur
présence issue d’un compromis bureaucratique, les autres
organisations de l'OLP légitiment ce dispositif. Le processus
démocratique au sein du syndicat est inexistant, ni élections ni
programmes susceptibles d’augmenter la participation des
travailleurs. Au demeurant l’activité du syndicat se limite en
général à régler des situations individuelles de conflit entre
patrons et salariés.
La situation du mouvement de défense des droits des femmes est
tout aussi instructive. La Palestinian Women General Federation
a été formée après Oslo. Elle est le résultat de la cooptation
de tous les comités de femmes appartenant aux différentes
organisations politiques, avec bien peu de liens avec les femmes
palestiniennes confrontées aux inégalités dans tous les domaines
de la société. D’autres organisations de femmes se sont
reconverties en ONG, acceptant ainsi de devenir des
organisations rendant des services aux femmes de la communauté
palestinienne. Ceci s’est fait en conformité avec des programmes
décidés par les financeurs étrangers qui ont transformé les
organisations en prestataires de services et les femmes en
bénéficiaires passives, creusant l’écart entre la masse des
femmes et la direction cooptée du mouvement.
De même le rôle du mouvement étudiant s’est-il considérablement
affaibli. Alors qu’il fut une véritable pépinière de cadres
politiques notamment dans les années 1980, qu’il pesait dans les
orientations politiques des différents partis parce qu’il jouait
un rôle important dans la lutte contre l’occupation, il n’est
plus désormais que le reflet des rapports de forces entre les
différentes fractions politiques.
Telle est la réalité des « organisations de masse » en
Palestine, une faiblesse due d’une part à leur dépendance à
l’égard des partis politiques en tant que structures cooptées et
d’autre part leur dépendance à l’égard de l’AP et des donateurs
étrangers qui ont versé des millions de dollars de subventions
pour créer un ensemble passif de bénéficiaires dépendant
d’avantages consentis et non un mouvement d’acteurs de leur
lutte pour leurs droits.
Du fait de l’absence de développement d’organisations de masse
véritables les forces politiques ont réduit leur action à un
activisme social s’efforçant de répondre à des demandes d’aide
face aux problèmes du quotidien, désertant le terrain de la
lutte politique et laissant à une Autorité corrompue le soin
d’enfermer le combat national dans l’impasse des négociations
sans fin avec Israël.
Il ne s’agit évidemment pas ici de porter des jugements de
valeur sur la politique conduite par les organisations de
gauche. La plupart des réflexions qui précèdent sont issues de
discussions avec des militants et des dirigeants de ces
organisations, qui sont de plus en plus nombreux à opérer un
retour critique sur les années Oslo, même si ces critiques n’ont
pas encore eu de traduction organisationnelle.
Une reconstruction en cours ?
L’isolement
de la Bande de Gaza et la fragmentation de la Cisjordanie en
plusieurs dizaines d’entités territoriales séparées les unes des
autres par des points de contrôle israéliens réduisent
considérablement toute activité économique, sociale et
politique. Cela confronte tous ceux et toutes celles qui
souhaitent, d’une façon ou d’une autre, poursuivre la
résistance, à une difficulté majeure : non seulement les
situations varient selon les zones autonomes, mais surtout il
est de plus en plus difficile, dans ces conditions, de
développer un projet politique « national ». Difficulté
pour se déplacer, pour se réunir, pour mener des actions en
commun sur l’ensemble du territoire… Autant de facteurs qui
handicapent considérablement quiconque tente d’organiser une
résistance unifiée sur l’ensemble des territoires palestiniens.
La répression israélienne se poursuit : les incursions,
bombardements, assassinats extra-judiciaires… sont légion. Il y
a aujourd’hui en outre près de 12 000 détenus palestiniens dans
les prisons israéliennes, et malgré quelques médiatiques
libérations ce nombre ne cesse de s’accroître. A titre de
comparaison, rapporté au nombre d’habitants, c’est comme s’il y
avait en France 200 000 prisonniers politiques…
L’asphyxie économique conduit la quasi-totalité des habitants
des territoires palestiniens à se préoccuper davantage de leur
survie que de la lutte d’émancipation : le chômage endémique et
la hausse des prix (nombre de produits de première nécessité ont
vu leurs prix doubler en l’espace d’un an…) affectent l’ensemble
de la société palestinienne et ont pour une conséquence une
dichotomie de plus en plus importante entre problématiques du
quotidien et lutte de libération nationale, ainsi qu’une montée
des idéologies et des comportements individualistes.
Cette situation entraîne des dégâts psychologiques majeurs.
Prisonniers du quotidien, prisonniers dans leur « Zone autonome
», les Palestiniens ont de plus en plus de difficultés à se
projeter dans le temps et dans l’espace, ce qui a deux
conséquences majeures : un repli sur la ville, le village, le
camp, la famille… et l’impossibilité de penser des projets sur
le moyen ou le long terme. Des conditions qui pénalisent
grandement celles et ceux qui tentent de repenser un projet de
libération collectif qui implique nécessairement une vision
débarrassée des contingences du quotidien et de toute forme de
repli local et/ou familial.
La « Deuxième Intifada » est bien finie. Elle se solde par une
défaite majeure, sur le plan militaire, politique et
idéologique. Nombre de questions se posent de manière ouverte,
qui reposent, de fait, la question nationale palestinienne à la
lumière des événements de 1948 et de tout ce qui s'est passé
depuis, dans la société et chez nombre de militants et de forces
politiques. On pourrait résumer ces interrogations en 5
questions génériques même si le débat n’est pas organisé et
clairement formulé, mais plutôt diffus dans l’ensemble des
territoires palestiniens :
- Que signifie aujourd’hui la revendication de l’Etat
palestinien indépendant aux côtés d’Israël, même à titre
transitoire ? La Cisjordanie a été intégrée à Israël,
économiquement, politiquement, démographiquement. Dans ces
conditions quelle pertinence a la revendication de l’Etat
indépendant qui, pour Israël, n’a jamais signifié autre chose
que quelques cantons isolés, encerclés par des Murs, sans aucune
viabilité ?
- Quelle articulation entre résistance populaire, impliquant
l’ensemble de la société palestinienne, le mouvement syndical et
associatif, les forces politiques… et résistance armée ?
- Comment réunifier l’ensemble du peuple palestinien ? Le peuple
palestinien est en effet fortement divisé : Palestiniens
d’Israël (aujourd’hui 1.1 million), Palestiniens de Cisjordanie
et de Gaza (près de 4 millions), Palestiniens de Jérusalem (250
000) et Palestiniens exilés (plus de 6 millions).
- Quel cadre politique pour le Mouvement de libération nationale
? La division du mouvement affaiblit considérablement la lutte
et la constitution d’un cadre commun, au-delà de la vieille OLP,
posant la question de la résistance et du combat pour
l’émancipation, et pas celui de la gestion des Zones autonomes
allouées par Israël est, même si ce n’est qu’à un stade
relativement peu avancé, ouvertement posée.
- Quels liens développer avec le mouvement de solidarité
internationale, afin que cette solidarité soit politique et non
caritative, efficace et pas seulement symbolique ? Et comment,
notamment, faire reprendre à l’ensemble du mouvement de
solidarité le mot d’ordre le plus consensuel dans le mouvement
associatif, syndical et politique palestinien, celui du boycott
total (économique, politique, diplomatique, académique,
culturel…) d’Israël ?
En juin 2009, plusieurs militants et cadres de gauche ont
organisé une conférence internationale à Ramallah, affirmant
vouloir, au-delà des clivages traditionnels entre les
organisations de gauche, poser les bases d’une nouvelle gauche
palestinienne, nationaliste, démocratique et progressiste.
L’initiative a reçu un écho significatif, et plusieurs centaines
de personnes, issues des divers courant de la gauche et d’ONG
« non-corrompues » ont participé aux débats, lesquels étaient
traversés par les questions que je viens d’énoncer. Le front qui
devait se constituer, Tayyar, n’a pas encore vu le
jour, faute de moyens financiers, d’implantation locale et d’un
certain nombre de clarifications idéologiques. Mais cette
initiative indique les potentialités de la situation et la
disponibilité de nombreux militants palestiniens sincères à
refonder une gauche, tirant les bilans des échecs passés.
Le projet sioniste porte en lui la négation et donc la
destruction de la société et de l’identité palestiniennes. La
défaite de la « Deuxième Intifada », la faillite de l’AP, le
cours suivi par le Hamas… réduisent considérablement les marges
de manœuvre de ceux qui veulent encore résister, envers et
contre tout et tous. Autour, notamment, de militants ou
d’anciens militants du FPLP ou du Fatah, nombre d’initiatives
sont néanmoins prises, surtout dans les camps de réfugiés, dans
lesquels se trouvent ceux qui n’ont rien à gagner à une
« trêve » débouchant sur un accord partiel. Leur objectif est
double :
- Maintenir, coûte que coûte, les revendications essentielles du
peuple palestinien, et notamment celles du droit au retour des
réfugiés. Cela passe par l’organisation d’expositions, de
rencontres entre les plus jeunes et les anciens, autrefois
chassés par les milices sionistes, de manifestations de rue… qui
visent à transmettre l’héritage et à continuer de rendre visible
cette revendication.
-
Au-delà, il s’agit tout simplement de résister à l’entreprise
sioniste de sociocide
, en redonnant
son sens à l’action collective, en luttant contre les replis
individualistes, en maintenant et en reconstruisant l’esprit de
résistance dans une période de reflux : associations de femmes,
coopératives agricoles, syndicats indépendants de l’AP, comités
de familles de prisonniers, comités de village, centres
culturels dans les camps de réfugiés…
Il s’agit, souvent au-delà des clivages politiques, de pallier
la déroute de l’AP et des partis politiques, de sauver ce qui
reste à sauver de la société palestinienne et de reconstruire
ainsi, progressivement, l’esprit de résistance, mais aussi de
préparer les générations futures à la lutte.
Chacun sait en effet que, dans une société où plus de 50% de la
population a moins de 15 ans, la réalité aura rapidement raison
des promesses de lendemains qui chantent et que ce ne sont pas
les services de l’AP ou les forces de sécurité du Hamas qui
empêcheront une nouvelle génération de se soulever contre ses
oppresseurs, israéliens mais aussi, le cas échéant,
palestiniens.
Quand cela se produira-t-il ? Nul
ne peut le dire précisément. Mais il est certain que la
population n’attendra pas la refonte du mouvement national, de
son programme et de sa stratégie ou un accord entre les forces
palestiniennes pour se révolter à nouveau. C’est en revanche de
ces derniers facteurs, ainsi que du succès des initiatives
décrites plus haut, que dépendront, en grande partie, le visage
et l’issue de ce soulèvement.
Article à paraître dans Inprecor n°567 (novembre 2010).
Notes
Le mandat présidentiel de
Mahmoud Abbas s’est officiellement achevé en janvier
2009.
La liste conduite par
Fayyad n’avait obtenu que 2.4% des voix lors des
législatives de 2006. Les gouvernements qu’il dirige
depuis juin 2007 n’ont jamais obtenu le nécessaire vote
de confiance du Conseil Législatif Palestinien.
Il ne s’agit pas de
minimiser, bien au contraire, la place du Hamas. Cette
organisation reviendra régulièrement dans l’article.
Néanmoins, une étude des dynamiques internes au
mouvement islamique mériterait un article à part
entière.
Article de février 1994,
cité dans T. Reinhart, Détruire la Palestine,
éditions La Fabrique, 2002, p. 42.
Voir Gilbert
Achcar, « Le sionisme et la paix, du Plan Allon aux
Accords de Washington », dans Achcar, L'Orient
incandescent, le Moyen-Orient au miroir marxiste,
Lausanne, Editions Page deux, 2003.
Voir à ce sujet mon article
Comment les Etats-Unis
ont organisé une tentative de putsch contre le Hamas
ici.
Voir à ce sujet mon article
L’échec programmé du plan silence contre nourriture
ici.
Voir à ce sujet mon article
Les dynamiques économiques palestiniennes
ici
Palestinian Reform and
Devlopement Plan, disponible
ici
et Palestinian Central Bureau of Statistics, (PCBS).
D’après les chiffres du
Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS) et du
FMI.
Voir, à propos de la
Palestine Investment Conference, mes articles
Mahmoud Abbas et Salam Fayyad s’occupent de tout : « You
can do business in Palestine » (mai 2008) et
« Ils sont en train de vendre ce qui reste de la
Palestine » (mai 2008), disponibles
ici et
ici.
Voir
à ce sujet le long rapport de l’International Crisis
Group, Squaring the Circle : Palestinian Security
Reform under Occupation, (septembre 2010),
disponible
ici.
Hussein
Agha and Ahmad S. Khalidi, A Framework for A
Palestinian National Security Doctrine, Chatham
House, Londres, 2006, pp. 84-86.
Ending the occupation,
Establishing the State, disponible
ici.
Ibid, p.16.
La
situation de Gaza et du Hamas mériterait, comme je l’ai
indiqué plus haut, un article à part entière. On peut
cependant noter ici que le Hamas est dans une position
relativement contradictoire : courant politique qui
s’est construit et développé dans les années 90 et 2000
en rejet de l’AP et d’Oslo, il est aujourd’hui dans une
position de gestion de l’appareil de l’AP à Gaza qui
ressemble à s’y méprendre à la gestion antérieure de ce
même appareil par le Fatah (monopole sur les services de
sécurité, répression contre les oppositions,
développement du clientélisme…). On pourra ici se
référer utilement à Yezid Sayigh, Hamas Rule in Gaza
: 3 Years On, disponible
ici.
Discours
du Général Dayton au Washington Institute for Near East
Policy, 7 mai 2009, disponible
ici.
Je reprends ici une partie
des réflexions entamées, avec Pierre-Yves Salingue et
Ayshah Handal en septembre 2002 sous le titre
Palestine : Quel avenir pour le mouvement national de
libération ? Disponible
ici
Voir mon article
Congrès de Béthléem : la seconde mort du Fatah,
ici.
A l’exception notable de la
fête annuelle du FPLP à Gaza.
Voir
Saleh Abdel
Jawad, La politique israélienne envers le peuple
palestinien : Un sociocide, publié dans
Inprecor numéro 517, disponible
ici.
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