Opinion
L'armée égyptienne
menace de réprimer ceux qui contestent
le résultat de l'élection présidentielle
Johannes Stern et Alex Lantier
Vendredi 22 juin
2012
Des sources de
l'armée égyptienne ont indiqué hier soir
qu'il existe des plans pour réprimer
l'opposition populaire au régime
militaire dans le contexte de
contestations de plus en plus
importantes sur le résultat de
l'élection présidentielle de ce
week-end.
La Commission
électorale suprême pour les élections
présidentielles (CESP) a annoncé qu'elle
repousserait au week-end l'annonce des
résultats, prévue initialement pour
aujourd'hui.
Ceci intervient à
la suite de la publication par un groupe
de juges chargés de surveiller les
élections, les Juges d'Égypte, d'une
déclaration non-officielle qui accordait
la victoire au candidat des Frères
musulmans (FM), Mohamed Mursi. Lors
d'une conférence de presse qui s'est
tenue au Syndicat des journalistes
égyptiens, ces juges ont annoncé que
Mursi avait remporté les élections par
13 238 335 voix contre 12 351 310 pour
Ahmed Shafiq, dernier premier ministre
du dictateur déchu Hosni Moubarak et
candidat favorisé par l'armée.
Dans la nuit
d'hier, une source militaire anonyme a
déclaré au quotidien public Al Ahram
que la junte du Conseil suprême des
forces armées (CSFA) était déterminée à
empêcher Mursi d'entrer en fonctions : «
Le conseil militaire est déterminé à ne
pas laisser les Frères musulmans prendre
le pouvoir. Il n'abandonnera pas les
rênes du pouvoir tant qu'une nouvelle
constitution n'aura pas été adoptée, et
tant que tout ne sera pas prêt pour un
processus politique équilibré. »
Étant donné que la
junte du CSFA contrôle la rédaction de
la nouvelle constitution, dont la
publication a été reportée à une date
indéterminée à la suite du coup d'Etat
du week-end dernier, cette déclaration
implique que la junte ne permettra pas à
Mursi d'être déclaré vainqueur ce
week-end. La junte compte maintenir un
contrôle absolu sur l'exécutif.
Cette source
militaire laisse entendre que toute
tentative de déclarer Mursi vainqueur
menacerait la stabilité de l'Etat.
Déclarant que toute nouvelle tentative
de négociation serait « de nature
conflictuelle plutôt qu'amiable, »il
ajoute : « Pour éviter tout changement
soudain qui risquerait d'entraîner une
confrontation et de mener la situation
au bord du précipice, le conseil
militaire reste la seule force capable
de réguler le processus politique pour
préserver la stabilité de l'Etat. »
Ce responsable a
déclaré que les FM comptaient sur le
soutien des principaux commanditaires
impérialistes de la bourgeoisie
égyptienne, qui préféreraient une
victoire des FM : « Les États-Unis et
l'Union européenne ont tous deux envoyé
des messages reflétant leur préférence
pour Mohamed Mursi comme président de
l'Égypte. Croyant pouvoir compter sur ce
soutien, le groupe a adopté une
politique de pression sur les dirigeants
provisoires du pays au sujet des
arrangements politiques à venir. De
plus, le bureau d'orientation des Frères
musulmans a échangé des messages avec
les États-Unis – et dont Israël est au
courant – qui contenaient des assurances
sur la position du groupe au sujet du
Hamas, de Gaza et des accords de Camp
David. »
L'armée reste
cependant le pouvoir fondamental de
l'Etat égyptien et la seule entité qui
aurait le pouvoir de supprimer par la
force l'opposition de la classe ouvrière
au régime égyptien. Ainsi, comme le
sous-entend ce responsable, l'armée
s'attendait à ce que les puissances
impérialistes la soutiennent pour
empêcher un éventuel effondrement de
l'autorité étatique : « Il reste à
déterminer, cependant, si les États-Unis
préféreront voir Mursi ou Sahfiq au plus
haut poste en Égypte. »
Si ces commentaires
de l'armée visent en premier lieu la
campagne des FM, la cible principale de
la répression étatique seront les
grandes manifestations de la classe
ouvrière, comme celles qui ont fait
tomber Moubarak dans les premières
semaines de la révolution égyptienne de
février 2011.
Dans une autre
déclaration, des responsables de l'armée
ont affirmé à Al Ahram qu'ils
travaillent sur un « plan B » pour
déployer des forces armées dans tout le
pays : « Nous nous préparons à une
grande vague d'émeutes et de troubles
pour au moins deux jours, qui pourraient
être incités par les Frères musulmans
après l'annonce que Sahfiq est
président. […] Nous nous préparons à
toutes sortes de problèmes et prenons
des mesures pour les contenir. »
Ces responsables
ont dit qu'ils préparent un état
d'urgence qui s'appliquera à la capitale
égyptienne, Le Caire, et d'autres grands
centres urbains – dont Alexandrie, Suez
et Ismaïlia.
L'intensification
des conflits au sujet de l'élection
présidentielle reflète une âpre lutte
pour le pouvoir au sein de la
bourgeoisie égyptienne, entre l'armée et
les FM. Initialement, le CSFA au pouvoir
et les FM coopéraient pour mettre fin
aux luttes révolutionnaires de la classe
ouvrière, mais des divisions entre eux
ont émergé après les élections
législatives gagnées par les islamistes.
Avec son coup
militaire de la semaine dernière,
l'armée a clairement indiqué qu'elle
n'avait pas l'intention de remettre le
pouvoir aux FM. Elle a dissout le
parlement et l'assemblée constituante,
toutes deux dominées par les islamistes.
Dans un décret constitutionnel publié
dimanche, le CSFA a pris en main tous
les pouvoirs législatifs et budgétaires
du Parlement dissout.
Les commentaires de
l'armée font suite à une série de
tentatives de la part des Frères
musulmans de faire pression sur l'armée
pour permettre à Mursi de prendre ses
fonctions. Mardi, la campagne de Mursi a
publié un pamphlet le présentant comme
le gagnant avec 52 pour cent des voix.
Un de ses porte-paroles a dit que « les
chiffres s'appuient sur des sondages à
la sortie des bureaux de vote publiés
dimanche et lundi, ainsi que la prise en
compte du vote des expatriés. »
Les FM ont
également appelé à des manifestations
sur la place Tahrir mardi, qui ont réuni
des dizaines de milliers de gens. Avec
divers groupes libéraux et de
pseudo-gauche – comme le mouvement du 6
avril et les Socialistes
révolutionnaires (SR), qui ont rejoint
les manifestations des FM – les FM
s'inquiètent de ce qu'une victoire de
Shafiq pourrait révéler le caractère
creux et frauduleux de la « transition
démocratique » que l'armée prétend
organiser, et à laquelle eux-mêmes
participent.
Le mensonge de la «
transition démocratique » étant révélé
par le coup militaire, les FM et leurs
alliés craignent une confrontation
explosive entre la classe ouvrière et
l'armée.
Le porte-parole des
Frères musulmans, Mohamed Ghozlan, a
prédit une « dangereuse confrontation »
entre le peuple et l'armée si Ahmed
Shafiq était déclaré nouveau président
de l'Égypte. Une victoire de Shafiq
serait « un coup militaire direct de la
part du conseil militaire. » a-t-il
ajouté.
Dans ces
conditions, les FM expriment leurs
inquiétudes au sujet des tentatives de
l'armée de monopoliser les institutions
officielles du pouvoir politique mises
en place par la junte. Saad al-Katatni,
porte-parole du parlement dissout, a
prévenu que les positions de l'armée
pourraient « nous entraîner vers un vide
et que la rédaction de la constitution
pourrait prendre des années, donnant un
prétexte au conseil militaire pour
rester au pouvoir des années durant.
C'est inacceptable. »
Katatni a insisté
sur le fait que les FM ne représentent
pas une menace immédiate envers la
junte. « Ce qui s'est passé en Algérie
ne peut pas se répéter en Égypte, »
a-t-il dit, faisant référence à la
guerre civile de 1991-2002 qui fit 150
000 victimes en Algérie, l'armée
écrasant une révolte de groupes
islamistes armés qui avaient remportés
les élections de 1991. « Le peuple
égyptien est différent et n'est pas
armé. Nous menons une lutte juridique à
travers les institutions et une lutte
populaire dans la rue. »
Le camp de Shafiq a
répondu à l'initiative des FM par une
conférence de presse, affirmant que le
camp de Mursi faisait circuler de « faux
résultats, » et qu'en fait Shafiq avait
remporté les élections. Le porte-parole
de la campagne de Shafiq, Ahmed Sarhan,
a accusé les FM de « diffuser des
mensonges sur toute la ligne concernant
les résultats du vote, » et affirmé que
« d'après nos décomptes, notre candidat
est en tête avec de 51,5 à 52 pour cent.
»
Le décret
constitutionnel permet à l'armée
d'intervenir « si le pays est confronté
à des troubles internes […] pour
maintenir la sécurité et défendre la
propriété publique. »
Des forces de
sécurité supplémentaires sont déployées
en Égypte. Trois mille policiers et
soldats ont été envoyés pour protéger
des sites gouvernementaux et économiques
vitaux, dont le Canal de Suez, le chef
de la sécurité à Suez, Adel Refaat, a
déclaré mercredi : « Nous défendrons
fermement toutes les institutions
publiques et les commissariats de
police, »
Un déploiement
militaire est également mentionné sur la
route entre Le Caire et Alexandrie – on
a vu des photographies de barrages
militaires avec des barbelés et des
soldats lourdement armés, rappelant la
révolte de 18 jours qui fit tomber Hosni
Moubarak.
(Article original
publié le 21 juin 2012)
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Publié le 22 juin 2012 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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