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Affaires Stratégiques
Entre Gaza et
Huntington :
nouvel échec annoncé pour la stratégie israélienne
Barah Mikaïl
Barah Mikaïl - Photo IRIS
Lundi 29 décembre 2008
La fin de l’année 2008 s’annonce décidément bien sombre. Et bien
entendu, elle n’augure de rien de bon pour l’année 2009. Ainsi,
depuis le 27 décembre au matin, l’armée de l’air israélienne
s’est lancée dans une entreprise de pilonnage des principales
positions gouvernementales, militaires et sécuritaires du Hamas
situées dans la bande de Gaza. Avec à la clé, une mobilisation
annoncée de 6000 réservistes, la préparation de l’armée de terre
à une hypothétique ( ?) invasion terrestre du territoire
palestinien, et l’annonce par plusieurs responsables militaires
israéliens de ce que l’opération « plomb durci » est partie pour
durer.
Une opération préparée de longue date…
Evidemment, l’effet de surprise a été privilégié ici par le
gouvernement israélien. Celui-ci aspirerait, selon ses objectifs
annoncés, à pousser le Hamas à cesser ses tirs de roquette en
direction de l’Etat hébreu. On devine là le fait que les
Israéliens n’aspirent pas pour autant à déstructurer le Hamas,
aboutissement qui ne serait de toutes façons pas plus réalisable
que ce qui prévalut dans le cas du Hezbollah libanais il y a un
peu plus de deux ans. Dans le même temps, on ne saurait pour
autant se contenter pleinement de cette explication
officiellement avancée par les Israéliens. Il paraît en effet
aujourd’hui que cette opération aurait été prévue depuis
maintenant six mois, soit à l’époque où le Hamas avait
effectivement décidé d’observer une « trêve » de six mois
vis-à-vis d’Israël.
Pour le reste, cela faisait quelques jours que le gouvernement
du Premier ministre sortant Ehud Olmert avait décidé
d’entreprendre effectivement cette opération musclée. Et il
s’était d’ailleurs empressé de prévenir certains de ses
homologues régionaux, dont l’Egypte, de l’imminence de son
mouvement. Sans que ceux-ci n’y trouvent apparemment à redire
sur le coup.
… mais
sans gains tangibles
Pourtant, on croit deviner que cette opération militaire
israélienne pourrait avoir des relents tout sauf payants pour
l’ensemble des acteurs des scènes régionale comme
internationale.
Le Hamas ne semble en effet pas devoir vaciller quelle que soit
l’intensité de la poussée militaire israélienne ; le Fatah et le
président Mahmoud Abbas ne seront pas plus renforcés aux yeux
des Palestiniens, bien au contraire ; Américains et Européens ne
semblent pas, une fois encore, pouvoir redorer leurs blasons,
eux qui oscillent entre validation aveugle de la stratégie
militaire israélienne et affichage d’un attentisme pathétique
doublé de mous appels à une cessation des « hostilités » ; les
gouvernements arabes brillent pour la plupart d’entre eux par
des critiques tout aussi molles qui cachent mal leur duplicité…
Ne restent ainsi que des pays tels que la Syrie et l’Iran, qui
trouvent matière à rebondir sur ces événements pour insister sur
la validité de leur stratégie régionale, ainsi que des
formations (Hezbollah libanais, Frères Musulmans de Jordanie…)
et des opinions publiques arabes échaudées, pour que la boucle
soit presque bouclée.
Une fois encore, cette escalade militaire israélienne vis-à-vis
des Palestiniens de la bande de Gaza vient ainsi insister sur
l’absurdité de ce conflit, ainsi que l‘aboutissement de la
stratégie actuelle à un contre-effet pour les objectifs
sollicités par les Israéliens. Car, en-dehors de considérations
politiciennes et tacticiennes internes, on voit mal ce que les
Israéliens pourraient escompter de ce nouvel accès de violences
dont ils sont les principaux acteurs.
Tactiques et politique
Les tirs de roquettes palestiniennes vers le territoire hébreu,
combinés à une radicalité dans les propos des cadres du Hamas,
sont condamnables certes : mais ils sont loin d’avoir provoqué
près de 1000 victimes (environ 300 morts et 700 blessés)
majoritairement innocentes en l’espace de 48 heures, comme cela
est actuellement le cas pour les habitants de la bande de Gaza.
Dit autrement, il n’y avait pas péril dans la demeure
israélienne lorsque cette opération fut lancée. Or, si l’Etat
hébreu peut avoir des raisons de ne pas laisser le Hamas se
renforcer, il faut aussi voir que les perspectives politiques du
pays sont à l’organisation d’élections législatives anticipées
en février 2009, qui nécessitent pour chacun des candidats de
montrer qu’il est à même de contenir la situation dans les
Territoires palestiniens s’il venait à être élu.
Tzipi Livni (Kadima, Affaires étrangères) et Ehoud Barak (Parti
Travailliste, Défense) ne pouvaient ainsi qu’abonder dans le
sens d’une stratégie qui insiste sur leurs capacités
stratégiques tout en coupant l’herbe sous les pieds d’un Hamas
déterminé pour sa part à empêcher le président Mahmoud Abbas de
prolonger son mandat d’un an (soit jusqu’à janvier 2010). Avec
bien entendu un curseur politique israélien incontournable à la
clé : le fait qu’ils concurrencent ainsi pour chacun d’entre eux
leur principal adversaire politique, l’homme favori des sondages
israéliens, Benyamin Netanyahu. Les estimations le placent en
effet soit comme gagnant en suffrages des législatives
israéliennes de février prochain, soit à égalité avec Tzipi
Livni. Chose qui est jusqu’à déplaire à Ehud Olmert, qui, aussi
sortant soit-il, demeure l’un des représentants des intérêts du
parti Kadima, et non du Likoud.
Une paix
aux abonnés absents
On voit difficilement quelle sera l’issue de cette aberrante
nouvelle escalade dans le conflit israélo-palestinien, les
Israéliens paraissant déterminés à ne pas perdre la face comme
cela fut le cas il y a deux ans au Liban. Pour l’heure, ils
paraissent profiter de la période de flottement régnant au
niveau politique américain afin de faire aboutir ce qu’ils
présentent comme étant une stratégie sécuritaire.
Cela dit, l’on voit d’ores et déjà qui, outre la résolution du
conflit israélo-palestinien, figurera parmi les perdants de cet
épisode :
les
Américains, toujours aussi partisans de méthodes sécuritaires
faisant fi du politique ;
les
Européens, inertes mais que l’on suppose quelque peu gênés de
voir les Israéliens répondre de la sorte au renforcement des
relations israélo-européennes décidé et annoncé il y a à peine
trois semaines ;
le
Conseil de Sécurité de l’ONU, capable tout au plus, une fois
encore, de l’adoption de résolutions non contraignantes ;
et
une grande partie des gouvernants arabes de la région, dont les
critiques officielles à l’encontre de la stratégie israélienne
ne trompent plus grand monde.
En contrepartie, le sursaut de la « rue arabe », combiné aux
protestations des principales formations politiques régionales
non gouvernementales, laisse un bel avenir à la radicalisation
plus avant de ces opinions publiques régionales. Il n’est par
ailleurs en rien anodin de constater que c’est la Turquie, Etat
non arabe en paix avec l’Etat hébreu, et parrain jusqu’ici de
« négociations indirectes » entre les Syriens et les Israéliens,
qui a accusé ces derniers de « crimes contre l’humanité », et
argué de ce que la reprise de contacts avec eux se révélait
« illusoire ». Les relations turco-israéliennes ne devraient pas
pour autant en ressortir affectées ; mais l’état des relations
israélo-arabes, et l’avenir d’une paix régionale, si, une fois
encore.
Il devient ainsi malheureux de constater que,
à l’heure du décès de Samuel Huntington, certains acteurs aient
voulu se lancer dans des stratégies qui ont pour effet de
remettre au goût du jour le concept de « choc des
civilisations » cher à ce dernier. Une fois encore, celui-ci
n’est pourtant en rien inéluctable ; mais l’état de la scène
proche-orientale ne permet décidément toujours pas d’envisager
son écartement durable. Pour le reste, Israéliens et
Palestiniens, tout comme Israéliens et Arabes, feront encore
beaucoup parler d’eux le long des années à venir… mais
malheureusement pas dans le sens que l’on pourrait escompter.
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Publié le 30 décembre avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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