Opinion
Le perpétuel
équilibre au bord d'une guerre contre
l'Iran
Dmitri Kossyrev
Photo: RIA
Novosti - © flickr.com/ Sam Anvari
Jeudi 2
février 2012
Si quelqu’un pensait que l’arrivée
des inspecteurs de l’Agence
internationale de l’énergie atomique
(AIEA) en Iran permettrait aussitôt de
rétablir les négociations
internationales sur le nucléaire
pacifique iranien, ces espoirs étaient
vains. Il n’y aura pas de "aussitôt."
Les inspecteurs de l’AIEA ont travaillé
en Iran pendant trois jours et sont
repartis mercredi. Le communiqué au
sujet de leur visite fait par l’agence
de presse iranienne ne pouvait pas être
plus bref.
Une crise
sans fin
Le siège de l’AIEA à Vienne a déclaré
que les négociations s’étaient bien
déroulées, et prochainement une nouvelle
délégation se rendra à Téhéran. Par la
suite on annoncera des négociations
éventuelles entre l’Iran et les Six
médiateurs internationaux (la Russie, la
Chine, les Etats-Unis, la France, le
Royaume-Uni et l’Allemagne). On parle
même déjà de l’endroit où ses
négociations se tiendraient – Istanbul.
Elles pourraient effectivement avoir
lieu en Turquie. Mais tout cela a déjà
eu lieu – les négociations sans résultat
notable, les sanctions contre l’Iran
adoptées par le Conseil de sécurité des
Nations Unies, les fuites d’informations
menaçantes dans les médias disant que si
les Etats-Unis n’attaquaient pas les
centres nucléaires iraniens, Israël le
ferait…
Existe-t-il des crises
internationales qui durent presque
infiniment? Aussi étrange que cela
puisse paraître, oui. La crise actuelle
autour de l’Iran est identique par son
"contenu nucléaire" à celle de la Corée
du Nord, et à bien d’autres en fouillant
bien dans l’histoire.
Il est pratiquement impossible de
prédire l’issue de la crise iranienne
selon la formule "la paix ou la guerre"
(bien que tout le monde le fasse). En
revanche, on peut se pencher sur
certaines particularités de la situation
actuelle, qui ne concernent pas tant
l’Iran en tant que tel, que le tableau
mondial dans l’ensemble. Et c’est
précisément leur intérêt.
Téhéran et la
présidentielle américaine
Commençons par le plus évident: la
transformation de l’Iran en puissance
nucléaire, la plus forte au
Moyen-Orient, qui plus est résultant
directement de l’invasion américaine de
l’Irak qui s’est achevée l’année
dernière, n’est certainement pas la
nouvelle dont a besoin Barack Obama
durant l’année électorale.
On lui dirait sinon qu’il aurait dû
"faire quelque chose." Mais il serait
stupide d’affronter l’Iran en solo, car
Obama est lauréat du prix Nobel de la
paix. C’est également une mauvaise idée
dans les conditions de restriction du
budget militaire et des effectifs. En
revenant sur la récente opération de
l’Otan contre la Libye, les Etats-Unis
ont fait en sorte que quelqu’un d’autre
fasse la guerre en leur lieu et place.
Voyons qui cela pourrait être dans le
cas de l’Iran.
Mardi dernier, plusieurs
représentants de la communauté du
renseignement américaine ont présenté un
rapport annuel devant le Congrès. Ce
rapport incluait entre autres les
remarques écrites du directeur du
renseignement américain James Clapper.
Le directeur de la CIA David Petraeus et
d’autres ont également participé à la
présentation du rapport.
Un équilibre remarquable se distingue
dans la situation autour de l’Iran. Un
an serait "probablement" nécessaire pour
la fabrication d’une ogive nucléaire.
Encore 1-2 ans s’écoulerait avant
l’apparition d’un vecteur. C’est la
"ligne rouge" pour les Etats-Unis et
Israël. Toutefois, on laisse clairement
entendre qu’aucun événement important
(par exemple, une guerre) ne se prépare
actuellement.
Et cela n’apporterait rien de
nouveau, y compris ce "probablement", si
l’affaire de l’attentat contre
l’ambassadeur saoudien n’était pas
intervenue durant les dépositions devant
le Congrès. Cette histoire a eu lieu en
octobre dernier et a provoqué beaucoup
de sourires sceptiques: on prétend que
l’attentat a été planifié par les
services de renseignement iraniens sur
le territoire américain, mais ils ont
commis tellement de "boulettes" qu’il
est difficile de le croire.
Puis un grand silence a suivi, comme
si de rien n’était, et aujourd’hui cette
histoire de l’attentat contre Adel Al-Jubeir
refait surface. Elle ressemble fortement
à une invitation publique lancée aux
Saoudiens à participer au règlement de
la question iranienne.
Cette histoire est intéressante car
en réalité ce sont l’Arabie saoudite, le
Qatar et d’autres monarchies du Golfe
qui ont joué un rôle considérable dans
la guerre en Libye, et dans le
renversement des régimes en Egypte et en
Tunisie au profit des intégristes. En
Libye ils ont utilisé l’Otan pour régler
leurs problèmes dans la région, et
l’Otan les a utilisés à son tour.
© RIA Novosti.
Bouchehr, la première centrale
nucléaire iranienne
Evidemment, il vaut mieux pour les
Etats-Unis que les principaux efforts
dans la lutte conter l’Iran soient
entrepris par les monarchies arabes, et
non pas un pays isolé de la région, à
savoir Israël. Les Arabes n’aiment
traditionnellement pas l’Iran, depuis
plus de douze siècles, probablement au
point que cela crée une sorte d’alliance
saoudo-israélienne. Or c’est une
victoire absolue pour Obama.
Mais la Syrie
d’abord
Les événements actuels autour de la
Syrie, allié crucial de l’Iran au
Proche-Orient, rappellent cette "guerre
saoudo-iranienne", mais par personnes
interposées (Bachar al-Assad et son
opposition). On sait déjà très bien qui
fournit les armes à l’opposition
syrienne et on connaît les filières. Ce
ne sont pas les Etats-Unis, mais les
monarchies du Golfe.
On pourrait supposer que personne ne
s’occupera de l’Iran avant de tirer au
clair le sort de la Syrie. Par exemple,
réussira-t-on à amener l’Iran à apporter
une aide active au régime de Bachar al-Assad
et à se mettre ainsi en porte-à-faux? Il
y a beaucoup de questions de ce genre.
Et il s’avère qu’un rôle important
jouent ici la Russie, la Chine et
d’autres pays du BRICS (le Brésil,
l’Inde, l’Afrique du Sud), derrière
lesquels se trouvent des dizaines de
pays qui observent avec contrariété les
événements. Moscou et ses partenaires
ont déjà annoncé qu’ils ne créeraient
pas de précédent juridique en légalisant
le renversement d’un régime qui ne
convient pas à l’étrange alliance
arabo-occidentale.
Parallèlement un autre sujet se
développe, qui se réduit également à la
question de savoir qui soutiendra qui
dans le nouveau jeu proche-oriental. Ce
sujet concerne le pétrole iranien, que
l’Union européenne renonce à acheter à
partir du 1er juin (sous la forme de
sanctions). Qui récupérera ce pétrole et
apportera ainsi de l’argent à l’Iran?
Les sanctions seraient alors inutiles,
comme d’ailleurs toutes les autres en
vigueur à l’heure actuelle.
La situation est la suivante: le
pétrole iranien est acheté par les pays
asiatiques, la Chine, le Japon et la
Corée du Sud. Pour l’instant, ils,
notamment la Chine, sont très loin de
soutenir l’embargo européen. Mais ils
craignent qu’une guerre dans la région
les prive d'hydrocarbures, et ils
étudient donc la situation, conscients
que des décisions doivent être prises.
L'affaire en est arrivée au point que
les pays d’où le pétrole iranien est
acheminé ou pourrait transiter vers
l'Est acquièrent une importance
particulière, par exemple le
Turkménistan. Où, d’ailleurs, une
délégation s’est rendue d’un pays
inattendu – Israël.
Finalement, on pourrait supposer que
l'équilibre actuel au bord d’une guerre
dans la région se maintiendra pendant
encore une certaine période et montrera
à quoi ressemble le monde après le
retrait annoncé des Etats-Unis du Grand
Moyen-Orient.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
© 2012
RIA Novosti
Publié le 3
février 2012
Le
dossier Iran
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