Al-Ahram Hebdo
Un acte souverain
Chérif Albert
Photo: Al-Ahram
Mercredi 23 décembre 2009
Gaza.
La construction à peine implicitement
confirmée d’une barrière souterraine à la frontière avec Gaza
soulève un mécontentement populaire.
Les premières informations ont été fournies par la presse
israélienne. L’Egypte serait en train de construire une barrière
souterraine à la frontière avec la bande de Gaza. Selon le
quotidien Haaretz, cette barrière en acier serait déployée sur
10 km de long et pourrait aller jusqu’à 30 mètres sous terre.
Elle serait destinée à empêcher le creusement de tunnels,
utilisés pour le trafic d’armes et de marchandises à la
frontière.
Des responsables anonymes affirment l’implication, financière et
technique, des Etats-Unis dans la construction de ce mur, alors
que des rapports de presse, avec à l’appui des photos de
foreuses et de grues géantes œuvrant le long de la frontière,
ont corroboré les premières informations.
Après des jours de mutisme officiel, le chef de la diplomatie
Ahmad Aboul-Gheit a affirmé, dans un entretien publié samedi par
l’hebdomadaire Al-Ahram Al-Arabi, que l’Egypte était « dans son
droit ». Répondant à une question sur les informations faisant
état de la construction d’un mur d’acier et du déploiement dans
la région frontalière d’équipements américains pour détecter les
tunnels, le ministre a affirmé : « Que ce soit un mur ou des
sondes, l’essentiel c’est que le territoire égyptien soit
protégé ». Les déclarations d’Aboul-Gheit ont été comprises
comme une confirmation implicite des « rumeurs » qui se
répandaient déjà depuis plusieurs jours.
Deux jours auparavant, le quotidien pro-gouvernemental Al-Gomhouriya
a affirmé dans son éditorial que l’Egypte était simplement en
train de « consolider » la barrière frontalière avec des
fondations souterraines. Le journal reprend les mêmes arguments
officiels souvent avancés pour justifier la politique égyptienne
: « Quand l’Egypte supprime les tunnels menant vers Gaza, elle
ne prend pas les Palestiniens pour des ennemis. Elle ne le fait
ni pour plaire aux Américains ni pour rassurer Israël, elle le
fait car elle est un pays souverain ».
La bande de Gaza est soumise à un strict blocus israélien depuis
juin 2007 à la suite de la prise de contrôle du territoire par
le Hamas islamiste aux dépens de l’Autorité palestinienne du
président Mahmoud Abbass. Si, pour Israël, les tunnels qui se
succèdent sur une distance de 10 km au sud de la bande de Gaza
signifient avant tout un trafic d’armes vers le Hamas, pour les
1,5 million d’habitants de ce territoire, les tunnels sont la
principale veine qui les alimente en produits de première
nécessité, notamment les produits alimentaires et les
médicaments.
Les activités des tunnels étaient sûrement tolérées par les
autorités égyptiennes qui préféraient fermer les yeux sur le
trafic afin d’alléger la situation des Gazaouis que de voir ces
derniers déferler à travers la frontière comme cela fut le cas
en janvier 2008. Beaucoup estiment que ce durcissement politique
de l’Egypte qui s’est décidée à mettre fin aux tunnels est dû à
des pressions américaines et israéliennes, deux pays qui ont
toujours accusé de laxisme les autorités égyptiennes sur la
frontière avec Gaza. Suite à quoi les Etats-Unis ont menacé de
punir en retranchant 200 millions de dollars de leur aide
annuelle à l’Egypte. En 2008, le Congrès a décidé de consacrer
23 millions de dollars à la lutte contre le trafic des tunnels.
Les députés affiliés à la confrérie des Frères musulmans ont été
les premiers à réagir en présentant une requête au président de
l’Assemblée du peuple Ahmad Fathi Sourour pour éclaircir les
faits et la position du gouvernement égyptien. Le porte-parole
du bloc des députés islamistes Hamdi Hassan a estimé qu’un tel
projet servirait avant tout les intérêts d’Israël. « Le Caire,
qui a toujours soutenu les mouvements de résistance dans le
monde arabe, ne peut pas renier son histoire », a ajouté Hassan.
« C’est choquant de réaliser que la vision stratégique de
l’Egypte a changé : le danger contre lequel il faut se prémunir
n’est plus les Israéliens, mais les Palestiniens », lance à son
tour l’écrivain islamiste Fahmi Howeidi, qui parle d’un « mur de
la honte ».
L’indignation des islamistes est largement partagée par les
opposants laïques indignés, eux, de voir l’Egypte contribuer à
l’étouffement économique de Gaza, un territoire en proie à une
crise humanitaire depuis deux ans.
« Notre gouvernement et notre régime dépensent des millions de
dollars pour affamer un peuple frère », dénonce le journaliste
nassérien Gamal Fahmi.
« L’Egypte a déjà beaucoup perdu de son poids régional ces
dernières années. Un tel projet l’affaiblirait davantage en
ternissant son image dans le monde arabe, et en faisant en sorte
que son rôle dans le dossier palestinien devienne tributaire des
besoins sécuritaires israéliens », se lamente Abdallah Al-Sénawi,
rédacteur en chef d’Al-Arabi, organe de presse du Parti
nassérien.
« Je suis très déçu par cette mesure et ce, pour des raisons
purement humanitaires », confie Moustafa Kamel Al-Sayed,
professeur de sciences politiques à l’Université américaine du
Caire. Il regrette de constater que le plus important pour le
régime égyptien est de ne pas permettre à Israël d’empoisonner
ses relations avec les Etats-Unis, surtout si l’administration
américaine passe sous silence le dossier de la réforme
politique.
Le président du parti de gauche Al-Tagammoe, Réfaat Al-Saïd,
représente la minorité d’opposants qui soutiennent le
durcissement politique à l’égard du Hamas. « Le Hamas cherche à
instaurer à Gaza une principauté islamiste fondée sur la
contrebande. Leur projet implique une extension du pouvoir
iranien dans la région et représente une menace à la sécurité
nationale de l’Egypte », lance Al-Saïd. Faut-il aller jusqu’à
construire une barrière ? « Il ne faut pas discuter un droit
absolu », confirme ce dernier.
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 23 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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