Opinion
Tunisie, la bonne
affaire
Hedy
Belhassine
La Marina de Yasmine Hammamet - Photo:
Tunisie.fr
Mardi 21 août
2012
Plage de la Marsa.
Le soleil fait la grasse matinée. La mer
chuchote deux ou trois petites vagues
pour distraire les ripatons d’un couple
d’amoureux assis sur le rivage. Plus
loin une imposante Belphégor couverte de
tissu noir entraine vers le bain un
garçonnet apeuré qui pousse des cris de
détresse. Un Monsieur ventripotent
arpente la plage d’un pas pressé, l’air
important comme si le sable était le
sien. Il croise un maigrichon à
casquette poussant un vélo rouillé. Une
jolie fille en bikini, de l’eau
jusqu’aux genoux marche en levant la
jambe. Un vilain chien jaune la suit en
aboyant. Il est neuf heures, le plagiste
se réveille et branche la sono. Une
suave mélopée libanaise couvre le
clapotis des vagues.
Sur le sable humide mes enfants jouent à
forer des trous : les puits de la
révolution, sitôt creusés sitôt
effondrés. Mon esprit divague. Le lieu
s’y prête. Je pense aux propos que je
pourrais tenir à un aréopage
d’investisseurs internationaux.
Ne craignez pas les barbus ! Ils sont
vos alliés objectifs…. !
Les plus radicaux d’entre eux n’ont
jamais envisagé de nationalisations des
banques ! Certes, ils sont capables de
détruire des chefs d’œuvres de l’art
antique au Mali ou en Afghanistan, mais
ils ne s’attaqueront jamais au mur des
lamentations ni à celui de l’argent !
La charia c’est l’assurance tous risque
qui protège le capital, la propriété, la
liberté du commerce et l’exploitation de
l’homme par l’homme.
Observez les indicateurs des Etats
musulmans : forte croissance, faible
fiscalité, forte corruption, faible
redistribution. Les pauvres y sont de
plus en plus nombreux, les riches y sont
de plus en plus riches. « Mektoub, c’est
la volonté d’Allah ! »
L’islamisme Arabe c’est le capitalisme à
l’état pur, dépouillé de la démocratie
et des droits de l’homme.
L’Arabie Saoudite est l’étalon suprême,
le Qatar est la version actualisée.
Ici, le laboratoire tunisien expérimente
à dose homéopathique le modèle
démocratique Canada Dry qui a fait ses
preuves en Asie notamment en Turquie,
Indonésie et Malaisie.
Le parti Ennahdha est en train de mettre
en œuvre par petites touches un ordre
religieux qui prévaudra sur le droit des
hommes et un droit des hommes qui
prévaudra sur celui des femmes. Quelques
concessions seront faites aux séculiers
libéraux-de-gauche car ils ne
représentent pas une menace sérieuse
pour la majorité du parti de Dieu.
Le nouveau pouvoir entend bien conserver
l’arsenal juridique si bien rôdé par Ben
Ali. En particulier, toutes les lois
pénales qui permettent de mettre un
quidam en prison au motif qu’il aurait
toussé trop fort. Déjà, en cette période
d’entre chien et loup, des blogueurs,
des poètes, des buveurs, des dragueurs,
des humoristes, des artistes, et autres
empêcheurs de tourner en rond ont été
embastillés. Même la maman du héros
national Mohamed Bouaziz s’est retrouvée
au trou ! La police a fait son travail.
La magistrature a appliqué les textes.
Les militants des droits de l’Homme ont
été reçus avec déférence par un membre
respectable du gouvernement qui s’est
drapé des vertus de Montesquieu sur la
séparation des pouvoirs. Il y a trois
ans ce ministre était en prison, la même
délégation de militants était venue chez
son prédécesseur pour plaider sa cause…
elle avait entendu le même discours !
Michel Jobert, brillant ministre
français des affaires étrangères
observait au siècle dernier, que
l’islamiste était un luxe que seuls les
pays riches peuvent se permettre.
Pourtant, le parti Ennahdha a décidé de
l’offrir à la Tunisie. Comment ? Mais en
hypothéquant la révolution à Wall Street
et en appliquant un business plan ultra
libéral et hallal pardi !
Le pays dispose d’actifs négociables.
Des infrastructures territoriales
modernes (eau, électricité, routes,
ports, aéroports) un maillage de
services publics performant (écoles,
universités hôpitaux) un tissu
industriel compétitif (pétrochimie,
textile, mécanique, tourisme,
informatique…) Enfin et surtout, la
population est aussi bien formée que mal
payée. Le régime « provisoire »
postrévolutionnaire l’a dissuade de
toute nouvelles velléités : «
journalier, ouvrier, employé, chômeur,
tu auras beau crier, menacer, t’immoler
; ça ne servira à rien. Le guichet de la
révolution est fermé. On veut bien
discuter de tout : de la femme, du
drapeau, de l’amnistie, de la
constitution, des balles en
caoutchouc….mais d’économie sociale, de
hausse des salaires, de redistribution
des richesses, de participation,
d’autogestion….NON ! »
La nouvelle classe politique au pouvoir
qui a longtemps souffert d’inconfort est
avide, elle veut s’enrichir. Alors, dans
les belles villas qui surplombent la
baie de Sidi Bou Saïd quelques
intermédiaires s’y emploient. Les
contrats de représentation signés entre
les multinationales et le clan Ben Ali
ayant été dénoncés pour cause de force
majeure des opportunités juteuses sont à
saisir car la nature des affaires a
horreur du vide.
Pour satisfaire les appétits et «
relancer la croissance » un grand
mouvement de privatisation est
programmé. Après le téléphone, les
sociétés nationales de l’eau et de
l’électricité sont des pépites hautement
convoitées. Il y a aussi les transports,
la santé, les domaines forestiers, les
terres, le désert…Oui le désert tunisien
dont l’énergie solaire produira de
l’électricité à l’Europe dans moins de
dix ans. Les sites archéologiques
seront-ils concédés ? Le Colisée romain
d’El Djem intéresse l’industrie des
parcs à thème. L’île de Zembra est
promise aux Chinois, mais les Qataris
font monter l’enchère ! Même les ordures
ménagères font rêver les opérateurs
privés. La Tunisie est devenue une vaste
déchetterie à ciel ouvert que le
tourisme ne tardera pas à fuir si rien
n’est fait. En attendant Véolia, l’Etat
tunisien depuis dix ans, faire semblant
d’agir en distribuant des ballets de
branchage aux éboueurs.
Mais le secteur le plus prometteur de
cash est celui de l’immobilier pour le
troisième âge européen.
De tout le bassin méditerranéen, le
tunisien est le moins cher. A mille
euros le mètre carré, vous foulez le
marbre de votre salon en regardant la
mer. Rapport qualité/prix imbattable. La
marina d’Hammamet est dix fois plus
abordable que la Grande Motte ! Pour le
prix d’une cabane de cantonnier dans le
Lubéron vous pouvez acquérir un diar de
rêve dans la Médina de Tunis ou de
Bizerte. Sur la futur Riviera du Jasmin,
des zones entières de paradis vierges
attendent qu’enfin, les
promoteurs-bétonneurs de tous les pays
s’unissent.
Gens d’expérience et de sagesse les
retraités français l’ont compris. Ils
s’installent en Tunisie par milliers.
Ils y sont encouragés par une convention
fiscale franco-tunisienne signée il y a
cinq ans qui leur permet de bénéficier
d’un abattement d’impôt de 80% sur leur
pension. Oui, vous avez bien lu quatre
vingt pour cent.
A ce tarif, même Jeannine a accepté de
porter le voile !
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