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IRIS
Irak : quelle marge de manœuvre
pour les Etats-Unis ?
Barah Mikaïl
Barah Mikaïl - Photo IRIS
17 novembre 2008
Certains événements peuvent paraître positifs, et prometteurs.
Ainsi, après d’incessantes navettes entre Washington et Bagdad,
le texte sur le futur de l’armée américaine en Irak vient d’être
approuvé par la présidence irakienne. Ce n’est en rien ici la
consécration d’un processus, puisque le Status
of Forces Agreement (SOFA) requiert l’aval des
parlementaires irakiens pour être définitivement validé.
Les oppositions partisanes à ce texte se sont cependant faites
de moins en moins nombreuses ces dernières semaines, allant
jusqu’à se résumer grosso modo aux cas de certains sunnites
irakiens ainsi que de la mouvance du cheikh rebelle Moqtada al-Sadr.
Autrement dit, même si rien n’est jamais acquis en Irak, cette
nouvelle mouture aura de fortes chances d’être adoptée par le
législatif irakien, qui se réunira à cet effet dès le 24
novembre 2008. Les déclarations de Barak Obama, qui insiste
régulièrement sur son intention de se retirer d’Irak, pourraient
elles-mêmes encourager les députés irakiens à adopter ce texte,
qui prévoit officiellement un retrait des Américains de leur
pays avant la fin de l’année 2011.
Washington a-t-il, au demeurant, intérêt à un
tel retrait ? Incontestablement, oui, au même titre que les
Irakiens. La présence des troupes américaines en Irak est en
effet une occupation, et le fait pour un B. Obama de pouvoir
prendre le relais d’un G. W. Bush ne change rien à cela. En
parallèle, plus le temps avance, moins le maintien de
contingents et renforts étrangers dans le pays semble se
justifier : l’armée irakienne a aujourd’hui officiellement en
charge la sécurité de 13 des 18 provinces du pays, et le climat
sécuritaire est, globalement, beaucoup moins chargé qu’il y a
quelques mois encore. Certes, des attentats continuent à
prévaloir ; mais ils sont, pour l’heure, sans commune mesure
avec la vague de violences qu’avait régulièrement connu l’Irak
depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003. Pour peu
que ce cap soit maintenu, rien n’empêcherait de croire en un
Irak à l’avenir relativement serein qui serait libéré de toute
occupation.
Cela dit, ces motifs d’optimisme se doivent
d’être tout aussi bien nuancés. Car si Parlement comme
gouvernement irakiens ont le mérite d’exister et d’exercer leurs
fonctions officielles, cela n’occulte en rien le poids des
particularismes locaux engagés en Irak, et qui font du Nord du
pays, et surtout de son Sud, des pépinières de revendications de
pouvoir diverses. Les PDK et UPK kurdes jusqu’à un certain
point, l’ensemble des formations politiques d’obédience chiite
par ailleurs, sans oublier la scission inter-sunnite qui
continue à prévaloir dans les régions du centre, sont autant de
facteurs dont il convient toujours de ne pas sous-estimer la
portée. Le tout dans un contexte où est prévue la tenue
d’élections provinciales à l’issue incertaine en janvier 2009, à
laquelle participeront maintes formations convaincues de tout
sauf des bienfaits d’un Irak qui ferait fi d’options
institutionnelles fédérales.
En parallèle, il ne faut pas oublier non plus
que si la fameuse stratégie du surge (le renforcement des
contingents américains en Irak) mise en application par
Washington a fonctionné, elle a également eu pour corollaire
l’armement de plus de 100.000 membres de tribus, à 80% sunnites,
afin de les pousser à lutter contre al-Qaïda en Mésopotamie et
consorts. Le succès fut apparemment au rendez-vous, même si une
stratégie parallèle de bombardements américains à l’encontre des
positions d’al-Qaïda a aussi eu son importance. Mais l’on ne
sait pas pour autant ce que vont faire, au final, ces mêmes
membres de tribus du reste de l’armement qui leur a été
distribué, et qui ne semble pas avoir été écoulé dans son
intégralité. Dit autrement, tout antagonisme entre ces tribus et
un quelconque autre acteur des processus politique et
sécuritaire irakiens pourrait largement, le cas échéant, engager
une nouvelle phase armée en Irak, à l’occasion de laquelle les
tribus armées auraient largement de quoi combattre.
Le tout, sans oublier que plusieurs questions
décisives pour l’avenir de l’Irak (la Loi sur les hydrocarbures,
la question du rattachement administratif et provincial de
certaines villes dont la pétrolifère Kirkouk…), ne sont toujours
pas réglées à l’heure qu’il est, reflétant les antagonismes qui
peuvent continuer à prévaloir tant au niveau de l’exécutif que
du législatif irakiens. Et sans pouvoir non plus s’ôter de
l’esprit le fait que B. Obama prévoit de se retirer d’Irak tout
en se concentrant mieux sur l’Afghanistan ; une stratégie de sa
part qui, pour l’heure, ne nous renseigne pas sur l’intention
qu’il a – ou non – d’accompagner ses options sécuritaires d’une
dose de politique.
Il convient ainsi de se dire que, au final,
le renouvellement de la présidence américaine aidant, il n’y a
aucun mal à voir dans les évolutions connues actuellement par
l’Irak le cas d’un verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié
vide. Cela dit, le « Grand Moyen-Orient » n’aime pas les eaux
stagnantes. Beaucoup reste ainsi à faire pour que Washington
prouve qu’il est encore capable de développer des politiques
payantes pour les populations concernées par ses zones
d’intervention. Et quand bien même il conviendra de la juger sur
les actes, c’est-à-dire pas avant le mois de janvier 2009,
l’option Obama en matière de politique internationale ne semble
pas, pour l’heure, pouvoir en appeler à un sentiment autre que
celui d’optimisme très modéré. En attendant des jours meilleurs,
et surtout des exemples concrets d’aboutissements payants…
Barah Mikaïl
Chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques
(IRIS), spécialisé sur le Moyen-Orient. Auteur de La Politique américaine au
Moyen-Orient (Dalloz, 2006)
Tous les droits des auteurs des Œuvres
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réservés.
Publié le 17 novembre avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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