Opinion
L'Europe juge les
extrémistes mais garde les nationalistes
dans le viseur
Dmitri Kossyrev
Anders
Breivik -
© AFP/
Hakon Mosvold Larsen
Mardi 17 avril 2012
Commencé le lundi 16 avril à Oslo, le
procès d'Anders Breivik, meurtrier de 77
personnes, auteur d'un double attentat
le 22 juillet dernier (dans la capitale
norvégienne et sur l'île d'Utoeya), a
éclipsé sur le champ informationnel
européen un autre procès, au Danemark
cette fois, où depuis la semaine
dernière sont jugés des terroristes,
ceux qui sont d'une certaine manière de
l'autre côté des barricades.
Breivik visait en fin de compte les
immigrés musulmans. Les terroristes
arabes au Danemark ciblaient, au
contraire, les auteurs des caricatures
du prophète Mahomet qui avaient offensé
les musulmans. Les Européens (et pas
seulement) se posent une question
légitime: est-ce une guerre? Et qui peut
garantir la paix?
Les deux se valent
En ce qui concerne Breivik, au début
il a été déclaré pénalement
irresponsable, ce qui est assez pratique
dans une certaine mesure: mettre la mort
de 77 personnes sur le compte d'un
accident. Mais il a lui-même activement
lutté contre une telle tournure des
choses, y compris en comprenant que
prison ou hôpital psychiatrique, cela
revenait au même (en Europe on ne
pratique pas la peine de mort). Et
maintenant qu'une nouvelle expertise l'a
reconnu normal, il a choisi une ligne de
défense qui rend pessimistes ses
avocats.
Breivik insistera sur la légitime
défense – il se protégeait et protégeait
la civilisation contre l'invasion des
étrangers qui haïssent les Européens, y
compris leur religion et leur culture.
(Et puisqu'il en est ainsi, on peut
faire exploser des bombes et tirer en
rafales sans faire la différence entre
les confessions des individus touchés
par une balle ou un éclat.)
L'histoire des terroristes danois est
tout le contraire. Elle dure depuis
2005, lorsque le quotidien danois
Jyllands-Posten a publié 12 caricatures
du prophète, que l'islam interdit de
représenter. La vague de protestations
avait frappé à l'époque beaucoup de pays
musulmans et européens, des gens ont été
tués, un terroriste armé d'une hache
s'était introduit dans la maison de
l'auteur des caricatures à Copenhague…
Dans le cas présent il est question de
quatre individus vivant en Suède (près
de la Norvège de Breivik), d'origine
libyenne, tunisienne, marocaine et
libanaise. Et le fait est qu'ils ont été
appréhendés avant qu'ils ne tentent
d'organiser au Danemark l'attentat
contre le prince héritier Frederik dans
les locaux du quotidien Politiken.
Autrement dit, tous ou certains d'entre
eux pourraient être disculpés faute de
preuves.
Deux Al-Qaïda
Quoi qu'il en soit, il est impossible
de faire passer pour des fous solitaires
aussi bien Breivik que les quatre
"terroristes danois." Ce n'est pas un
secret que le réseau de terreur des
extrémistes musulmans est très
développé, notamment, dans l'affaire au
Danemark on a découvert des traces
conduisant jusqu'au Pakistan. Et quant à
Breivik, le quotidien britannique The
Guardian a publié une revue détaillée de
toutes les organisations en Europe et
ailleurs qualifiées d'anti-jihadistes.
Et il s'avère que tous les réseaux se
valent - qu'ils soient anti-jihadistes
ou affiliés à Al-AQaida.
Le quotidien ne fait que réciter un long
rapport détaillé de l'organisation
antiraciste internationale "L'Espoir,
pas la haine". Il est dit qu'au total en
Union européenne et aux Etats-Unis
sévissent 190 groupes "islamophobes" qui
établissent rapidement des liens entre
eux.
L'un de ces groupes internationaux, issu
de la fusion de plusieurs anciens
mouvements, se réunira cette année en
congrès constitutif à New York, le 11
septembre, date anniversaire de
l'attentat de 2001. Le congrès sera
intitulé SION (stop islamization of
nations). Et on sait qu'il y a
suffisamment d'argent pour tout ce
travail, beaucoup de sponsors sont
connus et ne se cachent pas.
Le rapport cité dans le Guardian
regroupe tous les mouvements décrits
selon une caractéristique importante.
Ils promeuvent la haine envers la
civilisation, la religion et le mode de
vie du monde islamique. Mais la question
qui se pose est la suivante: si ce n'est
pas une guerre, alors qu'est-ce que
c'est?
Qu'est-ce que la politique "normale" de
l'Europe a à opposer à cet extrémisme,
et même deux extrémismes? L'Europe, où
le principal problème n'est certainement
pas la crise de la zone euro, avec le
chômage, la pauvreté et l'effondrement
de la politique sociale qu'elle
engendre, mais quelque chose de plus
fondamental. La peur de la population
face à l'érosion des bases même de
l'existence. Et ce n'est pas tant
l'argent, mais, disons, le droit de
conserver son identité dans son propre
pays. Autrement dit, de ce point de vue,
les immigrés ne sont pas une menace pour
les emplois, mais pour le style de vie.
La croix contre le voile
islamique
D'une part, lorsque la chancelière
allemande Angela Merkel parle de l'échec
de la politique du multiculturalisme, ce
ne sont en fin de compte que des
paroles, bien qu'elles soient
probablement justes. Mais d'autre part,
l'Europe a connu plusieurs situations
ces dernières années qui l'ont poussée à
prendre des décisions impopulaires en
matière de coexistence des religions et
des gens appartenant à différentes
cultures, et souvent ces décisions
étaient imposées aux nations par des
structures qui cherchent à dicter les
valeurs "paneuropéennes."
C'était le cas de l'interdiction du
crucifix au-dessus du tableau dans les
salles de classe à l'épicentre même du
catholicisme, en Italie (selon
l'Italienne qui avait déposé plainte
auprès de la Cour européenne des droits
de l'homme, le crucifix était une gêne
pour l'éducation laïque de ses enfants).
Et le gouvernement italien, luttant
contre un élément supra-gouvernemental,
a interjeté appel à la CEDH, etc.
Il y a eu également une histoire
similaire en France avec l'interdiction
du port du voile intégral, le hijab. Le
débat débordait souvent les frontières
nationales. Les musulmans (et les
libéraux européens) expliquaient aux
Français que le hijab n'était pas un
symbole d'appartenance à une religion,
mais seulement une obligation. Et
maintenant imaginez-vous qu'on interdise
de porter la croix autour du cou,
disaient-ils. Alors les Français ont
également décidé d'interdire la croix.
Enfin, on peut quand même la porter (à
l'école), mais elle ne doit pas être
exhibée ostensiblement.
Dans l'ensemble, la mondialisation, qui
oppose fatalement des gens ayant des
styles de vie différents, se soumet
encore difficilement aux solutions dans
le cadre des traditions idéologiques qui
existent en Europe (et s'érodent sous
nos yeux). Pour cette raison il est
primordial de voir qui seront les gens
auxquels il incombera de trouver les
bonnes solutions.
Par exemple, qu'est-ce qui se passe en
France, où le 22 avril se tiendra le
premier tour de l'élection
présidentielle? Le président sortant
Nicolas Sarkozy est très impopulaire
auprès des Français, mais il fait partie
de ceux dont le nom est associé aux
mesures drastiques visant les immigrés
(il en est conscient et conquiert avec
succès durant cette campagne les
sympathies de ceux qui sont préoccupés
par le problème lié aux musulmans).
Il est confronté à un autre partisan de
la pureté de l'idée nationale, Marine Le
Pen du Front national. Et François
Hollande du PS reste à l'écart et laisse
ses rivaux s'entretuer. On dit qu'il
remportera presque à coup sûr la
victoire au second tour, et sur une
échelle européenne cela contribuera à
maintenir à flot l'idée actuelle qui
perd de sa popularité d'une Europe
multiculturelle, unie et libérale.
© 2012
RIA Novosti
Publié le 19 avril 2012
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