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L'EXPRESSIONDZ.COM
LE SAHARA OCCIDENTAL INDÉPENDANT
L'Union maghrébine sera une
réalité
Chems Eddine Chitour
Lundi 22 novembre 2010
Pour qu’un Maghreb de l’intelligence puisse
émerger, il est bon que les pays en question soient fascinés par
le futur.
«Le jour du Jugement dernier, aux portes du
Royaume des cieux, Dieu garde les vertueux et met de côté les
mauvais. Reste un groupe d’hommes auxquels il demande de se
présenter. «Nous sommes les Sahraouis, répondent-ils. - Ah!
Alors installez-vous là avec vos tentes, le temps que je décide
de ce que je vais faire de vous.»» Cette boutade, écrit Luis de
Vega du journal espagnol ABC, qui circule dans le désert, est
une façon de railler la passivité de la communauté
internationale à propos du règlement du conflit au Sahara
occidental. Alors que le conflit qui oppose Rabat aux
indépendantistes du Front Polisario est toujours dans l’impasse,
la tension croît sur le terrain. C’est un rituel bien rodé.
Périodiquement, des représentants du gouvernement marocain
rencontrent dans la banlieue de New York, sous l’égide des
Nations unies, une délégation d’indépendantistes sahraouis du
Front Polisario pour des «discussions informelles». Et il n’en
sort rien.
S’agissant des derniers événements, de jeunes Sahraouis décident
d’ériger un camp de toile, à une vingtaine de kilomètres de
Laâyoune, et d’y tenir une sorte de sit-in permanent. Leurs
revendications portent sur le droit à l’emploi et au logement,
la liberté d’expression, la «reconnaissance de leur
dignité»...Durement frappée par le chômage (30%, alors que la
moyenne nationale est de 9%), la population du Sahara vit très
mal l’afflux de Marocains du Nord, à commencer par les
fonctionnaires, chouchoutés par le gouvernement. Au fil des
jours, le camp grossit, jusqu’à rassembler quelque 15.000
occupants.(1) Les gens présents dans ce camp, installé dans la
banlieue de Laâyoune, n’avaient à l’origine aucun esprit
belliqueux, comme le reconnaît le journal marocain
Emarrakech.info, Un premier incident grave s’est déroulé le 25
octobre, quand un adolescent de 14 ans a été tué lors d’une
échauffourée avec les forces de l’ordre. Le 8 novembre, le Maroc
envahit le camp.(2)
Selon le Maroc, douze personnes ont été tuées lors du
démantèlement du camp. Le Front Polisario qui réclame
l’indépendance du Sahara occidental et s’est prononcé pour la
tenue d’un référendum d’autodétermination, a fait état pour sa
part de «dizaines de morts» et de plus de 4500 blessés au cours
des violences qui ont suivi le démantèlement. Ces jeunes se sont
révoltés d’une façon spontanée, en tout cas sans avoir été
manipulés par le Front Polisario qui a vite fait de «récupérer»
le mouvement. Même Aminatou Haïdar, la «Gandhi sahraouie». est
restée muette Elle avait fondé le Collectif des défenseurs
sahraouis des droits de l’homme (Codesa) qui s’accompagne d’un
rejet catégorique de la violence. De nombreuses organisations
internationales ont protesté contre ces meurtres, tortures et
emprisonnements aussi bien en France qu’en Espagne, Italie. Des
marches de protestation sont organisées et qui demandent une
enquête internationale qui n’a eu aucune chance d’aboutir, car
la résolution du Conseil de sécurité a été bloquée par le veto
de la France qui joue vis-à-vis du Maroc le même rôle protecteur
que les Etats-Unis vis-à-vis d’Israël. Ainsi, le 17 novembre, le
Conseil de sécurité des Nations unies s’est contenté de
«déplorer la violence».
«Réduire au silence les Sahraouis, hommes, femmes et enfants,
veut dire les tuer. Les paroles de M Kouchner le rendent
complice des assassinats de femmes et d’enfants sahraouis de ces
derniers jours. La démocratie marocaine assassine à huis clos,
les journalistes et les observateurs sont interdits d’entrer au
Sahara occidental occupé. La cruauté, la violence déchaînée et
bestiale des autorités marocaines sur les Sahraouis c’était hier
et avant-hier, et ça continue. Des Sahraouis sont morts, morts
violentes, coups et balles: 11 morts annoncés par le ministère
de l’Information sahraouie, puis 8 corps découverts près de la
rivière Saguia el Hamra et dans la ville. 18 corps de femmes. 25
corps découverts dans un trou près des campements détruits...Et
723 sont blessés, 163 arrêtés et 159 portés disparus. (...) La
France hypocrite valide les transferts des fonds par millions
d’euros de l’Europe au Maroc, pour son bon voisinage, son accord
de pêche, son statut avancé..(...)La France fière doit agir en
urgence pour assurer la protection du peuple sahraoui et son
indépendance sur sa terre».(3)
On peut discuter, lit-on dans le journal El Periodico de
Catalunya, du nombre de victimes, mais nul ne met en doute la
brutalité avec laquelle ont agi les autorités marocaines quand
elles ont fait évacuer à l’aube le campement de khaïmas [tentes
de nomades] d’Agdaym Izik, à dix kilomètres de Laâyoune. Depuis
que l’Espagne, en 1975, aux dernières heures du franquisme, a
abandonné à son sort son ancienne colonie, on n’avait jamais vu
une mobilisation sahraouie aussi massive et prolongée dans le
temps. (...) A cet égard, rappelons le procès de militants
sahraouis qui avaient visité le camp et les agressions contre
deux journalistes espagnols qui couvraient l’événement,
l’interdiction de voyager faite à plusieurs journalistes
espagnols, l’expulsion du Maroc de la chaîne Al Jazeera en
raison de ses informations sur le Sahara et l’expulsion de
Laâyoune du député européen, Willy Meyer [un député français a
lui aussi affirmé avoir été expulsé du Maroc le 8 novembre].
Après 35 ans de conflit, le Maroc ne peut pas continuer à
vouloir régler le problème par la répression et la censure.(4)
Pour rappel, le Sahara occidental est un territoire de 266.000
kilomètres carrés. Dès 1965, l’ONU pousse l’Espagne à
décoloniser ce territoire, Hassan II, rappelons-le, avait au
début une position proche de celle de l’Algérie tant que le
territoire était sous le joug espagnol. Volte-face avec la
complicité de l’Espagne. La décolonisation bâclée a amené le roi
Hassan II à faire une marche verte sous les yeux des garnisons
espagnoles qui quitteront le pays en février 1975. Le Front
Polisario créé suite à l’invasion du Maroc mène une «guerre des
sables» gelée depuis le cessez-le-feu de 1991 et le déploiement
d’une force onusienne. Mais elle reste sans solution. Le Maroc a
souvent joué le rôle de gendarme des intérêts de la France en
Afrique, ainsi que celui de temporisateur dans le Proche-Orient.
Naturellement, ce pays fait l’objet de convoitise. En 1975, un
avis consultatif de la Cour internationale de justice confirme
l’existence de liens historiques entre les populations du Sahara
occidental et le Maroc, ainsi que l’ensemble mauritanien, mais
conclut qu’ils ne sont pas de nature à empêcher un référendum
d’autodétermination, en y rendant inapplicable la notion de
terra nullius. Dans les années 1980, avec l’aide d’Israël et des
Etats-Unis, le Maroc érige un mur qui sépare le territoire en
deux. Le Sahara occidental figure sur la liste des territoires
non autonomes, selon l’ONU depuis 1963. Depuis l’entrée en
vigueur du cessez-le-feu de 1991, le statut final du Sahara
occidental reste à déterminer. En 2000, avec le soutien de la
France, il renie sa signature et déclare le référendum
infaisable. Ce pays se comporte comme Israël. D’ailleurs, c’est
ce que pense James Baker, l’ancien envoyé spécial de l’ONU au
Sahara occidental. En 2002, un avis de droit de Hans Corell,
vice-secrétaire général aux questions de droit, conclut que le
Maroc n’est pas la puissance administrante du territoire. En
2006 Kofi Annan avait indiqué qu’aucun État membre de l’ONU ne
reconnaît la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. En
avril 2007, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une
nouvelle résolution (n°1754) qui engage les parties à négocier
«en vue de parvenir à une solution politique juste, durable et
mutuellement acceptable qui permette l’autodétermination du
peuple du Sahara occidental».
Qu’en est-il de la situation des
Marocains?
Si les Marocains vivotent au quotidien, ce n’est pas le cas du
roi. «Au pouvoir depuis dix ans, le souverain marocain serait,
selon le magazine financier Forbes, l’un des hommes les plus
riches du monde. Et sa fortune aurait doublé au cours des
dernières années (...) Il est à la tête d’un joli pactole
s’élevant à 2,5 milliards de dollars. Justement à propos
d’inégalité, la ville de Casablanca est déchirée par ses
contradictions. Dans cette ville, écrit Chafaa Bouaïche, les
autorités ont confié presque tous les services à des entreprises
étrangères. «On fait appel à des étrangers pour gérer les
affaires de la collectivité, comme si nous étions incapables de
le faire nous-mêmes», «A Casablanca, même les autobus sont gérés
par une société française», poursuit-il. Casablanca n’arrive pas
à cacher la misère de sa population». (5) On l’aura compris, les
Marocains ne profitent pas des fruits de la croissance que l’on
dit de 5%. On apprend que dans la plus pure tradition
esclavagiste, les Espagnols recrutent. Hicham Houdaïfa écrit:
«(...) Il s’agit de 12.000 ouvrières marocaines qui doivent être
recrutées dans des exploitations agricoles espagnoles en 2008.
(..) Les «mmimates» (mères de famille, dans le jargon populaire)
ont le coeur lourd. Ces femmes doivent être en bonne santé, ni
grosses ni maigres, avec une dentition parfaite. Elles doivent
non seulement être mariées mais également avoir des enfants âgés
de moins de 14 ans! En acceptant toutes les conditions posées
par les Européens en matière d’immigration, le gouvernement
participe à une nouvelle forme d’esclavagisme.»(6) Cela nous
rappelle une contribution parue dans le Monde diplomatique «Mora
le négrier». Celui-ci qui arpente le haut Atlas à la recherche
de mineurs pour les mines du nord de la France dans les années
trente. Lui aussi, il examine la dentition des candidats et met
un cachet rouge de refus ou vert synonyme d’acceptation, le
candidat sera alors un forçat dans les mines françaises. Rien
n’a changé pour les Marocains.
Les intérêts de la France, de l’Espagne
et des Etats-Unis
Ce qui fait courir l’Europe et les Etats-Unis, outre la position
stratégique du Maroc, ce sont les ressources minières,
halieutiques et énergétiques du grand Maroc: «Côté américain,
écrit Denise Sollo, il est important de gagner le marché
marocain par l’établissement d’une zone franche entre les deux
pays. Cette attitude s’inscrit dans la politique américaine de
conquête du marché africain. Pour l’Union européenne, il s’agit
surtout de garder les marchés déjà acquis. Le Maghreb, de par sa
proximité et ses richesses, représente pour l’Europe un marché à
préserver et à développer. Néanmoins, pour les Etats-Unis comme
pour les Européens,. (...) les enjeux d’ordre économique
relèvent des richesses contenues dans le sous-sol du territoire,
ainsi que celles contenues au large des côtes et dans les fonds
marins. En effet, des compagnies pétrolières y effectuent
actuellement de la prospection, sous l’autorisation de l’Etat
marocain. Il s’agit des multinationales française et américaine
TotalFinaELf et Keer Mc Geer (...).»(7) Dans ces conditions, le
ras-le-bol des Sahraouis s’est traduit par une attaque de tous
les attributs de l’Etat mais aussi des banques étrangères.
Francis Weyl de l’Apso écrit (...)La décolonisation non aboutie
est la cause primordiale de toutes les exactions commises sur
les Sahraouis, peuple en trop sur son territoire. Les
entreprises qui commercent avec le Maroc soutiennent directement
la violence, le maintien dans le territoire des milliers de
policiers, militaires, forces auxiliaires et mouchards, et
l’importation massive de colons. (...) Dans les émeutes et les
combats qui ont suivi, les Sahraouis ont tenté de repousser les
forces répressives et attaqué les symboles du gouvernement, de
son pillage des ressources naturelles du territoire et ses
complices. D’autres banques à sonorités bien françaises sont
installées à El Aâyun, pour une ou plusieurs agences. (...) En
s’attaquant aux banques présentes dans ce territoire non
autonome, les Sahraouis en attente de la mise en place du
légitime référendum qui est leur droit, les accusent directement
d’être complices de leurs souffrances, et de la souffrance du
peuple sahraoui, qu’il soit exilé ou réfugié.(8) Suprême
récompense de la part de la France et de l’Espagne: le 7 mars se
tenait à Grenade un sommet Union européenne - Maroc, le premier
depuis que, en 2008, le Royaume s’est vu attribuer le «statut
avancé» de partenaire économique privilégié de l’UE. L’analyse
pertinente du journaliste marocain, Ali Lmrabet, décrit à bien
des égards la situation du Maghreb à partir de «l’exemple
marocain», tant il est vrai que les pays le composant ne sont
pas acteurs de leurs destins. Ecoutons-le: «Peut-on vivre au
Maroc d’aujourd’hui en faisant omission de cette réalité qui
veut que tout doit tourner autour du roi? (...) Et il est
paradoxal de constater que ceux qui font leur cette analyse, en
particulier les Français, les voisins espagnols et les lointains
Américains (avant et avec Obama), ceux-là mêmes qui tiennent bec
et ongles à leurs institutions et à leurs chères libertés,
veulent nous garder en cage et nous pressent, indirectement bien
entendu, de rester sages et d’accepter d’être gentiment conduits
par le prince. (...) Nous ne serions pas prêts pour la
démocratie, se lamentent ces hypocrites. Mais enfin, de quoi
ont-ils peur? Que nous commencions à penser par nous-mêmes? A
nous émanciper? Que nous trouvions des solutions à nos besoins,
matériels et autres? Que veulent-ils, enfin, ces lointains
Occidentaux? On a du mal à croire qu’ils veulent que notre
région continue à être la grande fabrique d’extrémistes - qui se
nourrissent, justement, des dictatures, des injustices faites
aux gens et du manque de liberté criant qui sont notre pain
quotidien».(9)
Les Sahraouis sont-ils les Palestiniens du Maghreb? Ou y a-t-il
une autre façon de faire? L’honorable diplomate Lakhdar Brahimi,
ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU, avait l’habitude de
dire qu’il n’y a pas de conflit sans solution. Imaginons une
Union maghrébine réelle, selon Akram Belkaïd, les estimations
les plus fréquentes, une Union économique réelle avec libre
circulation des personnes et des marchandises générerait au
moins un point de croissance supplémentaire. Sans compter le
fait que l’agriculture algérienne bénéficierait du savoir-faire
des ouvriers agricoles marocains, tandis que l’est du Royaume
chérifien, asphyxié économiquement, a un besoin urgent de
l’ouverture de la frontière terrestre. (10). Pour qu’un Maghreb
de l’intelligence puisse émerger, il est bon que les pays en
question soient fascinés par le futur pour aller
progressivement, à l’instar de l’Europe, vers une Union
maghrébine dans le plein sens du terme. Un territoire de plus de
6 millions de km², un gisement solaire important, des énergies
fossiles, une population jeune et bien formée serait la
meilleure réponse à cette Europe qui continue à diviser pour
régner. Nous devons en être conscients!
1.Dominique Lagarde: Vent de colère au Sahara occidental Figaro
16.11.2010
2.http://www.courrierinternational.com/ revue-de-presse
2010.11.16 les-tensions-reprennent
3.APSO: L’oued Saguia el Hamra, Rivière rouge de sang- Site
Oulala- 14 novembre 2010
4.Quel avenir pour les Sahraouis? El Periódico de Catalunya
09.11.2010
5.Chafaâ Bouaïche: Casablanca, le règne du faste et de la misère
-La Tribune 08.09.2008
6.Hicham Houdaïfa: Trente euros pour cueillir des fraises
-Courrier international 03.01.2008
7.Denise Sollo: Origines, enjeux et perspectives de paix du
conflit du Sahara occidental
http://www.irenees.net/fr/fiches/analyse/fiche-analyse-18.html
8.France Weyl: Des banques françaises au Sahara Occidental APSO,
17 novembre 2010
9.Ali Lmrabet: Sa Majesté et notre pain quotidien El Khabar
28.07.2009.
10.Akram Belkaïd: Un différend qui n’a que trop duré Le
Quotidien d’Oran 09.04.2009
Pr Chems Eddine Chitour,
Ecole nationale polytechnique
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Publié le 22 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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