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Oumma.com
Carnet américain - Morne campagne ? Pas
vraiment
Farid Laroussi
Vendredi 24 octobre 2008
L’élection américaine est entrée dans sa
dernière ligne droite, mais pas sa dernière phase. Une fois
terminés les débats télévisés entre les deux candidats à la
présidence, on a le sentiment que McCain s’est dépensé en
futilités, en rancoeur paternaliste et raciste qui ne dit pas
son nom. Sans doute déteste-t-il au plus au point la pensée
d’être le premier républicain à être battu par un noir. A chacun
sa dévolution politique. Dans notre référent médiatique
désormais perpétuel, il est vrai que McCain pourrait passer pour
le sosie de Charlie Chaplin dans ses vieux jours, avec tout de
même beaucoup moins de talent que l’artiste, comme l’ont
découvert et l’électeur américain et les cadres du parti
républicain qui commencent d’entrevoir la portée leur erreur.
McCain a toujours l’air de se demander pourquoi
la victoire ne lui tend pas les bras, lui qui a tant attendu :
cinq années prisonnier de guerre, vingt-six ans au Sénat, deux
campagnes présidentielles. Derrière ce jeu d’attentes et de
privilèges croisés (entré à l’École de Marine grâce au papa
amiral), peut-être y-a-t-il un embarras à admettre que le
sénateur de l’Arizona a son avenir dans son dos, et que de
manière générale les républicains vont devoir se préparer à leur
traversée du désert. Bien sûr l’héritage catastrophique de
George W. Bush y est pour quelque chose. Mais avec le recul de
ces quelques mois de campagne nul n’a à choisir entre un
président incapable et un candidat républicain dépassé par les
enjeux économiques et de politique étrangère. Le divorce
fondateur, c’est celui d’un homme qui va enfin faire entrer
l’Amérique dans le XXIème siècle.
En janvier personne ne soupçonnait que le jeune
sénateur de l’Illinois se retrouverait à faire la course en tête
au mois d’octobre. Il est toujours bon de rappeler le prodigieux
parcours de Barack Obama. Si aujourd’hui il surclasse son
adversaire républicain, c’est surtout parce qu’il a réussi à
contenir la machine des Clinton, après une interminable primaire
chez les démocrates. Battre Hilary Clinton ne fut pas chose
aisée. La politicienne est brillante, elle a du caractère, et
l’on peut, sans s’abuser, la qualifier de présidentiable. Qui
plus est, elle avait l’avantage d’avoir à ses côtés le président
américain le plus populaire depuis Reagan. Cela n’a pas suffi :
on sait aujourd’hui qu’il n’y a pas de continuité du phénomène
présidentiel, un Clinton n’en remplacera pas un autre. Obama ne
s’est pas donné de répit, et ce dans un système qui ne lui en a
laissé aucun.
Sans doute vit-on une coupure qui n’est ni
politique ni économique : c’est l’heure d’Obama, par nature,
a-t-on envie d’ajouter. Pas étonnant que d’aucuns le verraient
bien comme le premier président du monde, c’est-à-dire une
Amérique sans rivages, la médiation absolue du pays sans nom.
Obama a fait ses classes de candidat auprès des meilleurs et en
une saison seulement. John McCain en comparaison n’a rien de
nouveau ni de salutaire à offrir à la nation. Ses performances
télévisées tournent vite au numéro du vieux conservateur aigri,
qui maîtrise mal les données du nouveau paysage économique. Et
son dada militaire, que constitue l’invasion américaine de
l’Irak, tend à démontrer là encore qu’il eut fallu éviter qu’il
se pose en grand stratège.
Si la campagne militaire de décembre dernier
porte ses fruits, c’est parce que l’Irak vit à l’heure de
l’épuration ethnique, comme il a été démontré par les
organisations des droits de l’homme les plus reconnues, et que
les groupes religieux ou ethniques se sont confinés à de
nouveaux ghettos de gré ou de force. Le nombre de soldats
américains postés à chaque carrefour de Baghdad, ou dans les
villages du nord et de l’ouest (le sud étant passé sous
l’ascendant iranien), ne sert finalement qu’à entretenir
l’illusion de paix. C’est aussi cette illusion qui est devenue
le leitmotiv de la politique étrangère de McCain. Mais jusqu’à
quand, et à quel prix, les États-Unis vont-ils se payer la paix
au Proche-Orient ? A cela McCain n’offre pas de programme
raisonné. Disons plutôt qu’il se voit bien se libérer d’une
guerre, en Irak, pour s’enfoncer dans une autre, en Iran.
Obama, lui, parle de retrait, il veut dire en
vérité qu’il est temps de revenir aux problèmes intérieurs
américains. Il n’a pas craint, dans les moments où à droite on
l’accusait d’agiter le drapeau blanc, de relancer l’idée de la
diplomatie, c’est-à-dire de la négociation avec ses ennemis.
Reste aussi la question de la crédibilité internationale des
États-Unis, largement entachée par le camp de Guantanamo, où les
prisonniers sont tout à la fois victimes de la torture et
abandonnés dans des limbes du droit américain et international.
Obama sait très bien qu’une nation qui s’abaisse
à de tels comportements est déchue, elle trahit sa propre
histoire. Fermer le camp sera une priorité, même si Obama, pour
ne pas être en reste de machisme diplomatique face au prétendu
héros militaire qu’est McCain (le même individu qui a écrasé
quatre avions et a été fait prisonnier par le Viêt-cong parce
qu’il avait désobéi aux ordres de ses supérieurs), réaffirme
qu’il portera le combat jusqu’au Pakistan si les preuves
concordent sur la présence de Ben Laden dans les provinces
occidentales de l’allié d’Islamabad.
Cette caractéristique d’égard et de force est
essentielle au programme d’Obama car il confère à sa candidature
une légitimité qui jadis fut immédiatement contredite par
l’appartenance ethnique. Un africain américain se devait d’être
un militant. Obama ne se pose pas en rédempteur de l’anti-racisme,
en agent de recyclage des droits civiques. Son habileté réside
dans le fait est qu’il est devenu un candidat dans la continuité
historique nationale constituée par la volonté et le geste
commun d’une majorité des citoyens qui le choisiront. Aussi
faut-il s’éviter des illusions. Obama n’est pas le messie.
Entendons par là que le talent ou l’efficacité du candidat
démocrate se mesure à sa capacité à demeurer dans le juste
milieu, c’est-à-dire aussi éloigné que possible du
jusqu’au-boutisme façon George W. Bush et d’un retour vers
l’idée d’un gouvernement omnipotent. Obama a saisi à leur juste
valeur les transformations de l’État à travers celles des
institutions, des mouvements sociaux, et de la nouvelle donne
internationale.
McCain, lui, en s’enferrant dans une
dérégulation fiscale à tout crin et des schémas industriels
obsolètes démontre qu’il est toujours prisonnier de l’idéologie
néoconservatrice qui conçoit le libéralisme comme extension
nationale. Naturellement tandis que ce discours se concentre sur
les lois du marché, le citoyen devient une abstraction. Les
électeurs l’ont bien compris et c’est là une des raisons de son
effondrement dans les sondages. McCain par exemple continue de
tabler sur le secteur privé des compagnies d’assurance pour
escamoter la question de la non-existence d’une couverture
médicale publique qui fonctionnerait sur le modèle adopté par
toutes les autres nations industrialisées.
C’est récemment, et à travers le désastre de
l’immobilier et des emprunts pourris, que la permanence de
l’inégalité entre groupes socio-économiques a été la plus
criante. Mais au fond ce qui consacre la violence du message est
que la société civile est sur le point d’imploser alors que le
gouvernement répond en affirmant que sa richesse constitue une
excuse à l’oppression économique. Le petit finit par payer pour
le riche, façon de dire que ce n’est pas le travail qui fait la
réussite. Rappelons que le plan de sauvetage du système
financier de plus de sept-cents milliards de dollars se fera aux
frais du contribuable. Obama et McCain ont tous deux avalisé ce
plan, en jouant de nuances soit, mais en signifiant surtout que
le prochain président jouira d’une marge de manoeuvre limitée.
Pendant ce temps la campagne électorale serait
tout juste captivante s’il n’y avait pas comme colistière
républicaine, Sarah Palin. Pour ceux qui pensaient qu’avec
George W. Bush on avait touché le fond de l’inéptie politique,
du délitement de toute attente un tantinet intellectuelle,
qu’ils se rassurent il y a de toute évidence encore de la marge.
Ce n’est pas tant que les discours de la candidate républicaine
fonctionnent sur une logique irrationnelle, qui postule par
exemple que la crise financière serait le résultat d’un excès d’interventionisme,
ou qui construit sa vision de la politique étrangère à partir de
citations qu’elle a lues sur des tasses à café de chez Starbucks,
ce serait plutôt une manière d’entériner l’angoisse de la base
électorale de droite. On peut dire à ce titre que Palin est
l’élaboration de la fuite en avant du parti républicain. La
grande vague partie de Nixon, réactualisée sous Reagan, se
dissout inéxorablement. Alors on regroupe ses dernières forces (isolationistes,
conservateurs fiscaux, intégristes protestants, cols bleus
largués par les délocalisations, fédéralistes en souffrance de
la Constitution, détracteurs professionnels des Nations Unis,
racistes de tout poil mais bien propres sur eux, etc.) dans un
gros bouillon populiste et démagogique qui souligne à quel point
la droite américaine est en train de se percevoir en classe
dominée si ce n’est menacée.
L’arrivée probable d’Obama à la Maison Blanche,
tant est qu’il continue de laisser McCain accumuler les erreurs
stratégiques et autres gaffes de communication, coïncidera avec
une stabilisation relative, mais également un redémarrage
américain dans le XXIème siècle. On le sait les enjeux sont de
trois ordres. D’abord, non pas tant vaincre le terrorisme que
les raisons du terrorisme. Ensuite, redistribuer les cartes du
système financier entre institutions et États, afin d’éviter le
même processus tendanciel de décomposition que nous vivons. En
gros, il ne faut plus que le déficit économique devienne un
déficit de pouvoir, disons-le de responsabilité. L’argent, lui,
n’a pas disparu, comme le furet il repassera par là. Enfin,
l’enjeu capital entre tous est bel et bien celui du sauvetage de
la planète. Obama propose, à la manière de Kennedy pour la
conquête de l’espace, que d’ici à dix ans le pays soit sevré de
son ivresse en hydrocarbures. Voeu pieux ou cause
incontournable, il est néanmoins le seul candidat qui semble
avoir conscience que nous nous trouvons dos au mur.
On l’a compris, après les huit années de
l’administration Bush, l’envahissement du pouvoir revient à
l’expression du pouvoir d’un vide. Ainsi ceux qui ont cru voir
le tiers monde se manifester dans la réponse lamentable de
l’État après l’ouragan Katrina ont-ils peut-être perçu que le
paradoxe de la modernité américaine révèle que le
sous-développement demeure toujours une possibilité dès lors que
pour des raisons idéologiques le fossé entre économie et société
n’est plus transitoire mais structurel. Contre ce mal, Obama
apparaît tantôt comme une bonne surprise tantôt comme un
guérisseur. Pas étonnant qu’au coeur de son discours un rejet de
toute forme de polarisation et la déclaration d’un fort
sentiment de la responsabilité pour la chose publique se font
toujours écho. A l’extrêmisme néoconservateur il oppose le
centre absolu, cet espace politique particulier qui, tout à la
fois, se dérobe et fait du bien à la démocratie, enfin.
Farid Laroussi est professeur
de littérature française contemporaine et de littérature du
Maghreb d’expression française, à l’université Yale (New Haven,
Connecticut)
Publié le 25 octobre 2008 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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