Nouvelles et analyses humanitaires
La crise de
l'immobilier à Gaza exacerbée par
le fermeture des tunnels
IRIN
Ayman
Subhi, devant la maison de ses parents,
dans la bande de Gaza
Photo: Ahmed Dalloul/IRIN
GAZA, 12 novembre 2012 (IRIN) Comme l’ensemble des 1,6 million
d’habitants de la bande de Gaza, Ayman
Subhi est souvent victime d’évènements
internationaux indépendants de sa
volonté.
Lorsqu’il a obtenu son diplôme d’études
supérieures il y a deux ans, il
prévoyait de construire une maison
suffisamment grande pour accueillir les
six membres de sa famille (dont son
grand-père, ses parents et ses frères et
sœurs) qui partagent actuellement un
appartement de 90 mètres carrés au
rez-de-chaussée d’un immeuble de trois
étages où cohabitent sept familles.
Cependant, au mois d’août, l’attaque
d’un avant-poste de l’armée égyptienne
dans le Sinaï, à quelques kilomètres de
la frontière avec Gaza, a interrompu ses
projets.
L’attentat, imputé à des extrémistes de
Gaza (l’enquête égyptienne est en
cours), a fait 15 morts parmi les
soldats. Le président égyptien, Mohamed
Morsi, a donc décidé de commencer à
fermer le réseau de tunnels par
lesquels les contrebandiers font passer
des marchandises commerciales, de l’aide
humanitaire et, paraît-il, des armes et
des combattants entre l’Égypte et Gaza.
L’importation de matériaux de
construction vers Gaza est
officiellement restreinte par un blocus
imposé depuis six ans par Israël et
l’Égypte. La majorité de ces matériaux —
80 pour cent selon une estimation —
passe donc par les tunnels.
Selon des travailleurs humanitaires, la
fermeture de certains tunnels (le
pourcentage n’a pas été clairement
établi) a exacerbé la crise de
l’immobilier qui frappait déjà Gaza.
Cette crise s’expliquerait non seulement
par un taux d’accroissement
démographique rapide et par les
importants dégâts matériels causés par
les opérations militaires israéliennes,
mais surtout par les restrictions à
l’importation de matériaux de
construction imposées par Israël.
L’Égypte exerce également un strict
contrôle de sa frontière avec Gaza.
Selon Hassan Madhoun, directeur de
l’Association des ingénieurs de Gaza,
les activités de construction ont baissé
de 40 pour cent depuis la fermeture des
tunnels, ce qui est une « possible
menace pour l’avenir du secteur », qui
emploie de 75 000 à 150 000 personnes
(il n’existe aucune statistique
officielle).
Selon le Bureau de la coordination des
affaires humanitaires des Nations Unies
(OCHA), le transport de matériaux de
construction à travers les tunnels
aurait en grande partie cessé début
août, mais progressivement augmenté
depuis. Toujours selon l’OCHA, ces
échanges atteignent actuellement près de
70 pour cent de la capacité d’avant le
mois d’août, ce qui représente environ
45 pour cent de plus que les
importations qui passent par le
poste-frontière officiel israélien de
Kerem Shalom.
« Ce dont j’ai besoin, c’est d’une
maison pour ma famille et moi », a dit
M. Subhi à IRIN. « La fermeture des
tunnels — sans solution viable ni
durable — réduit le rêve de toute une
génération de jeunes Palestiniens
d’avoir une maison. »
Pénurie de
logements
Selon le Unified Shelter Sector Database
(USSD), une base de donnée sur l’habitat
gérée par un groupement d’organisations
d’aide humanitaire travaillant sur la
question du logement à Gaza et connue
sous le nom simplifié de Shelter Sector,
il manque plus de 71 000 unités
d’habitation à Gaza — soit environ 23
pour cent de l’habitat total de la ville
— pour répondre à la pénurie de
logements. Plus de 15 000 Gazaouis
déplacés par l’opération militaire
israélienne « plomb durci » menée en
2008-2009 n’ont pas encore retrouvé leur
foyer.
« Pourquoi le monde ne
parle-t-il pas de la souffrance
des plus d’un million et demi
d’habitants assiégés de Gaza,
qui ne peuvent pas vivre une vie
normale comme tout le monde »
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Israël a légèrement assoupli son blocus
en 2010, mais considère toujours les
matériaux de construction tels que le
granulat, l’acier et le ciment comme des
produits à « double usage » pouvant être
utilisés à des fins dangereuses. Leur
importation n’est autorisée que dans le
cadre de projets humanitaires
internationaux. Or, selon les
organisations d’aide humanitaire, les
procédures israéliennes sont si «
lentes, bureaucratiques et coûteuses »
que la communauté internationale ne joue
qu’un rôle limité dans les projets de
construction.
En mars, le directeur de l’Office de
secours et de travaux des Nations Unies
pour les réfugiés de Palestine dans le
Proche-Orient (UNRWA)
a dit qu’Israël avait rejeté toutes
les demandes de mise en œuvre de projets
de construction déposées par l’UNRWA
depuis le milieu de l’année 2011. En
septembre dernier, les autorités
israéliennes ont annoncé leur agrément
concernant 14 projets de logement et
d’infrastructure civile des Nations
Unies. La procédure d’examen pour chaque
projet a duré 20 mois en moyenne.
La fermeture des tunnels ajoute une
difficulté supplémentaire à un système
déjà contraignant.
Difficultés et tensions
Gaza est l’une des régions les plus
densément peuplées du monde. Selon la
dernière
fiche d’information du Shelter
Sector, « la surpopulation est désormais
un problème majeur ». Elle conduit à une
augmentation de la violence familiale et
sexiste, à la détérioration généralisée
des normes sociales et culturelles et à
la construction de logement de piètre
qualité qui, selon la fiche
d’information, soulèvent « d’importantes
préoccupations concernant la réduction
des risques de catastrophe dans une
région vulnérable à de futurs conflits
ou à des catastrophes naturelles telles
que des séismes ou des inondations ».
Selon le Shelter Sector, les familles
qui hébergent les personnes déplacées
par l’opération plomb durci ont atteint
un « point de rupture », après avoir
aidé leurs proches pendant plus de trois
ans. En raison du manque de fonds, ces
familles d’accueil ne reçoivent plus
d’aides de la communauté internationale.
(L’appel des Nations Unies de 415
millions de dollars destiné à financer
des projets humanitaires dans le
Territoire palestinien occupé en 2012
n’a réuni que deux tiers des fonds
demandés).
Alors que de nombreux Gazaouis n’avaient
déjà pas les moyens d’acheter des
matériaux de construction transitant par
les tunnels avant l’attentat dans le
Sinaï, les prix ont depuis augmenté de
15 à 20 pour cent, selon les chiffres de
l’OCHA. Selon Osama Kuhail, directeur du
syndicat des entrepreneurs palestiniens,
le prix de certains produits, comme le
gravier, a même parfois doublé.
L’accès restreint aux matières premières
et l’augmentation des prix ont entamé
les profits, réduit et retardé les
projets de construction (certains
entrepreneurs ont dû payer une amende
pour ne pas avoir achevé leur projet à
temps) et conduit certaines entreprises
à licencier des travailleurs, ont dit M.
Madhoun et M. Kuhail.
Les marchés sont volatiles, les
entreprises ont de plus en plus
l’impression de dépendre de la situation
des tunnels. Comme le dit M. Kuhail : «
Ils sont fermés, ils sont ouverts ; les
fournisseurs ont accès à Gaza, non, ils
n’y ont pas accès ».
« Nous ne voulons rien de plus que notre
droit, le droit d’avoir une maison », a
dit M. Madhoun à IRIN. « Pourquoi le
monde ne parle-t-il pas de la souffrance
des plus d’un million et demi
d’habitants assiégés de Gaza, qui ne
peuvent pas vivre une vie normale comme
tout le monde ? »
Nouveaux
circuits d’aide
En attendant, pour des raisons de
politique intérieure, certains pays
comme le Qatar et la Turquie peuvent
vouloir envoyer des signaux plus forts à
Israël et ont commencé à distribuer de
l’aide par le biais d’organisations non
gouvernementales islamiques ou à acheter
des produits locaux directement afin de
contourner les restrictions
israéliennes.
Le mois dernier, lors de ce qui a été la
première visite d’un chef d’État
étranger à Gaza depuis l’élection du
Hamas en 2006, l’émir du Qatar s’est
engagé à fournir une aide de 400
millions de dollars, notamment à travers
la construction de deux complexes
immobiliers (l’un d’entre eux comprenant
3 000 unités d’habitation et d’autres
établissements tels que des écoles, des
mosquées, des zones de loisir et des
parkings à Khan Younis, dans le sud de
la bande de Gaza).
Mais pour l’instant, M. Subhi, le jeune
diplômé de 24 ans, attend toujours de
pouvoir construire sa maison : « je
crois que cette situation ne va pas
durer et que les choses vont s’améliorer
», a-t-il dit.
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© IRIN 2012. Tous droits réservés.
Publié le 13 novembre 2012 avec
l'aimable autorisation de l'IRIN
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