Opinion
Nouvelles règles
du jeu entre l'Egypte et Israël
Hicham Mourad

Mercredi 7
septembre 2011
Les
rapports entre l'Egypte et Israël ne
seront plus jamais comme avant. Les
règles du jeu semblent irrévocablement
changées. L'on s'attendait à un tel
changement depuis la révolution du 25
janvier et la conséquente chute du
régime de Hosni Moubarak. L'évolution a
commencé à prendre forme à l'occasion
des incidents frontaliers, le mois
dernier, qui ont provoqué une vive
tension entre les deux pays ainsi que
des manifestations de protestation
devant l'ambassade de l'Etat hébreu au
Caire, réclamant l'expulsion de
l'ambassadeur, voire l'annulation du
traité de paix signé depuis plus de 32
ans, le 26 mars 1979.
L'un des griefs
formulés à l'encontre de l'accord de
paix est qu'il démilitarise pratiquement
le Sinaï, restreignant par là même la
souveraineté de l'Egypte sur une partie
de son territoire. Les conséquences de
cet état étaient visibles lors des
derniers incidents qui ont montré le
vide sécuritaire exploité par des
éléments djihadistes, notamment après la
révolution. Sentant le danger qui guette
aussi bien Israël que l'Egypte, Tel-Aviv
était prompt à accéder à la demande de
cette dernière de renforcer ses troupes
dans la région frontalière qui s'étend
sur 220 kilomètres. Il a ainsi accepté
le déploiement de quelque 2 500 soldats,
puis de 1 500 supplémentaires la semaine
dernière, dans les zones B et C du
Sinaï. Des négociations sont en cours
pour renforcer davantage le nombre et
les équipements de l'armée et des
services de sécurité égyptiens.
Conformément au traité de paix qui a
divisé le Sinaï en trois zones
militaires (A, B, C), l'Egypte ne peut
déployer dans la région frontalière
(zone C) que 750 gardes-frontières avec
des armes légères. Des restrictions sont
également imposées dans la zone du
centre (B). Toute modification de
l'annexe militaire de l'accord qui régit
la présence de l'armée égyptienne au
Sinaï doit être soumise à l'approbation
des deux parties.
L'impact des incidents
frontaliers qui ont provoqué le meurtre
par l'armée israélienne de cinq
militaires égyptiens est allé bien
au-delà de la question de la sécurité du
Sinaï pour jeter leur ombre sur
l'ensemble des relations entre les deux
pays. L'Etat hébreu redoute un
durcissement de la politique du Caire à
son égard, voire la remise en cause de
leurs rapports, après l'installation
d'un nouveau pouvoir. Pour limiter les
dégâts, Israël serait disposé à une
large révision des clauses de l'annexe
militaire portant sur la
démilitarisation du Sinaï. Il est
également désireux de lancer un
« dialogue stratégique » avec L'Egypte -
jugé « prématuré » par cette dernière -
sur les principaux problèmes entravant
les rapports bilatéraux. Le but étant
d'éviter que le traité de paix soit une
question de surenchère pour les
candidats aux prochaines législatives et
présidentielles en Egypte, endommageant
davantage des rapports bilatéraux déjà
tendus. Israël, pour réussir cette
stratégie, compte sur le soutien des
Etats-Unis. Ceci explique le silence
observé par Tel-Aviv, malgré son
inquiétude, vis-à-vis de l'annonce par
le Pentagone, en juillet, de la vente de
120 chars Abrams à l'armée égyptienne.
Washington, de son côté, semble aussi
tenir à poursuivre son aide militaire à
l'Egypte, malgré la récente tension
entre les deux pays, afin de garder un
moyen de pression sur le Conseil suprême
des forces armées, au pouvoir, le
gouvernement intérimaire et le prochain
pouvoir.
Les craintes d'Israël et son
désir d'éviter une dégradation de ses
rapports avec Le Caire tiennent à sa
prise de conscience que la révolution du
25 janvier a créé une nouvelle réalité.
Les nouveaux dirigeants égyptiens sont
plus à l'écoute de leur opinion
publique, sensible aux politiques
israéliennes envers non seulement
l'Egypte, mais aussi les Palestiniens.
Entre l'Egypte et Israël, les rapports
ne sont pas uniquement bilatéraux, mais
aussi trilatéraux, incluant les
Palestiniens. Les dirigeants israéliens
sont conscients que les difficultés avec
l'Egypte ne font que commencer et que le
prochain pouvoir égyptien sera plus
ferme avec Tel-Aviv, car il devrait
rendre des comptes à son électorat. Un
pouvoir démocratiquement élu en Egypte
sera plus en phase avec les sentiments
populaires et, de ce fait, moins enclin
à coopérer avec Israël dans des
questions impopulaires telles que le
bouclage de la bande de Gaza.
Il agira
aussi comme un frein aux agressions
israéliennes contre les Palestiniens. Le
ministère égyptien des Affaires
étrangères a fait savoir à l'Etat hébreu
que la politique de l'ancien régime
tolérant les exactions israéliennes
contre les Palestiniens ne serait plus
acceptable. Il est ainsi établi que le
gouvernement de Benyamin Netanyahu a
accepté à contrecœur de limiter ses
derniers raids contre la bande de Gaza,
lancés en représailles aux attaques
frontalières contre des Israéliens à
Eilat fin août, pour ne pas exacerber la
crise avec l'Egypte. Le premier ministre
israélien a refusé les appels d'autres
membres du gouvernement, notamment le
ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, pour un bombardement
massif de Gaza, après avoir reçu
plusieurs messages de l'ambassade
d'Israël au Caire soulignant le climat
résolument anti-israélien en Egypte et
avertissant que l'escalade de la
violence contre les Palestiniens
provoquerait une plus importante
détérioration des rapports avec Le
Caire.
Les dirigeants israéliens se
rendent compte au fur et à mesure que
les temps ont changé, qu'ils doivent
désormais traiter l'Egypte avec plus de
respect et que la politique du
laisser-aller pratiquée par l'ancien
régime est révolue. Certes, ils savaient
que l'Egypte, après le soulèvement
populaire, n'aurait pas la même réaction
que celle à laquelle ils étaient
habitués du temps de Hosni Moubarak. A
l'époque, les directives étaient claires
de contenir tout incident bilatéral et
de ne pas en faire l'écho dans la
presse. Mais ils étaient surpris de voir
l'ampleur de la protestation et de
l'hostilité exprimées par la population
et la difficulté pour les autorités
égyptiennes d'en contenir les
manifestations. Dès lors, le constat est
simple : tant que perdureraient les
mêmes politiques israéliennes à
l'encontre de l'Egypte et des
Palestiniens, Tel-Aviv devrait
s'attendre à davantage de difficultés
avec l'Egypte.
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reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié le 9 septembre 2011 avec
l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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