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Vineyardsaker

Interview de Jonathan Cook

The Vineyard of the Saker, 15 juillet 2007
http://vineyardsaker.blogspot.com/2007/07/saker-interviews-jonathan-cook-from.html

Je publie aujourd’hui la seconde interview de ma nouvelle série, “Saker interviews” (qui a débuté par celle du militant israélien de la paix, Ouri Avnery) avec Jonathan Cook, un journaliste britannique vivant en Palestine occupée et qui a récemment écrit un livre intitulé « Blood and Religion: The Unmasking of the Jewish and Democratic State » (Sang et religion : l’Etat juif et démocratique démasqué) publié par Pluto Press en Grande-Bretagne, en avril et aux Etats-Unis en Juillet 2006. Jonathan, journaliste freelance dont les articles ont été publiés dans le Guardian, le Monde Diplomatique, Counterpunch et bien d’autres médias, est le seul reporter occidental à avoir choisi de vivre parmi les Palestiniens et qui couvre la lutte palestinienne sans être tenu par des allégeances aux médias de groupes (pour plus d’information sur le travail de Jonathan, visitez son excellent site Internet).

Jonathan revient de la conférence « Israël-Palestine : un pays, un état » organisée par l’Université Complutense de Madrid sur l’avenir de la Palestine (et qui a adopté une résolution en forme d’appel dont le texte peut être lu ici). A son retour, Jonathan a aimablement accordé un peu de son temps pour répondre minutieusement à mes questions, ce dont je lui suis très reconnaissant.

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J’aimerais tout d’abord revenir sur la conférence à laquelle vous venez de participer. Quel était son objectif, son importance et quel impact en attendez-vous ?

Je n’ai aucune autorité pour parler au nom du groupe. Ce que j’en dirai devra dès lors être lu comme étant seulement mes impressions personnelles sur les débats. Dans les semaines à venir, je pense, nous publierons quelque chose dans le genre d’une déclaration de principes, qui donnera pour la première fois une voix collective au groupe.

Début juillet, quelque 16 professeurs d’université, journalistes et militants se sont réunis dans un endroit appelé Escurial, tout près de Madrid, pour réfléchir à des moyens de dresser le profil d’une solution à un Etat pour les Palestiniens et les Israéliens. Aucun d’entre nous n’est naïf quant à nos chances de faire raisonnablement entendre une telle proposition actuellement. Trop d’intérêts sont en jeu pour qu’Israël, les Etats-Unis et l’essentiel de la communauté internationale renoncent à accorder un soutien de façade à la solution officielle : deux Etats pour deux peuples. Nous sommes néanmoins tous conscients que quelqu'un se doit de faire remarquer que le cadavre de la solution à deux Etats est froid depuis longtemps et que tenter d’y insuffler la vie n’est que perte d’un temps précieux, un temps pendant lequel des Palestiniens se font tuer et nettoyer du peu qu’il reste de leur patrie.

L’importance de la réunion tient, pour autant que je sache, dans le fait que c’était la première fois que des Juifs israéliens et des Palestiniens se rencontraient dans un forum public pour discuter des manières possibles de partager le territoire de la Palestine historique. Ils ont exploré ensemble un nouveau paysage de possibilités politiques et c’était vraiment passionnant d’assister à cela. Le moment choisi était important également. Il est clair que des décennies de machinations américaines et israéliennes, et l’échec des Palestiniens à voir émerger quoi que ce soit de tangible après leur longue attente d’un Etat, ont commencé à saper l’unité palestinienne. Les combats dans Gaza sont un indice clair de la perte de direction politique au sein du leadership. Les Palestiniens ont besoin d’une nouvelle vision pour remplacer celle, compromise et corrompue, offerte par le Fatah, et celle, limitée et restrictive offerte par le Hamas. L’argument en faveur d’un seul Etat laïc et démocratique peut offrir aux Palestiniens une telle vision unifiante de leur futur et peut, à plus long terme, persuader un nombre croissant d’Israéliens que c’est là que se trouve aussi leur propre avenir dans la région.

Rien de ceci n’est en passe de se produire du jour au lendemain et la réunion de l’Escurial est simplement conçue comme la première de nombreuses autres visant à étendre notre compréhension des problèmes et à élargir notre base de soutien. Comme tout mouvement, il aura besoin de temps pour formuler les principales préoccupations d’une manière qui puisse attirer une audience plus large. L’espoir doit être que les Palestiniens voient rapidement qu’un seul Etat leur offre une issue à l’impasse politique dans laquelle la communauté internationale les a conduits et aussi que les militants comprennent qu’il offre une solution juste. Avec le temps, espérons-le, davantage d’Israéliens progressistes verront qu’un seul Etat est le seul moyen de garantir une solution équitable et pacifique pour les deux peuples. Cela devient alors une question d’intégration du débat sur la solution à un seul Etat dans une campagne plus large – peut-être de boycotts et de sanctions – pour mettre la pression sur Israël.

Quel était l’état d’esprit des participants à la conférence ? Qu’ont-ils entrevu comme probables futurs développements en Palestine ?

Je pense que je parlerais d’un état d’esprit sobre, sérieux – mais avec pourtant aussi l’excitation d’être occupé à faire avancer le débat. Nous avons tous mesuré l’énormité de la tâche qui était devant nous et l’urgence avec laquelle une avancée est nécessaire tant pour le bien des Palestiniens que des Israéliens.

Nous n’étions pas là pour faire des prédictions collectives sur les développements à venir en Palestine, au-delà de nos propres diagnostics. Ce qui est plus important, je pense, c’est que le groupe ait reconnu que le principal obstacle à la recherche d’une solution réalisable tenait dans la persistance d’Israël à se définir comme Etat juif. On oublie ou on méconnaît ce fait-là dans la plupart des discussions sur le conflit. Les observateurs tendent à supposer que l’identité juive d’Israël est une bonne chose qui a besoin d’être protégée. C’est une approche très étrange que l’on ne retrouve pas dans le traitement d’autres Etats ethniques récents : imagine-t-on l’Allemagne encouragée à nourrir une vision aryenne d’elle-même, ou l’Afrique du Sud une vision afrikaner ? De même, peut-on imaginer une Allemagne aryenne ou une Afrique du Sud blanche traitée comme un partenaire de négociation raisonnable ou équitable pour ceux qu’elle cherchait à exploiter ou à éradiquer ? C’est par essence le problème auquel sont confrontés les Palestiniens.

La première chose à faire dans la recherche d’une solution juste, c’est d’inclure la mauvaise foi d’Israël dans le processus de négociation, une mauvaise foi qui dérive de son besoin de protéger son fondement ethnique. Cela signifie que dans toute division possible du pays mise en avant par Israël, qu’elle soit négociée ou plus probablement imposée unilatéralement, le critère majeur sera démographique : comment conserver un nombre maximum de Juifs à l’intérieur de l’Etat juif et un maximum de non-juifs en dehors. En théorie du moins, cela pourrait entraîner une division du pays en deux Etats non dénuée de sens (même si ce ne serait pas une division équitable pour les Palestiniens), mais en pratique, cela n’arrivera pas pour deux raisons qui sont liées au besoin d’Israël de protéger son identité juive.

Tout d’abord, dans n’importe quelle division du pays, Israël sera confronté au très sérieux problème de savoir quoi faire du cinquième de sa population qui est palestinienne, une communauté qui croît beaucoup plus rapidement que la population juive. Les Palestiniens à l’intérieur d’Israël ont une forme de citoyenneté israélienne très dépréciée (par opposition à ceux des territoires occupés qui, bien sûr, n’ont pas de citoyenneté), mais de manière plus significative, il leur manque en Israël une nationalité porteuse de sens. C’est un fait peu connu que la nationalité israélienne – qu’Israël a, de manière insolite, séparée de l’idée de citoyenneté israélienne – n’existe pas légalement. Au lieu de quoi, les Israéliens sont classés selon plus de 130 nationalités différentes, comprenant une nationalité « juive » ou « arabe ». Cela prend sens lorsqu’on comprend qu’Israël se considère comme l’Etat des Juifs et non pas l’Etat des Israéliens. La seule nationalité qui compte en Israël est la nationalité juive. De cette façon, tous les Juifs où qu’ils vivent – même des non-citoyens, à l’extérieur d’Israël – sont par défaut des ressortissants israéliens parce qu’ils sont considérés comme ayant la nationalité juive, alors qu’il manque aux citoyens palestiniens une nationalité significative parce que ce ne sont pas des ressortissants juifs.

Ces étranges tours de passe-passe peuvent paraître abstraits mais ils ont des conséquences très concrètes. Ils sanctionnent régulièrement le racisme sponsorisé par l’Etat mais, dans une solution à deux Etats, ils pourraient paver la route à un nettoyage ethnique des citoyens palestiniens d’Israël. Lorsque l’Occident encourage Israël dans son projet ethnique, il donne en réalité sa bénédiction à la face sombre de l’Etat juif.

Et deuxièmement, dans toute négociation portant sur le partage du pays, un puissant Etat ethnique se retrouve à la table face à un faible mouvement de libération nationale palestinien. Israël dispose de toutes les cartes sauf une : la moralité de sa cause. Et pour cette raison seule, Israël doit agir de mauvaise foi.

Imaginons un scénario dans lequel Israël consentirait sincèrement à la création d’un Etat palestinien viable. Le résultat en serait qu’un type légitime d’Etat (un Etat palestinien avec une nationalité basée sur la citoyenneté et le territoire) existerait à côté d’un type illégitime d’Etat (un Etat juif où la nationalité est extraterritoriale et basée sur l’appartenance ethnique). En Palestine, tous ceux qui habiteraient à l’intérieur des frontières seraient habilités à devenir citoyens et ressortissants. En théorie du moins, les Juifs qui sont actuellement des colons vivant dans les Territoires occupés pourraient prendre la nationalité palestinienne (s’ils le voulaient), comme le pourraient également des Juifs mariés ou se mariant à quelqu'un qui a la nationalité palestinienne. En fonction des termes de la politique d’immigration de la Palestine, vous et moi pourrions demander à y immigrer et, après une certaine période de temps, demander la nationalité palestinienne. En d’autres termes, indépendamment de la manière dont les choses seraient gérées, la Palestine serait comme la plupart des autres Etats.

Rien de tout ceci ne serait vrai d’Israël dans une solution à deux Etats, tant qu’il demeurerait un Etat juif. Il continuerait de chercher des moyens d’exclure ses citoyens non juifs d’une intégration dans l’Etat, il continuerait à jouer de ruses légales pour rendre la nationalité israélienne indiscernable de la nationalité juive, et il interdirait l’immigration de tout non-juif. Il serait également opposé au mariage de ressortissants avec des non-juifs, comme actuellement, et pour ces seuls motifs, il ne souhaiterait pas de relations entre son propre peuple et celui de la Palestine voisine.

En d’autres termes, dans une solution pacifique où une vraie Palestine serait établie à côté d’un Israël Etat juif, il apparaîtrait rapidement qu’un Etat juif n’est pas un Etat de type normal ni légitime. La paix ferait voler en éclats le mythe de la normalité d’Israël et de sa démocratie. Ce qui constitue en soi une bonne raison pour qu’Israël n’ait aucun intérêt dans la paix ni dans le développement d’un Etat palestinien viable. Israël a, en fait, toutes raisons de saboter le mouvement national palestinien laïc et d’encourager l’extrémisme islamique, comme il le fait depuis longtemps. Si la Palestine devient un Etat-ghetto islamique, elle calquera une part des « aberrations » de l’Etat juif. Il ne peut y avoir aucun changement dans la position d’Israël tant qu’il n’est pas mis fin à son projet ethnique, et le seul moyen d’y parvenir c’est de faire campagne CONTRE Israël en tant qu’Etat juif et POUR une seule nouvelle entité politique laïque qui rassemble Juifs et Palestiniens comme des citoyens égaux. En d’autres termes, la question de savoir quoi faire en rapport avec la création d’un Etat palestinien est inextricablement liée avec celle de savoir quoi faire pour mettre fin à l’Etat juif. Il ne peut y avoir un Etat palestinien tant qu’il y a un Etat juif ethnique convoitant le même territoire.

Si on se tourne maintenant vers la Palestine, pourriez-vous décrire la situation en Cisjordanie ? Quelle y est l’influence du Hamas et du Fatah ? De quel soutien Abbas jouit-il, selon vous ?

La situation en Cisjordanie, en un mot : désastreuse. Israël a passé des décennies à tenter d’ourdir, d’échafauder ce dont nous voyons maintenant les fruits dans les Territoires occupés et qui devrait nous faire mesurer combien ces derniers développements sont sinistres. Comme je l’ai déjà mentionné, Israël a toujours voulu atteindre deux objectifs dans les Territoires occupés : encourager les divisions à l’intérieur du mouvement national palestinien afin de l’affaiblir et encourager la montée de l’extrémisme islamique de telle manière que le conflit puisse être requalifié, de ce qu’il est – un conflit colonial dans lequel les autochtones, les Palestiniens, luttent pour la restitution de leur terre – vers une manifestation d’un « choc des civilisations » dans lequel Israël est du côté de la civilisation et les Palestiniens / Musulmans du côté de la barbarie.

Beaucoup de Palestiniens ordinaires ont une compréhension parfaitement informée de la manière dont les choses ont mal tourné. La plupart sont pleinement conscients que la direction du Fatah a essentiellement été cooptée par Israël durant le processus d’Oslo et qu’elle a maintenant déserté la tâche de résistance à l’occupation. Au lieu de quoi, elle tente de négocier les miettes qu’Israël et les Etats-Unis veulent bien offrir. Ce qui explique le large mouvement de soutien au Hamas lors des dernières élections, tant à Gaza qu’en Cisjordanie. La communauté internationale a été surprise par la ténacité du Hamas depuis que le blocus économique a été imposé, mais cela reflète en partie à quel point le soutien au Hamas est resté ferme parmi les Palestiniens. Beaucoup comprennent que la résistance est plus importante que jamais et que le Hamas est encore un parti de résistance alors que le Fatah ne l’est plus.

Le piège pour le Hamas, c’est que sa seule voie possible vers une légitimité intérieure passait par des élections pour la direction de l’Autorité Palestinienne. Mais l’Autorité Palestinienne est une création du processus d’Oslo et elle a été conçue pour instrumentaliser la collaboration du leadership palestinien avec Israël et les Etats-Unis. L’Autorité Palestinienne est une manière d’institutionnaliser, sous le processus d’Oslo, le nouveau statut de la direction palestinienne comme entreprise de sécurité travaillant pour Israël. Dès lors, quand les Palestiniens ont élu le Hamas pour conduire la résistance, ils l’ont aussi, ironiquement, placé à la tête d’une institution, l’Autorité Palestinienne, conçue pour entraver sa capacité de résistance. Ce n’est pas seulement une contradiction pour le Hamas mais encore pour le public palestinien qui l’a élu. La question immédiate à laquelle font face le Hamas et ses partisans est de savoir si le Hamas peut continuer à vivre avec cette tension d’être à la fois un mouvement de résistance et de revendiquer ses droits à diriger l’Autorité Palestinienne. Cette question a été tranchée par la force à Gaza mais elle joue encore pleinement en Cisjordanie.

Aux yeux de beaucoup de Palestiniens, Abbas est un article endommagé mais il peut tirer profit de plusieurs avantages dont il jouit en Cisjordanie :

1. Il continue d’avoir là davantage de soutien qu’à Gaza parce que les choses sont en fin de compte beaucoup plus simples en Cisjordanie qu’à Gaza. Certains Palestiniens de Cisjordanie, en particulier dans les villes, peuvent être convaincus que la voie de la collaboration du Fatah est meilleure pour eux – au moins à court terme. La plénitude des horreurs de l’emprisonnement de Gaza doit encore se faire sentir dans des villes comme Ramallah, et certains Cisjordaniens peuvent croire que la nécessité d’une résistance totale peut être renvoyée à un peu plus tard. En outre, il y a des Cisjordaniens, une fois de plus surtout dans certaines villes, qui s’inquiètent du programme ouvertement islamique du Hamas.

2. Le territoire beaucoup plus étendu de la Cisjordanie est plus difficile à unifier sous une seule et même résistance palestinienne. Comparée à l’unique ghetto de Gaza, la Cisjordanie est en voie de transformation en une demi-douzaine de ghettos. En Cisjordanie, le soutien au Fatah venant de la base est plus développé que celui du Hamas et il jouit de davantage de privilèges pour s’organiser sur toute l’étendue du territoire du fait de sa volonté établie de collaborer avec Israël. Rappelez-vous que ce sont surtout les députés Hamas qui sont arrêtés par Israël, pas ceux du Fatah.

3. Israël prêtera assistance à Abbas par tous les moyens possibles pour empêcher le Hamas de prendre le contrôle de la Cisjordanie, après Gaza. Cela unifierait la résistance sous l’égide du Hamas tant idéologiquement que géographiquement, et c’est là une issue qui ne peut être admise. Une amnistie a été annoncée à l’égard de militants du Fatah de telle manière qu’ils peuvent être cooptés avec Abbas et que les escouades de tueurs israéliens peuvent se concentrer sur l’assassinat de militants du Hamas ; les forces de sécurité officielles du Fatah seront entraînées et armées pour lutter contre le Hamas ; des milices exilées comme la Brigade Bard pourrait être autorisée à venir en Cisjordanie. En outre, Israël s’arrangera pour que la collaboration d’Abbas ait l’air productive, avec des libérations de prisonniers et ainsi de suite.

4. On fera de la vie à Gaza un enfer afin de mettre en garde les Cisjordaniens contre toute idée de suivre le même chemin.

Le degré d’efficacité de cette politique pour gagner les Cisjordaniens ne sera pas clair pendant quelques temps.

Qu’avez-vous observé de ce qui se passe dans l’opinion publique israélienne ? En mettant de côté les colons et leurs sympathisants, comment se fait-il que le public israélien ne soit pas demandeur d’un changement de politique ? Ne voit-il pas que la théorie qui veut que «  les Arabes ne comprennent que la force » s’est totalement discréditée ?

La question présume qu’il y a place pour une pluralité d’opinions en Israël, un marché à idées dans lequel la plus convaincante triomphe. Mais ce n’est pas comme cela que fonctionne l’opinion publique en Israël. Comme dans d’autres sociétés fortement idéologiques, les Israéliens sont éduqués pour ne considérer comme acceptable qu’un étroit éventail d’opinions. Et puis aussi, comme dans d’autres Etats ethniques, les Juifs israéliens sont élevés dans la croyance à la fois qu’ils sont un peuple élu (même si pour beaucoup d’entre eux, la chose est interprétée en un sens laïc) et aussi que les non-juifs souhaiteront toujours leur destruction. Il y a, à l’époque moderne, des exemples d’autres groupes ethniques pensant suivant ces modes égoïstes et destructeurs : les Japonais, les Allemands et les Afrikaners. Mais, cas unique peut-être, le chauvinisme ethnique dominant en Israël ainsi que les idées d’un statut juif en éternelles victimes se voient entérinés et encouragés par bien d’autres nations, en particulier dans cette obsession occidentale de dénoncer l’antisémitisme au dépens des autres formes de racisme et dans la collaboration de l’Occident avec Israël quand il place ce dernier à l’épicentre d’un choc des civilisations.

Dans cette atmosphère idéologique claustrophobe, les Israéliens ne sont pas prêts à entendre une réalité contraire, ni quoi que ce soit qui ébranle les fondements de leur vision du monde ou le sens qu’ils ont de leur bon droit. Les politiciens israéliens sont accoutumés à entretenir et à exploiter pareils préjugés.

De plus, comme dans d’autres sociétés, la peur vend bien. De la même manière que l’on présente aux Américains l’image de l’agresseur noir, du violeur noir et du meurtrier noir pour garder essentiellement des politiciens blancs au pouvoir et préserver la richesse du lobby des armes, les Israéliens se voient présenter l’image de l’Arabe génocidaire, rempli d’horreur pour les Juifs, et cela pour assurer les profits de l’énorme industrie locale de la défense et les liens mutuellement avantageux avec le monde juif américain. Il est difficile d’apercevoir comment les Israéliens pourraient être arrachés à ce monde de l’illusion.

Jusqu’à quel point les actions israéliennes peuvent-elles s’expliquer par le Judaïsme et ses enseignements ? Le racisme à l’égard des Arabes est-il un facteur déterminant ici, ou non ? Quelles forces se trouvent derrière Olmert et son gouvernement ? Les Haredim [‘ultra-orthodoxes’] ont-ils réellement de l’influence sur eux ?

Je ne suis pas sûr d’être très chaud pour cette idée qu’il y aurait quelque chose d’inhérent au Judaïsme qui expliquerait le développement de l’Israël moderne. Je sais que certains intellectuels dissidents israéliens soutiennent que les idées de séparation et d’élection dans le Judaïsme sont à la racine de la politique israélienne – manière de réinventer la vie du ghetto à l’ère industrielle. Mais je préfère rechercher des explications aux dogmes politiques israéliens dans les caractères ethniques plutôt que religieux de l’Etat juif. Je dirais, en fait, qu’Israël se comporte d’une manière vraiment typique d’un Etat ethnique. L’Allemagne nazie était obsédée par le « Volk » et le « Lebensraum » [le ‘Peuple’ et ‘l’espace vital’ - NdT]. L’Afrique du Sud a développé l’idée de Bantoustan pour traiter la menace démographique de l’Autre. Le racisme d’Israël, ses vols de terres, ses désengagements et ses constructions de murs, tout cela peut s’expliquer en ces termes.

Que pensent les Israéliens des néocons américains, les voient-ils comme de vrais amis d’Israël ou non ?

D’une certaine manière, les néocons sont guidés par une vision très israélienne de l’avenir. Ils appliquent le paradigme sécuritaire d’Israël au niveau global. Ils recherchent donc pour les Etats-Unis une domination mondiale, de la même manière que les stratèges d’Israël recherchent une domination régionale. Les uns comme les autres ont un mépris de circonstance pour la « mentalité » arabe et musulmane, la croyant fondamentalement irrationnelle et différente de l’esprit éclairé de l’Occident. Les uns comme les autres ont foi en la « guerre sans fin ». Et les uns comme les autres croient qu’en créant le chaos et l’instabilité autour d’eux, ils peuvent manipuler et contrôler leurs ennemis. Etant donné ces similitudes de pensée, il n’est pas surprenant que les Israéliens approuvent généralement la politique néocon et que les néocons soient entichés d’Israël. Les Israéliens étaient assurément enthousiastes à l’égard de l’attaque contre l’Irak et ils ont brûlé de voir les Etats-Unis répéter cette politique désastreuse avec l’Iran. J’ai développé longuement cette question des liens unissant Israël et les néocons dans mon livre à paraître, « Israel and the Clash of Civilisations » (‘Israel et le choc des civilisations’).

Liban : beaucoup dans la région disent que la guerre de l’été passé n’était qu’un premier round et que cette guerre va reprendre dans un proche avenir. Etes-vous d’accord ? Si oui, que pensez-vous que les Israéliens pourraient raisonnablement espérer atteindre en relançant cette guerre ? Espèrent-ils sérieusement « désarmer le Hezbollah » ?

Il est presque certain qu’il y aura une autre guerre. Israël n’est pas intéressé par une paix régionale qui porterait atteinte à ses intérêts, donc il doit faire la guerre. Le problème est que la paix apporterait à Israël un simple anonymat : ce ne serait qu’un petit Etat du Proche-Orient, mais sans le pétrole du Golfe persique. Pourquoi les Etats-Unis continueraient-ils à verser à Israël des milliards de dollars d’aide annuelle si Israël était un pays en paix ?

Tant qu’il y a la guerre, ou une menace de guerre, Israël n’a pas à s’en faire. Il s’acquitte, pour le compte des Etats-Unis, de sa fonction première qui est de maintenir les autres Etats de la région dans un état de nervosité et d’insécurité quant à ce qui va arriver. C’est une politique traditionnelle du diviser pour régner : Israël décide qui sera puni d’une attaque, qui sera isolé, qui sera gratifié d’un accord de paix et de la munificence états-unienne. Israël peut également protéger les Etats-Unis des retombées en attaquant des Etats voisins en fonction d’objectifs stratégiques américains plus larges. Ces millions de sous-munitions larguées au sud Liban, par exemple, étaient de fabrication américaine et fournies par les Etats-Unis, mais le scandale vise largement Israël, pas les Etats-Unis.

Il y a encore d’autres bénéfices. La guerre est une aubaine pour l’énorme industrie israélienne de la défense. Comme le notait récemment Naomi Klein, les affaires ont connu une période d’essor durant l’Intifada, avec le développement par Israël de nouvelles technologies pour la guerre urbaine, le contrôle des foules et l’emprisonnement de populations civiles. Ce n’est possible que tant qu’Israël est en mesure d’utiliser les Territoires occupés comme un vaste laboratoire à ciel ouvert pour réaliser des expériences sur l’homme. Y aurait-il la paix, il n’y aurait plus de laboratoires et les profits de l’industrie israélienne de la défense connaîtraient un repli.

Telles sont les raisons les plus générales pour lesquelles la guerre est toujours imminente pour Israël. Mais il y a encore trois autres raisons pour lesquelles Israël a besoin de mener une nouvelle guerre contre le Liban et probablement aussi contre la Syrie. La première est que la Maison Blanche a besoin que la force du Hezbollah soit brisée et que la Syrie soit à tout le moins intimidée, avant de pouvoir envisager une attaque contre l’Iran. L’échec d’Israël l’été dernier a laissé aussi bien Tel Aviv que Washington désemparés quant à la manière d’aller de l’avant pour atteindre leurs objectifs. La seconde raison est la peur largement répandue en Israël qu’en ne parvenant pas à écraser le Hezbollah, l’armée israélienne a perdu ce qu’on appelle ici sa valeur de « dissuasion » : c'est-à-dire que les Arabes ont compris qu’elle n’était pas invincible. Les Israéliens redoutent que des groupes comme le Hamas et des Etats comme la Syrie ne tirent de cet épisode la leçon que l’armée israélienne peut être battue. Et troisièmement, il y a un sentiment largement exprimé en Israël que si l’armée du pays ne détruit pas le Hezbollah, les Etats-Unis pourraient un jour commencer à se demander ce qu’ils gagnent à subsidier une des armées les plus puissantes au monde si elle ne peut pas se charger d’une milice constituée de quelques milliers de recrues à temps partiel. Pour toutes ces raisons, Israël a besoin d’une autre occasion de faire ses preuves contre le Hezbollah ou la Syrie.

D’après votre expérience, que dit la « rue » juive d’une possible guerre entre les Etats-Unis et l’Iran ? Une attaque américaine contre l’Iran est-elle vue comme une vraie possibilité et qu’imaginez-vous que pourrait être la réaction palestinienne à une telle situation ?

La réponse juive israélienne est parfaitement prévisible. Les sondages d’opinion montrent que les Israéliens sont à peu près uniformément enthousiastes à propos d’une attaque américaine contre l’Iran, comme ils le furent à propos de l’invasion de l’Irak. Ils sont divisés, à part égale, sur la sagesse d’une attaque menée par Israël seul contre l’Iran. Cela reflète peut-être en partie une impression de vulnérabilité après l’humiliation de l’été dernier au Liban et en partie la peur d’une rupture avec leur protecteur états-unien. Je pense en outre que les Israéliens peuvent craindre que le moment est passé pour attaquer l’Iran. Il y a assurément un tas de rouspétances et d’accès de colère de la part de pontes de la droite israélienne sur la manière dont Bush a abandonné Israël en négligeant de frapper Téhéran, avec Olmert paraissant plus conciliant que jamais. Mais il est toujours imprudent de faire des prédictions définitives dans cette partie du monde. L’indécision d’Israël actuellement à l’égard de l’Iran peut être un signe de la nécessité pour l’armée de gagner du temps pour repenser sa stratégie à la suite de ses échecs au Liban. Assurément, comme je l’ai déjà avancé, Israël est attaché à ce qu’il y ait d’autres guerres à l’avenir et une attaque contre le Liban ou la Syrie fait toujours peser la menace d’une extension à d’autres pays, en particulier l’Iran.

Pour ce qui est de la réaction palestinienne, je présume que vous voulez parler du leadership. Je pense que cela revient à faire l’improbable hypothèse que dans les circonstances actuelles, une forme de réponse palestinienne unifiée et déchiffrable est possible. L’Iran est un acteur, encore mineur certes, dans les Territoires occupés. On peut raisonnablement supposer que l’Iran essaie de financer et d’aider le Hamas (comme il l’a fait pour le Hezbollah) en dépit des différences qui les opposent sur le plan religieux. Le Hamas a besoin de toute l’aide possible pour parer à l’opposition combinée d’Israël, des Etats-Unis et de la direction du Fatah contre son autorité ; si bien qu’une alliance est une nécessité pour lui. Il a aussi été influencé par les succès du Hezbollah contre Israël et en tirera les leçons, comme beaucoup d’autres groupes du Proche-Orient. Une des leçons porte sur l’usage de roquettes pour affaiblir la détermination israélienne. Etant donné l’hostilité entre Hamas et Fatah, on peut sans doute supposer que ce qui est bon pour le Hamas (un Iran fort) est mauvais pour la direction du Fatah autour d’Abbas.

On parle beaucoup de la popularité du Hezbollah en Palestine. Jusqu’à quel point l’Iran et Khamenei ou le Hezbollah et Nasrallah sont-ils populaires en Palestine ?

Ceci est généralement présenté en Occident dans des termes simplistes représentant les Palestiniens acclamant les terroristes. Cela paraît logique aux yeux de beaucoup d’Occidentaux qui se sont vus offrir par leurs médias et leurs politiciens une image de l’Iran et du Hezbollah comme des terroristes aspirant à la destruction d’Israël. Cette vision n’est pas vraiment crédible en dehors de l’Occident tout simplement parce qu’elle ne correspond pas aux faits. Si le Hezbollah est un groupe terroriste, c’en est un bien étrange : même le Congrès américain s’est démené pour identifier les actes terroristes dont il est supposé être responsable. Même les quelques actes terroristes qui peuvent avoir été commis par le Hezbollah – encore les preuves manquent-elles – remontent à près de deux décennies.

Le Hezbollah a été fondé comme mouvement chiite de résistance pour déloger Israël du Liban qu’il occupait illégalement, et non pour détruire Israël. Cette tâche, il s’en est acquitté avec une détermination acharnée. Depuis lors, il a créé un réseau de bases cachées à travers le sud Liban, il s’est constitué un arsenal de base avec l’aide de l’Iran et développé son propre service de renseignement qui a pénétré des secrets militaires israéliens tout en empêchant largement Israël d’infiltrer ses propres structures militaires – tout cela dans la croyance justifiée qu’Israël veut se mêler du Liban par des voies qui portent atteinte à la sécurité du pays et à ses intérêts, et que dès lors Israël doit être repoussé.

Toutes ces réalisations suffisent à expliquer pourquoi le Hezbollah a gagné l’hostilité des sionistes d’un peu partout. Et aussi pourquoi le puissant lobby israélien a été en mesure de fabriquer l’image du Hezbollah tel qu’il est présenté en Occident. (Il faut néanmoins noter que de hauts responsables américains ont tranquillement exprimé leur admiration pour Nasrallah, notamment l’ancien Secrétaire d’Etat adjoint Richard Armitage qui l’a appelé « le gars le plus malin du Proche-Orient ».) Les Palestiniens, comme la plupart des Arabes du Proche-Orient, ne lisent pas la presse occidentale ; ils n’ont donc aucune raison d’acheter ses fictions. Ils comprennent que Nasrallah a fait ses preuves comme maître tacticien et stratège, à la fois politique et militaire, qui a utilisé ses quelques milliers de combattants pour humilier à répétition l’armée israélienne, une des plus puissantes au monde et appuyée par les Etats-Unis. C’est un exploit qui lui a gagné un grand respect parmi les Palestiniens et que certains espèrent imiter dans leur propre résistance à l’occupation israélienne.

Mais cela va plus loin, je crois. C’est particulièrement évident parmi les citoyens palestiniens d’Israël, qui ont dû faire face aux attaques à la roquette du Hezbollah exactement comme les Juifs israéliens – en fait, ils ont proportionnellement été tués en plus grands nombres par ces attaques que les citoyens juifs parce que leurs villes n’étaient pas protégées par des abris et qu’ils n’ont pas été convenablement avertis des attaques. La plupart des citoyens palestiniens d’Israël, y compris chrétiens, ont pour Nasrallah une estime sans équivalent, en dépit des souffrances endurées à cause de lui. Il ne s’agit pas d’une forme perverse de masochisme. Ils apprécient la claire distinction qu’il fait dans ses discours entre Israéliens et Juifs (tous les Israéliens ne sont pas juifs après tout) et entre Juifs et sionistes (tous les Juifs ne sont pas sionistes). Lui et son groupe, le Hezbollah, s’opposent au sionisme parce qu’ils pensent qu’un Etat qui se déclare ethnique constitue une menace pour lui-même, pour les Palestiniens et pour ses voisins, pour les raisons que j’ai données plus haut. Les citoyens palestiniens apprécient le fait qu’il partage, même à distance, leur compréhension de la nature ethnique et de la mauvaise foi d’Israël, chose que beaucoup de dirigeants arabes – y compris, bien souvent, le leadership palestinien dans les Territoires occupés – n’ont pas réussi à saisir. Si quelqu'un a fait la preuve que le monde arabe n’a pas à être en permanence enlisé dans la peur d’Israël et manipulé par sa politique du diviser pour régner, c’est Nasrallah. Il rend aux Palestiniens, et aux autres Arabes, une part de leur fierté.

Je suspecte les sentiments à l’égard de l’Iran, parmi les Palestiniens, d’être un petit peu plus complexes. Assurément personne ici ne croit aux mythes que l’on fait avaler à la cuiller aux Occidentaux à propos d’un Iran qui projetterait de « rayer Israël de la carte » (je crains de ne pas pouvoir me résoudre à expliquer une fois de plus l’erreur de traduction dont Israël a si promptement abusé, mais un tas d’experts en Farsi s’en sont chargés et on peut aisément trouver leurs articles sur l’Internet). Encore une fois, il est aisé de caractériser de manière trompeuse l’Iran comme un Etat terroriste en Occident quand les médias agissent à peine plus que comme un instrument de propagande pour les Etats-Unis et les gouvernements d’Israël, puis de présenter faussement le soutien palestinien pour l’Iran comme un soutien au terrorisme. Néanmoins, les sentiments à l’égard de l’Iran sont davantage mêlés. Alors que Nasrallah apparaît comme un religieux fervent, les clercs iraniens semblent puristes et faux dévots. Alors que Nasrallah est populaire, le dirigeant laïc de l’Iran apparaît simplement populiste. Et alors que les chiites du Hezbollah s’inscrivent dans le monde arabe, les chiites de l’Iran sont persans. Bien sûr, l’Iran est le bienfaiteur : les talents de Nasrallah ne trouvent à s’illustrer que grâce à l’argent et au soutien iraniens, et il y a donc pour les Palestiniens une sorte de gloire en reflet. Et le Hamas a, bien sûr, un égal besoin d’un protecteur en Iran, s’il s’agit de suivre l’exemple du Hezbollah.

 

(Traduction de l’anglais : Michel Ghys)

 


Source : Michel Ghys


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