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IRIN
Liban:
Les patients font les frais de la privatisation et de la
politisation des soins de santé 
L'hôpital Rasoul al-Azem que dirige le
Hezbollah à Beyrouth dit que ses portes sont ouvertes à tous les
patients,
mais reconnaît que les militants du Hezbollah et leurs familles
sont soignés en priorité
Photo:
Rami Aysha/IRIN
BEYROUTH, 29 février
2008 (IRIN) Lorsque Hamza Shahrour a été victime
d'une crise cardiaque, en juin dernier, ce jeune musulman chiite
de 24 ans pensait peut-être pouvoir s’en sortir, étant donné
la proximité de l’hôpital Rafik Hariri (du nom de l’ancien
Premier ministre sunnite, nommé à la tête de cinq
gouvernements).
Or, les médecins ont refusé de soigner Hamza parce que sa
famille n’avait pas contracté d’assurance maladie et
n’avait pas de quoi payer les milliers de dollars américains
exigés pour la caution.
Mais le pire restait à venir. Dans le conflit politique qui
oppose le gouvernement libanais sunnite à l’opposition chiite,
les médecins auraient refusé de soigner Hamza à cause de sa
confession, selon sa mère.
Hamza a été transféré dans la banlieue sud de Beyrouth, à
l’hôpital Rasoul el Azam (Grand Prophète) appartenant au
Hezbollah, un mouvement politico-religieux chiite, et géré par
celui-ci. D’après la mère du jeune homme, l’hôpital
dispense des soins médicaux gratuits à la famille, bien que
celle-ci n’ait pas d’assurance-maladie. Mais Hamza est décédé
pendant son évacuation à l’hôpital, d’un bout à l’autre
de la ville, par la Croix-Rouge libanaise.
« J’aurais aimé que mon fils fut de confession sunnite », a
confié à IRIN Raheja Shahrour, la mère de Hamza. « Peut-être
qu’il serait encore vivant, assis à côté de moi, plutôt que
décédé pour n’avoir pas été admis à l’hôpital Hariri ».
Ce qui est arrivé à Hamza est loin d’être un cas isolé,
affirment les médecins et analystes, dans un système de santé
basé sur les appartenances politique et confessionnelle depuis la
guerre civile (de 1975 à 1990), dépourvu de financements et
privatisé au point que la plupart des citoyens sont privés des
soins médicaux les plus élémentaires, faute de moyens.
Au cours des 20 dernières années, le ministère de la Santé
publique a construit 27 hôpitaux publics, mais près la moitié
d’entre eux ont dû fermer en raison d’une mauvaise gestion et
du manque de financements, selon Ismaël Sukkareye, un membre de
la commission parlementaire qui a travaillé avec l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) à l’élaboration du rapport «
Right to Healthcare » (Le droit aux soins de santé), relatif au
système de santé libanais et publié en arabe, en décembre
2007.
Selon ce rapport, sur les plus de 1 500 lits que comptent les hôpitaux
publics, seuls 300 sont en service actuellement. Privatisation
Le Liban compte en revanche 175 hôpitaux privés, équipés
d’environ 14 500 lits en service. Ces établissements sont généralement
dotés d’installations plus modernes et offrent des soins de
meilleure qualité. En 2006, le gouvernement n’a investi au
total que 400 millions de dollars dans les soins médicaux, alors
que les dépenses totales dans le secteur de la santé s’élevaient
à 686 millions de dollars, selon le rapport de l’OMS.
« Le ministère de la Santé encourage actuellement la
privatisation des soins de santé, en transférant de plus en plus
de patients des hôpitaux publics vers les hôpitaux privés », a
fait remarquer M. Sukkareye.
En 1971, 14 hôpitaux privés avaient signé des contrats avec le
ministère pour soigner des patients dans le cadre de la politique
de soins de santé publique. En 2000, on en comptait 134 ».
Lorsqu’un patient est soigné dans un hôpital privé dans le
cadre de cet accord de « transfert », le ministère de la Santé
doit régler 90 pour cent du montant de la facture.
Or, le gouvernement a de plus en plus de difficultés à payer ses
factures, a expliqué M. Sukkareye ; les hôpitaux privés se
retrouvent donc largement déficitaires et depuis 2006, plus aucun
de ces établissements n’accepte de tels transferts du public au
privé.
Pas d’assurance maladie
L’incapacité du gouvernement à payer les factures de soins de
santé publique oblige les Libanais à souscrire des contrats d’assurance
maladie privée très chers. D’après le rapport de l’OMS, publié
en décembre, seuls 27 pour cent des Libanais peuvent se le
permettre. Les travailleurs migrants ou les demandeurs d’asile pauvres
sont particulièrement vulnérables face à un système de santé
aussi coûteux.
Les chiffres fournis dans ce rapport révèlent l’ampleur du problème
des soins de santé au Liban. Sur les 2 700 patients nécessitant
des soins pour une pathologie rénale, 1 200 étaient des fonctionnaires
bénéficiant d’une assurance maladie publique ; compte tenu de
leur statut, 100 s’étaient fait payer leurs factures par
l’armée, 400 avaient une assurance maladie privée, tandis que
1 000 avaient dû payer leurs factures de leur poche, sans aucune
aide. Guerre civile
Selon certains médecins, ce sont les 15 années de guerre civile
ruineuses qui sont responsables du retard de développement du système
de santé libanais et de son morcellement entre les différentes communautés
et confessions religieuses. 
Un Libanais sur trois a une assurance maladie.
Le gouvernement étant incapable de payer les soins de la majorité
des citoyens, les familles se retrouvent parfois à payer
plusieurs milliers de dollars de frais d'hospitalisation
Photo:
Rami Aysha/IRIN
« Avant la guerre
civile, qui a éclaté en 1975, le Liban avait les meilleurs hôpitaux
et médecins de la région », a affirmé le docteur Ibrahim el
Haber, qui a également participé à l’élaboration du rapport
de décembre dernier.
« Mais pendant que le Liban traversait des moments difficiles, les
pays de la région amélioraient leurs systèmes de santé. Après
la guerre civile, le système de santé libanais a reposé sur des
considérations confessionnelles. Chaque groupe confessionnel dispose
désormais de ses propres hôpitaux et cliniques, qui offrent des
soins gratuits aux membres de leur propre communauté ».
Favoritisme
Au cours d’entretiens avec le correspondant d’IRIN, des médecins
de la clinique Hariri, gérée et contrôlée par le mouvement Sunni
Future, et de l’hôpital Rasoul el Azam, contrôlé par le
Hezbollah, ont tous affirmé que leurs services étaient ouverts
à toutes les personnes nécessitant des soins. 
Bien qu'étant un centre de santé public, au début,
l'hôpital Rafik Hariri de Beyrouth exige désormais aux patients
une assurance maladie ou une caution très élevée avant d'être
soignés
Photo:
Rami Aysha/IRIN
Toutefois, pour le
docteur Ali Shahrour de l’hôpital Rasoul el Azam, s’il est vrai
que son établissement « prodigue des soins à tous les patients,
sans exception », la « priorité est quand même donnée aux militants
du Hezbollah et à leurs familles », conformément à la stratégie
de l’hôpital. « Pendant que vous servez votre
pays, vous vous attendez à ce que quelqu’un s’occupe de la santé
de votre famille », a affirmé M. Shahrour. « Nous considérons
les combattants de la résistance et toute autre personne vivant
à Daheye [les banlieues sud contrôlées par le Hezbollah] comme
étant des nôtres ».
De même, pour le docteur Khaled Bsat de la clinique Hariri de Tarek
el Jdeide, un quartier majoritairement sunnite, son personnel « donne
des médicaments gratuits à tous les patients, non pas en fonction
de leur confession, mais parce que tout le monde a besoin de se soigner
».
Mais lorsqu’un patient est partisan du mouvement Sunni Future, il
est certainement soigné en priorité.
« Le Liban est un Etat confessionnel, mais même si nous ouvrons
des cliniques dans des zones sunnites, nous donnons des médicaments
à tout le monde », a indiqué M. Bsat. « Mais en tant que
Sunnites, nous devons nous occuper des patients sunnites avant les
patients de toute autre confession ».
Pour le député Sukkareye, la réforme du système de santé passe
par une gestion indépendante des hôpitaux publics et privés, pour
éradiquer la corruption et le gaspillage.
« Il n’existe pas de politique de santé claire et personne n’exerce
de contrôle sur les dépenses », a indiqué M. Sukkareye. « Nous
avons besoin de commissions indépendantes pour reprendre la gestion
des hôpitaux. Il faut mettre un terme à cette pratique consistant
à faire des bénéfices dans les structures de santé ». Copyright © IRIN
2008
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