Nouvelles et analyses humanitaires
Egypte: Quels sont les enjeux de la
nouvelle
constitution égyptienne ?
IRIN
L’entrée
de l’édifice du Parlement a été le
théâtre de sit-in, de célébrations et de
violentes répressions
Photo: Gigi
Ibrahim/Flickr
Briefing, 9 août 2012 (IRIN)
L’élaboration de la nouvelle
Constitution égyptienne – tout comme
celle des autres politiques du pays
depuis l’éviction de l’ancien président
Hosni Moubarak l’an dernier – provoque
de nombreuses tensions.
À la suite de la
suspension temporaire d’une affaire
judiciaire contre l’assemblée
constituante, celle-ci aura deux mois
pour rédiger une ébauche de Constitution
et la soumettre à un référendum national
avant sa dissolution potentielle par la
Haute Cour constitutionnelle. Certains
Égyptiens estiment en effet que la
commission chargée de la rédaction de la
Constitution a été créée illégalement et
qu’elle doit être dissoute.
Les analystes s’inquiètent que la
commission, formée de 100 membres et
dominée par les partis islamistes – mais
comprenant des parlementaires, des
juristes et des représentants des
institutions de l’État –, n’accorde pas
l’attention nécessaire aux questions qui
définiront l’avenir du pays.
« Nous avons cruellement besoin d’une
Constitution qui reconnaît les droits de
tous les citoyens, indépendamment de la
religion qu’ils pratiquent, de l’endroit
où ils vivent, de leur sexe ou de leur
âge », a dit à IRIN Gamal Zahran,
professeur de sciences politiques à
l’université de Helwan. « J’espère que
les membres de la commission sauront
mettre de côté leurs affiliations
idéologiques et tenir compte des
intérêts de leur pays. L’Égypte sortira
perdante [de la révolution] si la
nouvelle Constitution n’apporte pas la
justice sociale. »
L’élaboration de la nouvelle
Constitution est une étape importante
dans la transition vers un régime civil
organisée par le Conseil suprême des
forces armées (CSFA), qui assume le
pouvoir depuis l’éviction de Moubarak en
février 2011.
Quelle
sera la place de la religion dans la
nouvelle Constitution ?
Des membres de l’assemblée constituante
ont proposé de faire des lois de la
charia islamique le seul fondement de la
législation. L’article II de la
Constitution de 1971, en vigueur à
l’époque de Moubarak, évoquait
simplement les « principes » de la
charia. D’autres islamistes de la
commission ont envisagé de remplacer la
phrase « La suprématie est pour le
peuple » par « La suprématie est pour
Dieu seulement ». Les progressistes
s’inquiètent qu’avec l’adoption de cette
dernière phrase, toute opposition future
soit considérée comme une hérésie et que
la règle de droit en pâtisse.
Les perspectives sont aussi sombres pour
les quelque 9 millions de chrétiens
d’Égypte (environ 10 pour cent de la
population). Ces derniers souhaitent que
la Constitution leur reconnaisse le
droit de construire des églises,
d’occuper des postes de direction et
d’être jugés selon les règles de leur
propre religion, en particulier en ce
qui concerne les affaires de mariage, de
divorce et d’héritage.
« Si les lois de la charia sont
appliquées, les chrétiens ne seront pas
considérés comme des citoyens de premier
ordre », a dit à IRIN Kamal Zakhir, un
important défenseur des droits des
chrétiens. « Nous ne voulons pas
continuer de souffrir alors que la
révolution aurait dû faire de l’Égypte
une terre accueillante pour tous ses
habitants. » M. Zakhir est allé jusqu’à
dire que de graves violences sectaires
pourraient se produire si la nouvelle
Constitution ne reconnaissait pas les
droits des chrétiens.
Selon les islamistes de l’assemblée
constituante, comme le salafiste Yasser
Borhami, les chrétiens n’ont aucune
raison de s’inquiéter. « Dans
l’histoire, les chrétiens ont toujours
vécu dignement lorsque la charia était
appliquée », a-t-il dit à IRIN.
Quels
seront les changements apportés au rôle
du président ?
La Constitution de 1971 accordait des
pouvoirs illimités au président
égyptien. Il dirigeait à la fois le
Conseil judiciaire suprême, le Conseil
suprême des forces armées et le Conseil
national de sécurité. Il pouvait nommer
un tiers des membres du Sénat et
plusieurs membres de la chambre basse du
Parlement. Il avait le pouvoir de nommer
et de licencier les ministres, les
gouverneurs et le chef des services de
renseignements ; de signer des accords
avec d’autres pays sans consulter le
Parlement ; de dissoudre le Parlement à
tout moment ; et de nommer les
rédacteurs en chef des journaux et les
directeurs des chaînes de télévision
d’État. Le président était nommé à vie
et pouvait cumuler un nombre illimité de
mandats de six ans. (En 2005, Moubarak a
cédé aux pressions des pays occidentaux
et organisé des élections
présidentielles, mais la Constitution de
l’époque ne l’obligeait pas à le faire.)
« Je crains que la Constitution
ne favorise les organisations
caritatives au détriment des
organisations de défense des
droits…Après tout, elles ne
critiquent pas le gouvernement
et s’occupent de nourrir ceux
qui ont faim à sa place »
|
Selon Mahmud Hanafi, professeur de
sciences politiques à l’université de
Zagazig, la nouvelle Constitution
devrait éliminer la plupart de ces
pouvoirs et laisser aux futurs
présidents des pouvoirs qui n’en font
pas « de nouveaux pharaons ». La
commission a indiqué que la nouvelle
Constitution limiterait l’exercice de la
présidence à deux mandats de cinq ans.
Selon Salah Abdel Maaboud, un membre de
la commission issu du parti salafiste
Al-Nour, la nouvelle Constitution
dépouillera aussi le président du droit
de dissoudre le Parlement sans soumettre
sa décision à un référendum national.
L’état d’urgence devra par ailleurs être
approuvé par le Parlement et ne durer
que six mois, a-t-il ajouté. (L’état
d’urgence instauré en Égypte en 1981
après l’assassinat du président de
l’époque, Anouar al-Sadate, n’a été levé
qu’en 2012.)
Quel sera
le rôle de l’armée ?
L’armée est devenue une force politique
importante depuis l’éviction de
Moubarak. Elle a organisé et supervisé
la transition, nommé le premier ministre
et les membres du cabinet en prévision
des élections présidentielles de juin et
assuré la sécurité intérieure du pays.
L’armée souhaite que la nouvelle
Constitution maintienne son statut
spécial afin qu’elle puisse bénéficier
du plein contrôle de son budget, acheter
des armes et sauvegarder ses intérêts
économiques, qui incluent des usines en
tout genre, des voitures à l’eau
minérale. Or, les militaires doivent
faire face à la résistance des
islamistes.
« Tout le monde a du respect pour
l’armée, mais personne n’acceptera que
l’armée fasse partie intégrante de la
vie politique interne de l’Égypte », a
dit Khalid Saeed, un leader salafiste. «
Le mandat de l’armée est de défendre les
frontières de notre pays, et non pas
d’être un État dans l’État. »
Dans le contexte de la montée de
l’islamisme qui a suivi la révolution,
l’armée souhaite obtenir le droit
constitutionnel de protéger le caractère
laïc de la République arabe d’Égypte –
une position que partagent de nombreux
progressistes et partisans de la
laïcité. Le chef du CSFA, Hussein
Tantawi, a affirmé à plusieurs reprises
que l’armée ne laisserait pas l’Égypte
se transformer en théocratie.
Pourquoi
les droits socio-économiques sont-ils
négligés ?
Les rôles de la religion et de l’armée
ont occupé une place prédominante dans
le discours public au sujet de la
nouvelle Constitution et éclipsé la
question des droits socio-économiques.
« [Étant donné] leur urgence et leur
importance, pourquoi les droits sociaux
et économiques sont-ils tombés dans
l’oubli ? »,
a écrit Amr Adly, directeur de
l’Unité de justice économique et sociale
de l’Initiative égyptienne pour les
droits de la personne (EIPR), dans le
quotidien égyptien Al-Masri Al-Youm.
La Constitution actuelle ne fait aucune
mention du droit au logement, par
exemple, et elle n’a pas été amendée
pour inclure les nouveaux droits adoptés
au cours des 40 dernières années, comme
le droit à l’eau et à la terre et les
droits environnementaux, a dit M. Adly.
Elle n’offre pas non plus de « mécanisme
clair » permettant l’application de ces
droits par l’État.
« Vu la nature de la transition, on a
fait très peu de place à d’éventuels
changements socio-économiques profonds
ou radicaux », a dit M. Adly.
Les femmes
sont-elles impliquées dans le processus
?
Après avoir joué un rôle tout aussi
important que les hommes dans la
révolution, les femmes n’ont obtenu que
8 sièges sur 498 au Parlement – qui a
été dissous depuis. Le nouveau cabinet,
qui a prêté serment le 2 août, comprend
deux femmes sur un total de 35
ministres. L’assemblée constituante ne
compte que six femmes parmi ses membres.
Photo:
Heba Aly/IRIN |
Les
Égyptiennes veulent inclure le
droit à la représentation
politique des femmes dans la
nouvelle Constitution |
« Cela montre qu’il n’y a pas de réelle
volonté d’encourager l’autonomisation
des femmes, ni même de rédiger une
Constitution qui leur accorde des droits
», a dit Mona Ezzat, une militante qui
défend les droits des femmes au sein de
l’ONG locale New Woman Institution. Les
défenseurs des droits des femmes
réclament l’introduction d’articles
spéciaux prévoyant l’égalité des chances
en matière d’emploi, l’autonomisation
politique et une meilleure
représentation au Parlement. Ils
souhaitent aussi que la Constitution
interdise la discrimination liée au
sexe, le harcèlement sexuel et la
violence physique.
Certains s’inquiètent que la montée de
l’islam politique se fasse aux dépens
des femmes. L’an dernier, certains
partis islamistes ont refusé de mettre
les photos des candidates féminines sur
les affiches à l’occasion des élections
législatives. Des prédicateurs
salafistes ont par la suite interdit aux
femmes d’élever la voix au Parlement
sous prétexte que cela allait à
l’encontre des enseignements de l’islam.
« C’est la mentalité de ceux qui vont
rédiger notre nouvelle Constitution », a
dit Mme Ezzat. « Si les femmes ne sont
pas reconnues comme des citoyennes à
part entière dans la nouvelle
Constitution, les contrevenants auront
toute liberté de les victimiser encore
plus. »
Quelles
sont les perspectives pour la société
civile ?
Dans les mois qui ont suivi la
révolution, les organisations de la
société civile, et notamment les groupes
de défense des droits de l’homme et de
la démocratie, ont été victimes de ce
qu’elles ont décrit comme une campagne
du gouvernement pour ternir leur
réputation en les accusant de recevoir
du financement des gouvernements
étrangers pour déstabiliser l’Égypte. Le
gouvernement a fait des descentes dans
leurs bureaux et a même envoyé certains
dirigeants devant les tribunaux. Ces
organisations souhaitent que la nouvelle
Constitution reconnaisse leur rôle de
partenaires du gouvernement pour le
développement économique et social du
pays. Elles réclament par ailleurs le
droit de fonder librement des ONG, de
mettre sur pied des projets et de
travailler sans restriction.
« Les ONG peuvent faire le lien entre le
gouvernement et le peuple parce qu’elles
sont mieux équipées pour établir le
contact avec les habitants de l’ensemble
du pays », a dit Shady Amin, directeur
général de l’ONG locale Al Haq Centre
for Democracy and Human Rights. « Au
lieu de pratiquer la répression envers
les ONG, le gouvernement devrait
réfléchir à la manière dont il pourrait
utiliser ces ONG pour améliorer la vie
des Égyptiens. »
M. Amin s’inquiète cependant que le
lobbying pratiqué par les ONG pour
protester contre les violations des
droits de l’homme qui ont été commises
depuis la révolution les ait fait
paraître comme une menace aux yeux de la
nouvelle administration.
« Je crains que la Constitution ne
favorise les organisations caritatives
au détriment des organisations de
défense des droits », a dit M. Amin. «
Après tout, elles ne critiquent pas le
gouvernement et s’occupent de nourrir
ceux qui ont faim à sa place. »
Quelles
sont les perspectives pour les enfants ?
La détérioration des conditions
sécuritaires après la révolution a donné
lieu à une augmentation du nombre
d’actes de violence dans l’ensemble de
l’Égypte, ouvrant aussi la voie aux
enlèvements et à l’exploitation
des enfants. Par ailleurs, selon un
rapport récent publié par le
département d’État américain, un nombre
croissant de parents obligent leurs
filles mineures à se marier de manière
temporaire avec de riches touristes
arabes, en particulier dans les régions
rurales.
Dans ce contexte, les organisations de
défense des droits des enfants réclament
l’introduction d’articles visant à
protéger les enfants, et notamment
l’interdiction du travail et du mariage
des enfants. Elles souhaitent également
que la Constitution oblige les
institutions d’État à trouver des
solutions pour venir en aide aux
centaines de milliers d’enfants qui
vivent dans la rue.
« Cela est nécessaire, surtout en
l’absence d’institutions publiques qui
défendent efficacement les droits des
enfants », a dit Mahmud Al Badawi, qui
dirige l’ONG locale Egyptian Society for
the Assistance of Juveniles and Human
Rights.
Que
réclament les travailleurs ?
Depuis la révolution, des centaines de
milliers de travailleurs sont descendus
dans la rue, ont manifesté devant les
bureaux du gouvernement et organisé des
grèves pour réclamer des augmentations
de salaire, de meilleures conditions de
travail et des relations plus
équilibrées entre employeurs et
employés.
Le Centre égyptien pour les droits
économiques et sociaux a dénombré 271
manifestations et grèves organisées par
des travailleurs dans les 15 premiers
jours de juillet seulement.
« Les conditions des travailleurs sont
si mauvaises qu’on ne peut les laisser
aux griffes des employeurs sans leur
donner une protection constitutionnelle
», a dit Fatma Ramadan, cadre supérieure
au sein de la Fédération égyptienne des
syndicats indépendants.
Mme Ramadan souligne par ailleurs les «
énormes disparités de revenu » entre les
travailleurs et l’absence de recours
légal pour les employés victimes de
licenciement abusif.
Elle appelle à l’élaboration d’une
Constitution fixant les salaires minimum
et maximum, prévoyant des mesures de
protection contre les licenciements
abusifs et garantissant le droit de
constituer des syndicats indépendants et
le droit de faire la grève et de
manifester pacifiquement.
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réservés.
Publié le 9 août 2012 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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