Opinion
Israël et la
montée des islamistes en Egypte
Hicham Mourad
Mercredi 14
décembre 2011
Pour la deuxième fois en deux jours, des
dirigeants des Frères musulmans ont
évoqué leur volonté de revoir l’accord
de paix conclu avec Israël en 1979.
Vendredi, le vice-président de leur bras
politique, le Parti Liberté et Justice
(PLJ), Essam Al-Erian, a expliqué que
les conditions ont changé depuis la
signature de cet accord, il y a plus de
32 ans, et que sa modification serait
nécessaire pour qu’il réponde mieux aux
intérêts de l’Egypte, sans indiquer
cependant quel type d’amendements serait
souhaitable. L’Egypte avait récemment
demandé, et obtenu d’Israël, des
dérogations dans les annexes concernant
sa présence militaire dans le Sinaï,
frontalier de l’Etat hébreu, pour mieux
contrôler la situation sécuritaire,
contenir une poussée fondamentaliste et
prévenir les activités de contrebandes
transfrontalières avec la bande de Gaza.
La prise de position de la confrérie,
soutenue d’ailleurs par les formations
libérales et séculières, mécontentes de
la quasi-démilitarisation de la
presqu’île, synonyme d’atteinte à la
souveraineté nationale, a alimenté les
craintes de l’Etat juif, qui appréhende
l’accession des islamistes au pouvoir en
Egypte, après leur percée spectaculaire
dans la première phase des législatives.
Dirigeants et observateurs israéliens
ont abondé dans l’expression de leurs
craintes. Le ministre de la Défense,
Ehud Barak, a qualifié les résultats de
la première phase de « très, très
troublants » alors que d’autres
parlaient de « séisme ». Tous
exprimaient leurs inquiétudes quant au
sort du traité de paix et des rapports
avec l’Egypte postrévolutionnaire. Les
Israéliens s’accordent cependant à dire
que les risques ne sont pas pour demain.
Les Frères, pragmatiques et se voulant
rassurants, ont nié avoir l’intention
d’abroger le traité de paix et indiqué
que l’introduction de modifications à ce
dernier ne serait pas une décision
unilatérale prise par la confrérie, mais
d’un commun accord avec les prochains
président, gouvernement et Parlement
égyptiens. Pour eux, cette question,
tout compte fait, ne fait finalement pas
partie des priorités des Frères
musulmans, qui cherchent d’abord à
résoudre la crise économique et
améliorer le niveau de vie des
Egyptiens.
Bien que conscient de cet ordre de
priorités, Israël redoute à long terme
les véritables intentions des Frères et
des salafistes, arrivés en deuxième
position dans la première phase des
législatives, et doute que leur but
ultime serait de le « détruire ».
Consistant avec l’esprit d’« assiégé »,
l’Etat hébreu craint, au-delà de la
conjoncture actuelle de l’Egypte, une
montée de l’islamisme dans la région, à
la faveur du « Printemps arabe ». Il
cite à l’appui, outre la victoire
prévisible des Frères en Egypte, les
résultats des derniers scrutins en
Tunisie et au Maroc, où des partis
islamistes sont arrivés en tête,
respectivement Ennahda et le Parti
Justice et Développement (PJD). Tel-Aviv
met sciemment, pêle-mêle, tous les
islamistes dans le même panier, feignant
d’ignorer qu’Ennahda et le PJD sont deux
partis modérés, au même titre que le
PLJ. Et alors que les Frères musulmans
n’ont jusqu’ici remis en cause l’accord
de paix avec Israël, celui-ci assure
qu’une fois bien assis dans leur
pouvoir, les islamistes égyptiens ne
manqueraient pas d’abroger le traité de
paix et d’expulser l’ambassadeur
israélien du Caire. Les inquiétudes des
Israéliens sont doubles. D’abord,
l’impact de la victoire islamiste aux
élections en Egypte sur les rapports
bilatéraux. Ils évoquent à cet égard
l’attaque populaire contre l’ambassade
d’Israël au Caire, en septembre, à la
suite du meurtre par l’armée israélienne
de cinq militaires égyptiens dans le
Sinaï. Une attaque qui a obligé
l’ambassadeur et le personnel de la
chancellerie à quitter le pays et Israël
à chercher activement un autre lieu plus
sûr pour son ambassade qui soit mieux
protégé contre les mouvements de foule.
L’autre crainte est que la victoire des
Frères musulmans en Egypte ferait des
émules dans toute la région, notamment
dans les pays voisins d’Israël, en
Jordanie et en Syrie, et revigorerait le
Hamas palestinien, qui est une émanation
de la confrérie égyptienne, avec
laquelle il maintient des liens étroits.
Les craintes d’Israël s’expliquent par
le fait que le traité de paix avec
l’Egypte constitue la pierre angulaire
de sa politique régionale, un gain
inestimable qui lui a permis d’écarter
le plus grand pays arabe de la
confrontation militaire
arabo-israélienne et de disposer ainsi
d’une plus grande liberté d’action sur
les autres fronts du conflit,
palestinien, contre le Hamas, et
libanais, contre le Hezbollah. Sans
parler de la Syrie ou, plus loin, de
l’Iran. De l’aveu même des responsables
israéliens, le traité a permis d’alléger
la pression militaire, de réduire le
budget de l’armée et contribué à
améliorer le niveau de vie des
Israéliens en permettant la réallocation
de ces économies à des secteurs
économiques et civils.
Traduisant ces peurs, l’armée
israélienne a commencé à mettre au point
divers scénarios militaires dont la
possible abrogation du traité de paix et
la transformation de l’Egypte en un «
ennemi potentiel ». Le chef
d’état-major, Benny Gantz, a présenté
ces scénarios au cabinet restreint de
sécurité, soulignant le risque d’une
sérieuse dégradation des relations avec
l’Egypte, une fois investi un
gouvernement issu des élections
parlementaires. De son côté, le
directeur général du ministère israélien
des Affaires étrangères, Rafael Barak, a
établi plusieurs groupes de travail
chargés d’examiner les options d’Israël
face aux dangers que présente le «
Printemps arabe ». Ainsi, un premier
groupe est chargé de suivre l’évolution
de la situation politique et du
mouvement contestataire chez les voisins
de l’Etat juif, l’Egypte, la Jordanie et
la Syrie. Un deuxième groupe s’occupe
des pays d’Afrique du Nord, la Tunisie,
la Libye et le Maroc. Un troisième
groupe examine les conditions des
minorités religieuses et ethniques dans
les pays voisins d’Israël, comme les
coptes en Egypte et les Kurdes en Syrie,
et la possibilité de renforcer les liens
avec elles, en profitant de leurs
craintes de la montée des islamistes
dans leur pays. Dans le même temps, le
ministère des Affaires étrangères et le
bureau du premier ministre, Benyamin
Netanyahu, ont lancé des pages Internet
à l’usage des internautes arabes, afin
d’améliorer l’image d’Israël et réduire
l’hostilité à son encontre dans le monde
arabe. Le porte-parole de Netanyahu,
chargé des médias arabes, Ofir Gendelman,
souligne attirer des « centaines »
d’utilisateurs arabes de Twitter,
curieux de connaître les points de vue
de Tel-Aviv sur les questions de la
région.
Dirigeants et commentateurs israéliens
assurent que leur pays ne peut rien
changer à la donne dans le monde arabe,
qu’il n’a qu’à attendre de voir quelle
tournure prendront les événements, tout
en parant à toute éventualité. Les
dirigeants israéliens voient comme une
fatalité les conséquences négatives
prévisibles du Printemps arabe pour leur
pays. Ils ferment une fois de plus les
yeux sur leur responsabilité dans cette
situation d’hostilité grandissante
vis-à-vis d’Israël. Ils peuvent sans
doute changer radicalement la donne
s’ils entreprennent des pas sérieux vers
la fin de l’occupation militaire et
colonisatrice des terres palestiniennes
en Cisjordanie et du blocus de la bande
de Gaza. Une avancée significative dans
les négociations avec l’Autorité
palestinienne est de nature à enlever
aux peurs israéliennes toute raison
d’être. Les soulèvements populaires chez
les voisins d’Israël sont en train de
récrire l’histoire du monde arabe.
L’Etat hébreu doit, lui aussi, changer
s’il veut s’insérer harmonieusement dans
le concert de la région. Rendre leurs
droits aux Palestiniens en est la
condition sine qua non, qui permettrait
de dissiper les inquiétudes d’Israël.
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reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié le 14 décembre 2011 avec
l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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