Les raisons-prétextes de l'Occident
Iran, la
destruction nécessaire
François
Belliot
Jeudi 21 mars
2013
Au moment
où se déroule la visite historique de
Barack Obama en Israël, il convient de
jeter un regard lucide sur les forces
qui poussent, non seulement l’Etat
hébreu mais l’ensemble du système
occidental, à vouloir déclencher une
guerre contre l’Iran. François Belliot
nous propose son compte rendu de lecture
de l’essai
Iran, la
destruction nécessaire
où l’analyste international Jean-Michel
Vernochet passe en revue les
griefs-prétextes et surtout les
ambitions de l’Occident, à la lumière
des événements qui ont marqué l’histoire
récente.
Depuis 1979 et la Révolution islamique,
l’Iran se trouve dans une situation
géopolitique inconfortable. Mis au ban
des nations par les Occidentaux, saigné
par une guerre de 8 ans avec l’Irak
soutenu de l’extérieur, mis dans l’Axe
du mal par les néoconservateurs sous
George W. Bush, asphyxié par des
sanctions économiques et des embargos,
infiltré et déstabilisé par des services
de renseignements étrangers, allié à la
Syrie et au Hezbollah, accusé de vouloir
« rayer Israël de la carte »,
depuis plus d’un demi siècle l’Iran
lutte pour préserver son indépendance
dans des conditions périlleuses. Alors
que l’Iran, aux yeux de certains, semble
avoir passé les années les plus
délicates, Jean-Michel Vernochet, dans
cet essai de prospective d’une centaine
de pages, expose la thèse que la
destruction de l’Iran, à court ou moyen
terme, est inéluctable. C’est le sens du
titre de l’ouvrage : Iran, la
destruction nécessaire. L’auteur
avance et développe des faits et des
arguments à l’appui de cette prédiction,
qu’il conclut à chaque fois d’une courte
phrase en forme de leitmotiv : «
C’est pourquoi l’Iran sera détruit
».
Les fausses
raisons de l’animosité du système envers
l’Iran
Les raisons de la destruction de
l’Iran, selon l’auteur, ne sont pas
celles avancées dans les grands médias
commerciaux. Ce n’est pas le fait que ce
serait un Etat théocratique,
anachronique à l’ère de la démocratie
triomphante : « Après tout l’Amérique
n’est-elle pas elle-même une sorte de
théocratie parlementaire dont la fière
devise “In God we trust” figure au
frontispice de son fétiche, le dieu
dollar ? L’Etat d’Israël également
n’est-il pas pareillement une théocratie
déguisée puisque la Torah, la bible
hébraïque, lui tient lieu de
Constitution et représente l’une des
sources du code civil israélien ? »
(p 14). Ce n’est pas parce que la femme
y est maltraitée : « Dans cette
République islamique si souvent décriée,
les jeunes femmes apparaissent comme
tout aussi émancipées et modernes que
leurs consœurs turques des grandes
métropoles peuvent l’être ». Ce
n’est pas pour sa pratique de la peine
de mort : cet « acte qualifié de
barbare » est en effet « toujours
en vigueur dans une majorité d’Etats
[qui font partie des Etats-Unis] ».
Ce n’est pas parce que l’Iran aurait
décidé de « rayer Israël de la carte
» : jamais un tel projet n’a été
formulé, c’est une déformation d’un
propos du président Ahmadinejad, qui a
été martelée par la suite par les grands
médias occidentaux. Ce n’est pas parce
qu’il envisagerait de se doter de l’arme
atomique : Israël en est illégalement
équipé sans que quiconque s’en émeuve,
et l’Iran serait instantanément détruit
si lui venait l’idée funeste d’y
recourir.
Les vrais arguments, pour Jean-Michel
Vernochet, sont les suivants :
- L’Iran est un État-nation
indépendant : ce qui est visé, «
c’est l’Etat-nation, modèle et
concept auquel la démocratie
universelle, participative et
décentralisée, a déclaré une lutte
sans merci depuis 1945. La Nation
est en effet, depuis la Seconde
Guerre mondiale, accusée de tous les
maux, à commencer par le premier
d’entre eux : la guerre. » (p
31).
- Doué d’un État plus indépendant
que d’autres, l’Iran n’a pas encore
été pénétré par les courants du
néolibéralisme ni par l’ingérence
des multinationales : « l’idée
même de “Nation” est contradictoire
avec celle de “libre-échange” pour
laquelle portes et fenêtres doivent
disparaître. » (p 36) Or le
libre-échange et la prééminence du
capitalisme financier sur les cadres
étatiques est l’idée dominante
depuis au moins 40 ans : « Les
années 1970 marquent un tournant
dans l’histoire du capitalisme, avec
sa transmutation en capitalisme
financier qui se débarrasse
progressivement – mais rapidement,
et c’est pourquoi il faut parler de
mutation –, au cours des 4 décennies
suivantes, de toute contrainte
légale. Ceci en application des
thèses de l’anarchocapitalisme
développées par l’école de Chicago,
elle-même fondée par le Nobel Milton
Friedmann. » (p 43).
- L’Iran possède de très
importantes ressources de gaz, et le
contrôle de cette ressource
constituera un enjeu majeur au
XXIème siècle : après l’épuisement
du pétrole, « ce sont les
ressources gazières qui prendront le
relais et qui deviendront l’enjeu
majeur des luttes et des guerres
pour le contrôle de son extraction,
de son exploitation, de son
transport, de sa transformation, et
de sa commercialisation. L’Iran,
troisième détenteur des réserves
prouvées, et la Méditerranée
orientale, vont donc devenir, à ce
titre, des pôles de convoitise et
d’affrontement entre des puissances
et des blocs géopolitiques aux
intérêts divergents et rivaux »
(p 54).
- Même si cela peut apparaître
impossible car trop inhumain, les
États-Unis (qui sont la puissance
dominante d’aujourd’hui et pour qui
la destruction et le morcellement
des États-nations sont l’une des
garanties de la continuation de leur
hégémonie au XXIème siècle),
l’histoire montre qu’ils sont en
permanence mus par cette vision.
L’auteur rappelle que si au cours de
ses 236 années d’existence, les
Etats-Unis prétendent avoir partout
défendu la démocratie, « ce fut
au prix de quelques 160 guerres
extérieures avant 1940, pour la
plupart d’ingérence, d’annexion, ou
d’expansion. » Pour atteindre
leurs objectifs, les États-Unis sont
capables de recourir aux moyens les
plus discutables, et à sacrifier des
millions d’innocents, comme en Irak
: « Notons que l’option militaire
et les “human casualties” qui en
résultent (1,3 million de victimes
irakiennes (…) ne sont que rarement
l’objet d’états d’âme. Pour les
promoteurs de ce type de guerre, la
pédagogie de la “Liberté” n’a pas de
prix. Madeleine Albright, alors
secrétaire d’Etat, est créditée de
ce mot historique relatif aux
enfants d’Irak victimes de l’embargo
de 1990/2003 : “C’est le prix à
payer” » (p. 58).
Pour toutes ces raisons, selon
l’auteur, l’Iran sera nécessairement
détruit.
Le principe
de l’inertie systémique
L’originalité de l’essai de
Jean-Michel Vernochet est de mettre en
avant et de discuter le concept d’«
inertie systémique », et celui de «
logique inertielle » qui en
découle. « Il s’agit là d’un concept
majeur et sur lequel nous devons
insister » (p 41). Ce concept est
déclinable dans une multitude de
domaines. Très généralement, on peut le
définir ainsi : les différents systèmes
dans lesquelles sont emmaillés les
individus (croyance religieuse ou
partisane, appartenance nationale,
système de rémunération, code de loi,
etc.) sont surdéterminants par rapport
aux décisions individuelles. « Nous
qualifierons cette logique systémique de
logique “inertielle” en ce qu’aucune
décision humaine ne peut en abolir les
contraintes dynamique et les
conséquences à terme. » (p 74).
Au vu de l’importance du concept, et
de la place centrale qu’il tient dans sa
grille d’analyse, Jean-Michel Vernochet
en plusieurs endroits s’efforce d’en
préciser la définition. Ainsi à la page
42 :
« Un fait, un choix engageant
un processus qui se déploie de
lui-même en vertu de sa dynamique
initiale et progresse ensuite vers
l’inertie : principe des voyages
interplanétaires. ( …) Il s’agit de
déterminisme, mais limité dans le
temps et dans l’espace. Les
gigantesques investissements de
longue durée dans la recherche et
l’exploitation des énergies fossiles
dans les milieux les plus difficiles
(sables et schistes bitumeux,
forages en eaux profondes), le
formatage écrasant du fonctionnement
des sociétés industrialisés sur ce
type d’énergie et par conséquent
leur dépendance absolue à l’égard de
ces ressources énergétiques engendre
une prodigieuse inertie, celle d’un
système prisonnier de choix
énergétiques avec lesquels il est
impossible de rompre à court terme.
Les politiques extérieures des Etats
sont alors conditionnées en amont et
en aval par cette nécessité qui
tourne aujourd’hui à la malédiction.
Ce n’est pas enfoncer une porte
ouverte que de souligner cela, même
si le paramètre énergétique n’est
pas le seul à entrer en ligne de
comptes pour appréhender l’évolution
du système-monde. »
Le facteur cité spontanément dans la
définition, qu’il nomme « la roue
géoénergétique », est celui que
l’auteur développe avec le plus de
détails : le système réclame de
l’énergie, où qu’elle se trouve, au fin
fond des mers où dans un État-nation
jaloux de son indépendance. L’Iran doit
être détruit parce qu’il détient
d’énormes réserves de gaz. Ses
ressources stratégiques sont un enjeu
pour les grandes puissances et pour les
« majors » depuis un siècle.
Elles le sont encore plus aujourd’hui du
fait de leur raréfaction partout dans le
monde.
Une citation précédente en donnait
une idée : la deuxième roue soutenant la
logique inertielle du système actuel est
« la roue géoéconomique ». Cette
roue est la « montée en puissance du
marché, proportionnelle au dépérissement
des pouvoirs étatiques, autrement dit à
l’effacement de l’État qui, en Europe,
se saborde littéralement sous nos yeux
au profit de superstructures régionales
telle que la Commission de Bruxelles,
véritable gouvernement informel non élu
mais aux prérogatives de nature de plus
en plus autoritaires. » (p 65).
La généralisation du libre échange
sans contraintes, ou son imposition, la
vente des actifs publics au secteur
privé (le plus souvent à des prix
bradés), la réduction des droits des
citoyens, telles sont les mesures que le
marché s’efforce d’imposer, presque
toujours avec succès aux acteurs
étatiques, contribuant à
l’affaiblissement progressif de leur
pouvoir. Appliquées souvent dans le
cadre de « thérapies de choc »,
ces réformes réduisant le champ de la
Res Publica ont besoin pour être
appliquées de la mise en place de lois
sécuritaires toujours plus
contraignantes et souvent de l’action de
la police et de l’armée car la
population n’est jamais consultée sur le
bien-fondé de la mise en œuvre de ces
soins palliatifs qui achèvent le malade
plutôt qu’ils ne le guérissent. Au terme
du processus, on en arrive à des
situations où la seule chose qui demeure
encore de l’État, ce sont « les
politiques ultrasécuritaires nécessaires
à garantir les libertés globales des
acteurs oligopolistiques de l’hypercapitalisme
financier. » Rappelons-nous que la
lame de fond néolibérale est précisément
et symboliquement née le 11 septembre
1973 avec le renversement du président
chilien Salvador Allende et
l’installation à la tête du Chili d’un
dictateur sans états d’âme, le général
Augusto Pinochet, entouré d’une équipe
d’économistes friedmanniens tous issus
de l’école de Chicago.
Le recul du poids de l’État dans les
décisions collectives est une constante
depuis 40 ans. Rien pour l’instant ne
semble en mesure d’enrayer cette
tendance lourde, laquelle devrait donc
conserver, au moins sur plusieurs
décennies, son infreinable inertie.
L’Iran est l’un des derniers Etats à
résister résolument à cette pénétration
destructrice par les lois dissolvantes
du marché.
Le troisième facteur pointé par
l’auteur est le « facteur hégémonique
». Repartons de l’exemple de Pinochet :
l’exploitation et la captation des
matières premières des Etats-nations, de
même que la pénétration libre et sans
contraintes des acteurs privés dans
l’économie de ces mêmes Etats, ne peut
se réaliser sans le recours à la force
armée : « la troisième roue est donc
celle des moyens diplomatiques et
militaires – les deux faces d’une même
réalité – de la prise de contrôle des
sources énergétiques et des marchés, ce
qui suppose pour la puissance
hégémonique une expansion constante de
sa sphère d’influence afin d’y
consolider la “défense de ses intérêts”
».
Ainsi de multiples moyens ont été mis
en œuvre pour faire plier l’État iranien
ces dernières années :
- blocus mis en place à partir de
1979 avec gel des avoirs financiers
iraniens,
- embargo économique décrété par
les Etats-Unis en 1996,
- catalogage dans l’Axe du Mal,
- embargo total décrété par
l’Union européenne,
- assassinats ciblés de
spécialistes de l’atome en Iran,
- attaques électroniques virales
visant à miner la sûreté de l’Etat.
La dernière mesure de déstabilisation
est évidemment la guerre, et l’exemple
irakien voisin montre ce qui
s’ajouterait à ces mesures en cas
d’invasion :
- instrumentalisation des
divisions confessionnelles pour
semer les germes de la guerre
civile, campagnes d’attentats sous
fausse bannière,
- libéralisation totale du marché
- et irruption massive et
incontrôlée des grands groupes
privés,
- bref, la destruction complète de
l’État et la partition probable du
pays en entités plus petites et de
ce fait plus aisément manipulables.
Le statut
particulier des Etats-Unis d’Amérique
Le facteur hégémonique est d’autant
plus facilement lisible à notre époque
qu’une entité domine de façon outrageuse
le monde sur le plan militaire,
diplomatique, et économique. En
l’occurrence, il s’agit des États-Unis
d’Amérique, et pour être plus précis
d’un ensemble de pays dominé par les
États-Unis entourés de vassaux qui
suivent ses décisions à la baguette,
ainsi l’Union européenne.
Ce statut particulier, et la mission
hégémonique qu’elle rend possible, est
ouvertement affirmé et défendu par des
hommes politiques états-uniens de
premier plan. Vernochet cite ainsi un
article de Robert Kagan de 1996 paru
dans Foreign Affairs :
« on y lisait en toute
simplicité que l’objectif de
Washington devait être la
préservation de « l’hégémonie
américaine afin de remplir nos
responsabilités vis-à-vis de la
planète. »
Nous rappelons à ce propos que ce
projet est exprimé dans le détail noir
sur blanc dans le rapport du PNAC
intitulé Reconstruire les défenses de
l’Amérique dès 1999 et par les
propos de Mitt Romney pendant la
dernière campagne pour l’élection
présidentielle : « Dieu a choisi les
Etats-Unis pour qu’ils dirigent le
monde. »
Les deux précédentes « roues »
évoquées s’emboîtent parfaitement avec
et dans l’ambition hégémonique des
États-Unis. Une position dominante dans
le contrôle des dernières ressources
d’énergie fossile constitue un enjeu
géostratégique majeur pour la domination
du monde au XXIème siècle. Dans le cas
ou dans l’hypothèse d’une Troisième
Guerre mondiale, il sera nécessairement
décisif.
Ce facteur est surdéterminant dans le
cas des États-Unis car la stabilité de
sa monnaie est liée au fait que tous les
échanges d’énergie fossile sont
obligatoirement libellés en dollars :
« L’Amérique demeure (…), en
dépit de la crise économique, une
superpuissance, entre autres parce
que sa monnaie, le dollar occupe une
position monopolistique dans le
commerce des énergies fossiles
conférant à l’édifice financier une
certaine assise » (p 60)… «
Partant de là, la main mise sur
toujours davantage de sources
énergétiques assure à l’Amérique
monde de pérenniser le monopole du
dollar comme monnaie exclusive dans
les échanges énergétiques » (p
73).
Preuve de l’importance que les
États-Unis accordent à ce privilège :
« ceux qui ont eu la velléité
ou l’audace de passer à un autre
instrument [monétaire] ont vite
compris leur malheur : l’Irak et la
Libye ont été détruits – comme ce
sera le cas de l’Iran si une
providence favorable n’interfère pas
dans le processus en cours – pour
avoir voulu effectuer leurs
transactions en euros ou en or. Un
acte de guerre presque aussi grave
que le blocage du détroit d’Ormuz
dont l’éventualité a été maintes
fois annoncé par Téhéran en cas
d’attaque occidentale » (idem).
Pour revenir brièvement sur le
facteur de l’affaiblissement des
États-nations au profit des acteurs
privés du marché, soulignons que tout
affaiblissement et/ou morcellement des
entités étatiques au profit des acteurs
privés du marché est nécessairement dans
l’intérêt hégémonique des États-Unis.
Rappelons que cette « roue
géoéconomique » a vu le jour aux
États-Unis dans les années 1970, avec
l’école de Chicago et les théories
néolibérales de Milton Friedmann, et que
les « thérapies de choc » et
autres « plans d’ajustement
structurel » profitent largement aux
transnationales états-uniennes (et à
d’autres, anglo-saxonnes, françaises et
européennes notamment) qui obtiennent
ainsi de juteux marchés dans des
conditions extrêmement favorables.
La conclusion (provisoire) de
l’auteur n’est guère optimiste :
« Dans un environnement aussi
prédictible, force est de constater
que l’Iran, situé sur la ligne de
séparation des blocs, ne représente
guère plus qu’un château de sable
face à une marée montante. D’une
façon ou d’une autre, que l’Iran
vienne à résipiscence à la suite de
l’effondrement ou du renversement du
régime théocratique parlementaire
national chiite ou par une estocade
brutale portée par des forces
israélo-américaines, le résultat
sera toujours le même : la
réintégration de l’Iran, de gré ou
de force, dans l’Économie–Monde,
dans l’économie du monde (…),
elle-même dominée, jusqu’à preuve du
contraire, par l’Amérique-Monde.
» (p 79).
Ce n’est pas le lieu ici de discuter
du caractère radical et très inquiétant
de la thèse de Jean-Michel Vernochet.
Qu’on souhaite ou qu’on ne souhaite pas
la « destruction » de l’Iran
n’entre pas ici en ligne de compte. On
peut désirer la destruction de l’Iran
pour des raisons logiques (si l’on est
un acteur influent du système) ou
illogiques (si l’on est un acteur mineur
assujetti à et par sa propagande). On
peut à l’inverse juger cette destruction
injuste et de funeste augure.
J’attirerai pour finir l’attention
sur deux points : l’intérêt de la
lecture du livre de Vernochet ne vaut
pas seulement pour les analyses
généralistes qui y sont développées,
mais pour les nombreux ouvrages de fond
sur lesquels l’auteur s’appuie pour
asseoir ses arguments et les nombreuses
anecdotes historiques très précises dont
l’essai est agrémenté. C’est un livre
qui développe une pensée, et dans lequel
on apprend des choses.
Autre point intéressant : en attirant
l’attention sur le principe d’«
inertie systémique », l’auteur met
en garde contre la tentation trop facile
chez certains à voir des complots et des
conspirations partout. Ces choses-là
existent (ainsi des attentats du 11
septembre 2001 et de la construction
européenne) mais nous avons tendance à
trop nous focaliser sur les
responsabilités individuelles, en
oubliant qu’en dernier ressort le
système et la logique inertielle qui le
sous tend déterminent de façon bien plus
profonde la survenue des événements
historiques manipulés, même lorsque
ceux-ci sont marqués par la
participation de criminels pouvant être
amenés à rendre le cas échéant compte de
leurs actes devant la justice.
Pour conclure sur ces deux derniers
exemples : on peut considérer que les
attentats du 11 septembre 2001 (par-delà
le complot qui les a rendus possibles),
correspondent à une nécessité liée à la
dynamique hégémonique des États-Unis,
laquelle s’inscrit elle-même dans une
logique inertielle vieille de quelque
deux siècles. Ces événements sont
survenus à un moment où les États-Unis
étaient plus puissants que jamais, mais,
menacés par un possible déclin,
n’avaient justement plus aucun prétexte
valable pour poursuivre leur projet
hégémonique.
De même, le mensonge de la fondation
de l’Union européenne correspond à une
nécessité géopolitique pour les
Etats-Unis de s’assurer le contrôle des
États situés à l’ouest du futur rideau
de fer, de développer et de maintenir
l’influence culturelle et politique
états-unienne dans ces États, au besoin
par l’action violente des services de
renseignement (pensons aux Années de
plomb en Italie) et la manipulation des
élections, et d’ouvrir un marché immense
à la pénétration des transnationales
états-uniennes. On peut juger ces deux
manipulations scandaleuses et souhaiter
à juste titre que leurs responsables
soient exemplairement punis par une
justice qui pour l’instant n’existe pas.
Mais, dans le même temps, il ne faut pas
oublier qu’in fine c’est le système en
soi, plus encore qu’une poignée
d’individus, qui les a rendus possibles
et qu’en dehors de la logique systémique
(avec ses trois « roues »
principales), ces événements n’avaient
absolument aucune chance de se produire.
On est moins obsédé par la recherche
de boucs émissaires quand on prend
conscience du facteur d’inertie
systémique, un concept particulièrement
fécond et novateur en matière d’analyse
géopolitique. Le système appelle les
hommes qui lui sont nécessaires plus que
ces derniers créent le système à la
pérennité duquel ils viennent
participer. C’est d’autant plus vrai
quand l’inertie du système suit sa
trajectoire depuis des générations pour
des États mus par une dynamique
impériale, avec un mode de vie
essentiellement fondé sur les énergies
fossiles (et les investissements
colossaux qui leur sont associés) ainsi
que la progression du pouvoir des
acteurs privés du marché sur celui des
États-nations.
François Belliot
Écrivain, administrateur du site
Observatoire des mensonges d’État,
et coauteur en 2010 avec Charles Aissani
d’un pamphlet inversé sur les attentats
du 11-Septembre, J’accuse la pandémie
conspirationniste.
Cet article est un compte rendu
de lecture de l’essai de Jean-Michel
Vernochet Iran, la destruction
annoncée, Éditions Xenia, 2012,
120 pages.
Article sous licence creative commons
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