Opinion
Tunisie: la
révolution d'Octobre
Hedy
Belhassine
Mardi 18 octobre
2011
A l'exception de
quelques prophètes, personne n’avait vu
venir le soulèvement de Janvier, mois
habituellement sans printemps ni jasmin.
Afin que nul ne soit pris au dépourvu,
la Tunisie a décidé que la prochaine
révolution aura lieu en Octobre,
solstice d’un nouveau calendrier dont le
peuple choisira la saison qui suivra.
La campagne électorale a été
passionnément médiocre. Le chômage,
l’injustice, les disparités qui rendent
la vie dure au quotidien dans le plus
beau pays du Monde, n’ont pas été au
centre des débats. Certes l’enjeu du
scrutin porte sur la désignation des
rédacteurs de la future constitution.
Mais cette longue étape était-elle bien
nécessaire ? Les britanniques n’ont pas
de constitution, la république
parlementaire israélienne non plus. Les
juifs intégristes se sont toujours
opposés à l’adoption d’un texte
supérieur à la Torah. Israël ajourne
sans cesse l’adoption d’une constitution
depuis…1948! Espérons que les
constituants tunisiens seront plus
véloces mais ce n’est pas gagné
d’avance...
Car dans un pays où tous les actes
solennels s’accomplissent au Nom (bismi)
d’Allah, l’omni présence de Dieu dans la
campagne électorale était inévitable.
Toutefois, le clivage mosquée/bistro ne
saurait porter un modèle de société. A
focaliser le débat sur la religion, le
paysage politique reste flou et au terme
d’une campagne de plusieurs mois, il est
bien difficile de situer les courants
politiques sur l’éventail. L’islamisme
de droite est-il soluble dans le
sécularisme libéral, celui de gauche
dans le socialisme ? Où se cache
l’opportunisme caméléon de l’ancien
régime ?
La Tunisie libre se joue de la peur des
deux modèles qu’elle récuse : l’Occident
immoral et l’Orient rétrograde. Le fait
que Ben Ali soit l’hôte de l’Arabie
Saoudite ajoute à la confusion des
esprits. Ses partisans ont multiplié les
incidents, instrumentalisant de
vrais-faux barbus illuminés. Déjà en
1987, pour préparer son coup d’Etat, le
petit général- alors ministre de
l’intérieur de Bourguiba -avait
multiplié les provocations pseudo
islamistes en organisant des attentats à
l’explosif et au vitriol, il avait même
mis en scène l’attaque de sa propre
voiture sur le chemin de Monastir ! Les
tontons macoutes du satrape ont
récidivé. L’Histoire fera reproche au
gouvernement transitoire d’avoir
prolongé leur impunité.
L’avenir constitutionnel aurait pu se
contenter d’un référendum. C’était trop
simple. Et puis les révoltés de la
Kasbah réclamaient une constituante.
Alors les très nombreux et très
brillants juristes ont choisi un mode de
désignation à la mesure de leurs
immenses talents.
"Le scrutin plurinominal proportionnel
au plus fort reste" est une pépite de la
science électorale, objet de nombreuses
thèses et travaux divers que résume fort
clairement un livret de la collection «
Que sais-je ? » hélas épuisé depuis
1952. Il parait qu’un opuscule de
vulgarisation de 600 pages édité à la
hâte en langue arabe et consultable sur
Facebook permet de se familiariser avec
le calcul du quotient de Hare et les
risques du syndrome d’Alabama.
En Tunisie lorsqu'on demande à quelqu'un
de montrer son oreille, la personne
lance le bras droit au dessus de sa tête
pour saisir son oreille gauche. Avec
1500 listes et près de 10 000 candidats,
le sport démocratique s’annonce de haute
compétition. Mais les tunisiens peuvent
le faire !
Pourtant, ce mode de sélection, qui
prête à l’ironie facile, est
incontestablement le plus démocratique
et le plus équitable qui soit après
celui du tirage au sort. Il permettra
l’élection d’une assemblée mosaïque
fidèlement représentative de la centaine
de micro partis dont un grand nombre ne
portent que l’ambition personnelle de
leur chef qui sont condamnés d’avance à
s’entendre ou se vendre.
Qu’importe, le processus démocratique
est en marche, nul ne pourra l’arrêter
ni contester les résultats du 23 octobre
(hormis les mathématiciens). Le pouvoir
de la nouvelle assemblée sera
considérable. Il lui reviendra de
construire le socle de la seconde
république, mais aussi de désigner
l’exécutif qui devra résoudre tout, tout
de suite, sous peine de récidive
meurtrière.
Le coup d’état n’est à craindre que de
l’étranger.
Washington a été clair: Il respectera le
verdict des urnes. Alger est muet.
Tripoli n’a pas encore mué. Paris est
inaudible.
Sans doute encore l’otage des affaires
d’un passé trop récent, la capitale
française guette surtout la reprise des
bonnes affaires.
Il y a quinze jours, Boulevard du
Montparnasse, à la très chic Closerie
des Lilas, le ministre tunisien du
tourisme pérorait en aimable compagnie.
Il évoquait les perspectives
d’élargissement du Maghreb à ... Israël.
Ses invités, un ministre et un ancien
premier ministre français se pâmaient.
On était si loin des oreilles de
l’électeur de Bir El Hafay et de
Takrouna.
La République Tunisienne n’a toujours
pas d’ambassadeur accrédité en France.
Le poste est vacant depuis huit mois,
c’est du jamais vu depuis la guerre de
Bizerte il y a cinquante ans ! Rue
Barbey-de-Jouy, l’ambassade de Tunisie a
été vidée de ses meubles de prix :
emportés par « la famille ». Aux côtés
de quelques fonctionnaires de la
carrière, une centaine de policiers,
sous protection diplomatique,
poursuivent tranquillement leur petit
business en veillant sur les cartons
d’archives qui leur assurent l’impunité.
Le weekend end prochain, près de trois
cent mille tunisiens du Grand Paris se
presseront autour des consulats de Paris
et de Pantin et d’une poigné de bureaux
disséminés en grande banlieue. Où sont
les autres bureaux de vote ? Comment se
déroulera le scrutin ? La communauté
tunisienne de France est en quête d’un
modus operandi qu’elle trouvera
peut-être vendredi…en sortant des
mosquées.
La classe politique française, toujours
prompt à donner des leçons, a raté une
belle occasion de coopération
républicaine.
Gageons qu’elle se rachètera en
assistant les démocrates libyens
immigrés en France pour l’élection de
leur constituante !!!!
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