Opinion
Tunisie: Allah
sera-t-il grand ?
Hedy
Belhassine
Chokri Belaïd
Vendredi 15 février
2013 A Tunis, un homme est tombé. Alors
pour vivre, le peuple de Chebbi tout
entier s’est levé.
Belaïd l’assassiné était un leader
politique dont la sincérité de
l’engagement contrastait avec les
parvenus de la révolution. Tribun
hors pair, avocat militant, c’était
une graine de zaïm dont le sacrifice
sauvera peut-être la Tunisie de la
peste fasciste.
Le jour de son enterrement, le ciel
était gris, un orage avait tonné le
tocsin, la pluie en rafale avait
lavé la ville. Un pâle rayon de
soleil a suivi le cortège porté par
cent mille hommes rugissant de
colère. Tout à coup, le silence.
L’appel de la prière. Le linceul
immaculé est déposé dans la fosse
blanchie à la chaux. Allah yarhamouhou !
La Tunisie en grève était recueillie
devant les postes de télévision. Le
ministre de la défense et le chef
d’Etat major, les seuls
représentants de l’Etat ne
parviendront pas à fendre la foule
mais chacun aura noté leur présence
singulière ainsi que celle de deux
soldats encadrant le catafalque du
martyr. Un symbole fort.
Car ce n’est pas le moindre des
paradoxes que cette cohabitation des
démocrates progressistes et de
l’armée. Le sacrifice de Chokri Belaïd a peut-être sauvé la Tunisie
de la tentation totalitaire car
depuis qu’une balle perdue s’est
fichée dans son pied, Ennahdha le
parti au pouvoir, sait que tout
nouvel attentat pourrait bien ouvrir
la porte des casernes.
Au pays du verbe, la grande muette
restée dans l’ombre de la révolution
demeure un mystère.
Ben Ali , Général-flic et mouton
noir a persécuté et humilié des
centaines d’officiers. Ils n’ont pas
bronché. Mal payés mais pas
gangrénés par la corruption. La
plupart des hauts gradés sortent des
écoles de guerre françaises et
américaines. Ils ont à leur tour
formés tous les cadres subalternes
et les sous-officiers dans les
académies tunisiennes. Les
islamistes qui manœuvrent pour les
déstabiliser ou les noyauter se sont
toujours cassé les dents. L’actuel
ministre de la défense nommé par le
gouvernement islamiste est un
brillant chercheur en médecine qui
n’a donné aucun signe de partialité.
Le Chef d’Etat Major des armées est
un héros de la révolution. La petite armée tunisienne de trente
cinq mille hommes - soit environ
vingt mille soldats opérationnels -
est « formatée »républicaine. Elle
incarne le peuple dans ses plus
profondes racines car la troupe est
constituée de conscrits par
nécessité : des sans soutien, sans
piston, sans salaire, des damnés de
la terre pour qui l’uniforme est un
refuge de dignité et la gamelle
quotidienne assurée.
Ben Ali avait condamné les officiers
au silence. Toute rencontre avec un«
civil » ou un gradé d’une arme
différente était suspectée
d’intelligence. Les taiseux résignés
n’en pensaient par moins. C’est sans
doute pourquoi, à l’heure du choix,
ils ont donné le petit coup de pouce
décisif pour expédier le dictateur
en Arabie. Mais l’armée est une faible force,
comparée aux effectifs de la police
et de la garde nationale dont le
nombre estimé dépasserait les cent
mille hommes sans compter les
indicateurs et supplétifs. Or, nul
ne sait comment la toute puissante
sureté nationale a évolué depuis la
chute du dictateur ? Sa soumission
complète aux islamistes est
incertaine alors que son hostilité
aux hommes de gauche est avérée. Le
« clientélisme »encouragé par tous
les gouvernements a fabriqué un
ensemble hétérogène incapable de
prendre une initiative et de
coordonner une opération autonome.
L’incroyable assaut de l’ambassade
des Etats-Unis en septembre 2012
prouve son absence de discernement.
De plus, le pouvoir tunisien vient
de s’aliéner la traditionnelle
coopération avec le ministère
français de l’intérieur en
s’indignant bruyamment contre la
formule de Valls sur « le fascisme
islamiste ».
Pourtant, à l’évidence, l’aile
radicale du parti Ennahdha est
coupable d’indulgence complice avec
les salafistes et les benalistes.
Au plan international, jamais le
pouvoir tunisien n’aura été autant
isolé.
Boudé par Paris et Washington,
seules quelques capitales de second
rang par opportunisme économique
fréquentent encore le pouvoir
islamiste. Le Qatar et l’Arabie se
montrent discrets depuis le coup de
semonce de la France au Sahel
interprété comme la fin de la
complaisance internationale pour
l’idéologie wahhabite subitement
devenue encombrante et inutile au
Maghreb.
Le Commandant des Etats Unis pour
l’Afrique le Général Ham avait
prédit il y a quelques mois que
l’irruption du volcan Nord Mali
projetterait des cendres
incandescentes dans toute la région.
Les interventions françaises en
Libye puis au Mali sont-elles les
premières notes d’une symphonie
d’interventions postcoloniales
concertées ? Qui arme et manipule
les trois mille marionnettes jihadistes du Sahel ? Qui est
derrière l’attaque d’In Amenas ? Qui
a téléguidé les tueurs de Chokri
Belaïd ? Le saura-t-on jamais ?
La Tunisie n’est pas seulement le
laboratoire de la démocratie
musulmane in vitro, elle est aussi
l’une des cartes de la recomposition
d’un nouvel ordre arabe
au nord du Greater Middle East dont
rêve le monde libre. C’est pourquoi
il faudra que
les tunisiens puisent dans la
sagesse des anciens pour résister
aux convoitises et cautériser
l’hémorragie qui menace.
Et c’est ainsi qu’Allah sera grand
!...
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