Opinion
Coup d'éclat
militaire en Tunisie
Hedy
Belhassine
Mercredi 5 juillet 2013
La Tunisie est assurément
révolutionnaire.
Passé inaperçu, un évènement
extraordinaire vient de ponctuer la
marche de son histoire.
Le jour de la fête de l’armée, le
Général en Chef est allé devant les
caméras de la télévision pour
expliquer trois heures durant que la
nation était en pleine chienlit et
qu'en conséquence… il présentait sa
démission !
Dans le genre, c’est du jamais vu,
du jamais rêvé même chez les plus hachischés des démocrates arabes.
Car d’habitude, ce genre d’exercice
se termine toujours par une
déclaration de prise de pouvoir,
jamais par un renoncement !
Pour ce fait d’arme Rachid Ammar
mérite une souscription populaire
pour l’édification d’un monument.
Le désormais retraité a été formé à
l’Académie Militaire inaugurée par
Bourguiba. Il a ensuite fréquenté
l’Ecole de Guerre en France. Son
parcours et ses promotions sont
typiques d’un système qui privilégie
l’ordre et la discipline.
Reconnu par ses pairs comme l’un des
plus obéissants il était au sommet
de la hiérarchie militaire à
l’époque de la fuite de Ben Ali.
Alors les politiques apeurés lui
proposèrent le pouvoir. Il refusa. A
chacun son métier dit-il. Mais
depuis, chaque fois que la
république se trouvait menacée, il
faisait sortir quelques blindés ;
non pas pour intimider, seulement
pour rassurer la population.
Ammar est intelligent, fin stratège
et bon tacticien. Dans cet épisode
Gaullien il prend une avance
politique décisive. Il était Chef
d’Etat Major muet, il est désormais
un des zaïm volubile de la nation,
il sera Chef de l’Etat élu,
peut-être ! Car comment interpréter
ce coup médiatique autrement que par
l’ambition d’affronter le suffrage
universel ? L’homme n’est pas du
genre à capituler en rase campagne.
Il a durant sa carrière manœuvré en
terrain politiquement miné. Pugnace,
réservé, il a su se hisser au sommet
de l’armée, évitant les
chausse-trappes, écartant ses
concurrents plus brillants et
surtout en évitant de faire de
l’ombre au satrape. Rien dans son
parcours récent ne permet de mettre
en doute la sincérité de son
engagement républicain et il faut
lui savoir gré d’avoir évité
d’instrumentaliser l’institution
militaire.
La petite armée tunisienne est
authentiquement populaire. La troupe
est majoritairement formée de
conscrits de la faim car le service
militaire est obligatoire pour tous
ceux qui n’ont pas les moyens d’y
échapper. Il rassemble les blédards,
les fils de sans le sou ni relations
dont l’engagement sous les drapeaux
offre la garantie d’un pain, d’une
soupe et surtout d’une dignité pour
la vie. Au pays du lucre, de la
combine, du piston et des
compromissions le militaire est une
éclatante exception. C’est pour cela
que la population vénère
l’institution. C’est pour cela aussi
que son Commandant en Chef a choisi
le jour de la fête de l’armée pour
restituer ses étoiles au peuple.
Depuis une semaine, les trois armées
terre, air, mer attendent
désespérément un nouveau chef.
L’affaire n’est pas simple car selon
la règle, c’est le Général Ammar
lui-même qui doit désigner son
successeur. Ce choix doit être
approuvé ou contesté par le Conseil
Supérieur des Armées - composé du
ministre et d’officiers généraux -,
puis être validé par le Président de
la République lequel dans cette
interminable période transitoire,
partage son pouvoir avec le
Président de l’Assemblée
Constituante et le Premier Ministre.
Chacun va tenter d’imposer son
outsider tout en cherchant à ménager
l’institution militaire très
chatouilleuse sur le respect des
procédures. Les officiers d’active
ne laisseront pas les politiques
venir semer le trouble dans leur
pré-carré. On peut également
s’attendre à ce que les deux mille
cinq cents officiers à la retraite
qui commencent à se regrouper en
associations fassent corps derrière
Ammar pour soutenir l’alternative
politique.
Houcine Abassi le Secrétaire Général
de l’UGTT la puissante centrale
syndicale forte de sept cent
cinquante mille adhérents a appelé
le Général démissionnaire à revenir
sur sa décision, ce qui vaut
soutien. Ammar peut aussi compter
sur la gauche républicaine qui
n’oublie pas qu’il fût l’un des
rares officiels à avoir accompagné
la dépouille du martyre de la
révolution Chokri Belaïd. Enfin, la
majorité silencieuse lassée par la
rhétorique stérile des leaders
politiques pourrait bien basculer en
masse derrière le nouvel homme fort
sitôt qu’il lèvera un doigt.
Dans son interview fleuve, Ammar a
dénoncé le risque de « Somalisation »
de la Tunisie, c'est-à-dire du
délitement de l’Etat par la
conjonction des volontés
destructrices intérieures du pays.
Il a stigmatisé les « terroristes »
tout en prenant soin d’invoquer les
saints marabouts. Ses propos ont
désarçonné le mouvement islamiste
dont l’aile radicale va sans doute
chercher à redoubler de mauvais
coups. Mais les soutiens extérieurs
des salafistes sont affaiblis depuis
que les vents mauvais qui
soufflaient du Qatar et d’Arabie ont
tourné et que huit mille soldats
algériens se sont déployés à la
frontière.
Par son coup d’éclat Ammar a sans
doute désamorcé un coup d’Etat et
pris le contre-pied du scénario à
l’Egyptienne. Sa posture d’homme du
recours ouvre une nouvelle
perspective singulière de la
révolution tunisienne vers la
démocratie.
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