Opinion
La version dure de
la loi islamique
Dina
Darwich
Mardi 24 avril 2012
Charia .
Un projet
de loi sur l’application des châtiments
vient d’être présenté au Parlement. Un
sujet qui inquiète l’opinion publique.
L’Egypte va-t-elle
appliquer les châtiments de la charia ?
La prédominance des islamistes au
Parlement ainsi que leurs tentatives de
monopoliser la rédaction de la nouvelle
Constitution représentent autant
d’indices qui n’excluent pas la
possibilité d’appliquer les hodoud ou
châtiments corporels correspondant à
certains péchés.
Un débat a eu lieu au
cours de la dernière séance au Parlement
sur l’application du châtiment « al-haraba
» aux bandits et baltaguis qui
commettent des actes de violence, de vol
ou des crimes de meurtre. Le député Adel
Al-Azazi, membre du parti salafiste Al-Nour,
a présenté un projet de loi stipulant de
couper la main droite et le pied gauche
à toute personne ayant commis ce genre
de crimes, et ce, dans un but de
dissuasion.
« C’est la loi de
Dieu et on n’a pas d’autres choix que de
l’appliquer. Ce châtiment pourrait
rétablir la sécurité dans la rue
égyptienne. Il suffit de mentionner que
60 000 voitures ont été volées au cours
des deux derniers mois. Il est temps de
châtier durement ces bandits. Le taux de
criminalité en Arabie saoudite, un pays
qui applique la charia, est moins élevé
par rapport aux autres pays », argumente
Al-Azazi.
« Proposer
d’appliquer ce genre de châtiments aux
baltaguis n’est qu’un début pour
instaurer les lois de Dieu sur terre.
Nous allons continuer dans ce sens en
présentant au Parlement d’autres projets
de loi conformes à la charia pour
satisfaire les électeurs qui ont voté
pour nous, les islamistes », promet le
député Mahmoud Gharib. D’après lui, il
serait facile de convaincre les
Egyptiens, qui sont très pieux, de la
nécessité d’appliquer les châtiments de
la charia.
Selon une étude
effectuée par le Centre américain Gallup
pour les études sociales, l’Egypte est à
la tête des pays qui accordent une
grande importance à la religion. L’avis
de Mona Hamam, fonctionnaire de 40 ans,
résume cette tendance : « Pour les
prochaines élections présidentielles, je
vais voter pour le candidat qui
appliquerait la charia. Je pense que le
programme de Hazem Abou-Ismaïl est clair
et précis. Ce candidat a déjà déclaré
qu’il avait l’intention d’appliquer la
charia graduellement. Et même si
Abou-Ismaïl est évincé de la course
présidentielle, je vais voter pour un
autre salafiste ».
Sans s’attaquer aux
principes mêmes de ces châtiments qui
vont jusqu’à la mutilation, les
islamistes « modérés » parlent surtout
de « préparation ». « Le pays n’est pas
préparé à un tel bouleversement »,
estime le penseur islamiste et candidat
à la présidentielle Mohamad Sélim Al-Awwa,
tout en appelant ses concurrents à ne
pas utiliser la charia comme moyen de
propagande électorale.
Salem
Abdel-Guélil, vice-ministre des Waqfs,
développe ce point de vue. « Comme ceux
qui sont d’une autre confession ne sont
pas concernés, cela peut entraîner une
division et mettre en danger le principe
de la citoyenneté », craint-il. Sur un
autre plan, il pense que l’application
de la charia doit prendre en
considération les conditions sociales.
En temps de famine, rappelle-t-il, le
deuxième calife, Omar Ibn Al-Khattab,
connu pour sa droiture et son sens de la
justice, a annulé le châtiment du vol :
couper la main à celui qui a commis un
larcin. « Il faut d’abord améliorer les
conditions socioéconomiques des citoyens
avant d’imposer de telles sanctions
sévères. Le citoyen qui ne mange pas à
sa faim et qui n’a pas de quoi se
soigner, comment va-t-il comprendre que
le larcin est un crime alors que c’est à
l’Etat de lui fournir un minimum de vie
décente ? », poursuit Abdel-Guélil.
Le débat est vieux de
plusieurs décennies. Aboul-Ezz
Al-Hariri, député au Parlement et
candidat aux élections présidentielles,
rappelle : « En 1978, je faisais partie
d’un comité parlementaire chargé
d’étudier cette question. Parmi les
membres, il y avait cheikh Salah
Abou-Ismaïl, le père de Hazem
Abou-Ismaïl, actuel candidat salafiste
aux élections présidentielles. Dans
notre rapport, nous avions conclu que le
code pénal en vigueur était conforme à
la charia ».
Objections des laïcs
Aujourd’hui,
avec l’ascension des islamistes
rigoureux, la question revient sur la
scène. Mais si pour les islamistes, il
s’agit d’une question de temps ou
d’adaptabilité, les objections prennent
une forme plus radicale chez les
juristes et les activistes de tendance
laïque.
En outre, d’un point
de vue purement jurisprudentiel, le
renforcement exagéré d’une sanction
empêche son application. « Quand
l’Egypte a décidé de condamner les
trafiquants de drogue à la peine de
mort, rares sont les accusés qui ont
connu ce sort », explique Al-Hariri, en
estimant que les conditions nécessaires
pour appliquer les hodoud rendent son
application pratiquement impossible. «
De plus, la plupart des systèmes
juridiques dans les pays civilisés
tentent de rendre la sanction un moyen
de corriger la personne et non pas un
moyen pour se venger d’elle »,
ajoute-t-il.
« Contrairement au
code pénal, l’application des châtiments
de la charia ne permet pas de faire
appel. Si une personne a eu la main
coupée, et que par la suite elle a pu
prouver son innocence, quel serait son
sort ? La justice va-t-elle lui rendre
son bras ? », s’interroge de son côté
Hafez Abou-Seada, président de
l’Organisation égyptienne des droits de
l’homme.
Selon lui,
l’application de ce genre de châtiments
sera considérée comme une violation aux
conventions internationales que l’Egypte
a ratifiées. « La Charte internationale
des droits civils et politiques interdit
toutes les sanctions corporelles, y
compris la peine de mort. Même la peine
capitale est en voie de disparition dans
la plupart des pays européens et aussi
dans certains pays africains musulmans
comme le Sénégal qui vient d’annuler
cette peine », avance Abou-Seada.
Les coptes ont peur
Ceux qui ne peuvent
pas se prononcer ouvertement sont ceux
qui ont peut-être le plus peur, à savoir
les citoyens coptes qui paniquent à
l’idée de voir l’islamisation du pays
avancer à pas pressés, et ce, malgré les
assurances selon lesquelles ils ne
seront pas concernés par l’application
de la charia. « L’Eglise sera-t-elle
alors un corps législatif et juridique
pour les coptes ? Ces derniers
seront-ils un Etat dans l’Etat »,
s’indigne Abou-Seada.
Pourtant, les regards
des salafistes et de leur base populaire
restent braqués sur l’Arabie saoudite
qui applique les châtiments et personne
n’ose leur reprocher cela. « C’est
l’argent du pétrole qui commande les
intérêts. L’Occident ne comprend que le
langage des intérêts pour lesquels il
est prêt à faire des concessions à
l’égard de ces mêmes principes de droits
de l’homme qu’il est en train de nous
exporter », résume sagement Saad,
chauffeur de taxi.
Officiellement enfin,
le comité du ministère de la Justice
chargé d’étudier ce projet de loi a émis
à son tour certaines réserves. Le
magistrat Hayssam Al-Bekali assure que
le projet de loi salafiste manque de
précision et que certains de ses clauses
et articles existent, en fait, dans le
code pénal actuel. Le projet de loi est
de retour au Parlement pour plus
d’étude.
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reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié le 24 avril
2012 avec l'aimable autorisation de
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